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Le droit est
partout, dit-on ; il se retrouve même dans le film d’animation Hercule (1997). Dès lors, le pari d’y chercher des
éléments de réflexion juridique n’est peut-être pas si insensé… L’anniversaire
de Walt Disney et ce dossier spécial qui lui est consacré constituent une
merveilleuse occasion pour poursuivre l’aventure entamée par l’ouvrage Du droit dans Disney (1), en s’attardant sur ce film qui avait alors
été négligé.
«
Il y a longtemps, sur les terres lointaines de la Grèce antique, régna l’âge
d’or des dieux tous puissants et d’extraordinaires héros. Le plus grand et le
plus fort de tous ces héros, fut le colossal Hercule… » Au vu de la grande
désinvolture et des quelques libertés que prend le 50e long métrage
des studios Disney avec les grands récits mythologiques (2), il pourrait a
priori passer pour étranger au droit et au sérieux des juristes. Et pourtant…
ce serait là oublier que « le droit est la plus puissante des écoles de
l’imagination (3) » !
Le juriste attentif et cultivé – mais n’est-ce pas là un pléonasme ? – pourra ainsi glaner dans les aventures d’Hercule, Pégase et Philoctète, pêle-mêle, quelques émanations juridiques : les théoriciens du droit ne manqueront pas de remarquer que l’action se passe en partie à Thèbes, la ville qui a assisté à l’affrontement doctrinal entre Antigone et Créon, avatars respectifs du positivisme et du jusnaturalisme, droit positif et droit divin ; les pénalistes mettront en évidence que, dès les premières minutes du film, le spectateur assiste à une tentative d’empoisonnement du divin rejeton ; les constitutionnalistes souligneront que l’antagoniste, Hadès, cherche à ravir le trône de son divin frère, ce qui n’est qu’une guerre de pouvoir ; les spécialistes de droit de la famille ajouteront qu’Amphitryon et Alcmène semblent considérer Hercule comme leur propre fils selon le mécanisme juridique de l’adoption, quand ceux de droit des personnes évoqueront la question de la personnalité juridique des créatures mythologiques telles que les centaures ou les satyres ; les passionnés de propriété intellectuelle s’intéresseront au merchandising qui entoure le zéro devenu un héros ; les afficionados du droit pénal routier y trouveront leur compte avec les conducteurs de char qui refusent de céder la priorité aux passages piétons ; et caetera. Les exemples pourraient être multipliés ad libitum.
Cette prolifération d’éléments
juridiques s’explique aisément. Le droit innervant chaque pan de la vie
sociale, il est tout naturel d’en trouver trace dès qu’une société est
figurée : ubi homo, ibi societas ; ubi societas, ibi ius. La
formule semble valoir quand bien même le protagoniste de l’histoire serait né
d’une union divine. Le droit est partout, notamment dans le film d’animation Hercule
ou, de manière plus générale, dans toutes ces sociétés plus ou moins fictives
dépeintes dans les œuvres de Disney.
Si le personnage mythologique
lui-même fut considéré par la doctrine juridique comme l’archétype d’un modèle
de justice s’impliquant personnellement dans les litiges (4), Hercule ne brille
pas tellement ici par ses qualités de justicier. Néanmoins, cette brève analyse
juridique du film mérite d’être prolongée et détaillée sur deux points qui
apparaissent particulièrement saillants dans l’intrigue : les contrats
passés avec le dieu des enfers et l’humanité d’Hercule.
Hercule (1997)
Le contrat
dans Hercule
Dans le film, Hadès
contracte ainsi plusieurs engagements. Le premier décrit est un pacte qui
l’unit à l’aguichante Mégara, d’abord, celle-ci lui abandonnant son âme contre
la vie de son petit-ami de l’époque ; il lui offre ensuite sa liberté en
l’échange de la séduction d’Hercule, ce qu’elle refusera in fine d’exécuter.
L’intrigue le montre passer deux autres contrats avec Hercule cette fois : la
liberté de Mégara contre 24?heures sans sa force divine, à la condition
suspensive que Meg’ ne soit pas blessée ; puis un dernier pacte par lequel il
lui offre la vie de celle qu’il aime contre la sienne.
Puisque, selon la
maxime, les pactes doivent être respectés (pacta
sunt servanda), qu’ils sont a priori contraignants, Hadès va en user et en
abuser. Le contrat semble bien l’arme du perfide souverain du royaume
souterrain (5), au point que l’on pourrait y voir l’illustration de la citation
du R. P. Henri Lacordaire, « entre le
fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le
serviteur, [entre le méchant et le gentil, pourrait-on ajouter,] c’est la liberté [ici la liberté
contractuelle] qui opprime et la loi qui affranchit ». Puisque le contrat
est susceptible d’asservir, lorsqu’une partie déciderait d’aliéner sa liberté
ou sa vie par exemple, la liberté contractuelle se voit bornée par des lois
particulières, c’est le principe de l’article?6?du Code civil.
Aussi, l’absence de contrainte et
d’effet contraignant du dernier accord passé entre Hercule et Hadès peut être
perçue comme la reconnaissance d’une nullité du pacte en raison de la mauvaise
foi dont fait preuve l’un des cocontractants ou de son contenu illicite (6) :
l’on n’aliène pas sa vie ou son corps par convention. Il est des choses qui
échappent – fort heureusement en l’espèce – au pouvoir de la volonté
individuelle.
Condition
humaine, hybris et ordre du monde
L’autre point, intimement lié,
sur lequel l’attention du lecteur peut éventuellement se porter, réside dans
l’ambiguïté de la condition d’Hercule, tiraillé entre son statut divin, par
naissance et par héroïsme, et mortel, par le poison absorbé dans son enfance et
l’amour qu’il éprouve pour Mégara. Le film Disney reprend, pour sa conclusion,
un épisode de l’Odyssée d’Homère, lorsque le protagoniste refuse
l’immortelle jeunesse que lui offre la nymphe Calypso (7) ;
dans le film d’animation de Disney, Hercule décline de la même manière son apothéose
(littéralement sa déification).
En
refusant de devenir un dieu, immortel, et de rejoindre ses géniteurs dans
l’Olympe, Hercule semble adhérer à la conception du Doyen Carbonnier qui
considérait que « la condition de mortel
est d’ordre public » (8). Affirmée à propos de l’interdiction de la
cryogénisation, dont la possibilité alimentait les phantasmes d’éternité de
certains, cette sentence va bien dans le sens d’un respect d’une certaine
condition qui s’imposerait à l’Homme et à laquelle il ne doit pas contrevenir.
Celle-ci
serait comme un domaine qui échapperait aux désirs et aux pouvoirs individuels,
un reliquat de sacré, de transcendance qui demeure dans la sphère juridique. Il
se manifeste par exemple dans l’interdiction de porter atteinte à l’intégrité
de l’espèce humaine ou dans l’impératif de sauvegarde de la dignité humaine,
normes que l’on retrouve dans le Code civil notamment. L’hybris, c’est-à-dire
la démesure, dont peuvent parfois faire preuve certains mouvements de pensée
comme le transhumanisme (9)?ayant pour ambition de faire advenir l’homo deus,
ne va pas sans heurter l’ordre du monde cher aux auteurs grecs, ordre que le
droit, assez conservateur en cela, tente également de maintenir (10).
Le
Hercule du dessin animé éponyme n’est, dès lors, peut-être pas si loin de ce
modèle de justice qu’a inspiré à d’illustres auteurs sa figure mythologique.
Et, peut-être, peut-on se plaire à rêver que les héros de l’enfance puissent
guider les juristes dans les choix à venir, en matière de bioéthique notamment.
1) Quentin Le Pluard & Marion Talbot (dir.), Du
droit dans Disney, Mare & Martin, 2020.
2) On notera ainsi, pour exemple, qu’Hercule y naît ainsi de Zeus et d’Héra, semblant filer le parfait amour (pour une analyse quelque peu plus réaliste de la figure du roi des Olympiens, v. la contribution de
M. Polype Trichoto, « « “Ciel, mon mari !” : Amphitryon ou La vengeance du premier des cocus », in Quentin Le Pluard & Marion Talbot (dir.), Droit, mythes et légendes, vol. I., Mare & Martin, 2021.
3) Jean Giraudoux, La guerre de Troie n’aura pas
lieu (1935).
4) François Ost, « Jupiter, Hercule, Hermès : trois
modèles du juge », in Pierre Bouretz (dir.), La force du droit, Esprit,
1991, p. 241-272 ; Ronald Dworkin, L’empire du droit, [1934], trad.
fr. PUF, 1994, note 3.
5) Hadès est rejoint en cela par une autre célèbre
méchante des classiques Disney, Ursula, qui troque la voix d’Ariel la petite
sirène contre des jambes d’humaine. Pour une analyse juridique détaillée de
cette transaction au regard du droit des contrats, v. la contribution de M.
Péran Plouhinec, « La Petite Sirène : jusqu’où va le droit sous l’océan
? », in Quentin Le Pluard & Marion Talbot (dir.), Du droit dans
Disney, op. cit., p. 231-243.
6) Article 1128 et suivants du Code civil.
7) Pour une analyse philosophique de cet épisode, v.
le chapitre consacré dans l’ouvrage de Luc Ferry, La sagesse des mythes :
apprendre à vivre, vol. 2, Plon, 2008.
8) Jean Carbonnier, Droit civil : introduction :
les personnes, 10e éd., Presses Universitaires de France, 1974,
p. 235.
9) Pour le dire simplement, le transhumanisme
cherche à profiter des progrès récents en matière de biotechnologies pour
augmenter le corps humain et, notamment, atteindre une certaine forme
d’immortalité.
10) Pour une analyse plus complète et détaillée en
la matière, v. Peggy Larrieu, Mythes
grecs et droit : Retour sur la fonction anthropologique du droit, Presses
de l’Université de Laval, 2017.
Quentin Le Pluard,
ATER en droit privé et
sciences criminelles au Lab-LEX (UR 7480),
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