Hercule, ou comment faire du droit avec Disney


lundi 27 décembre 20217 min
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Le droit est partout, dit-on ; il se retrouve même dans le film d’animation Hercule (1997). Dès lors, le pari d’y chercher des éléments de réflexion juridique n’est peut-être pas si insensé… L’anniversaire de Walt Disney et ce dossier spécial qui lui est consacré constituent une merveilleuse occasion pour poursuivre l’aventure entamée par l’ouvrage Du droit dans Disney (1), en s’attardant sur ce film qui avait alors été négligé.

 

 


« Il y a longtemps, sur les terres lointaines de la Grèce antique, régna l’âge d’or des dieux tous puissants et d’extraordinaires héros. Le plus grand et le plus fort de tous ces héros, fut le colossal Hercule… » Au vu de la grande désinvolture et des quelques libertés que prend le 50e long métrage des studios Disney avec les grands récits mythologiques (2), il pourrait a priori passer pour étranger au droit et au sérieux des juristes. Et pourtant… ce serait là oublier que « le droit est la plus puissante des écoles de l’imagination (3) » !

Le juriste attentif et cultivé – mais n’est-ce pas là un pléonasme ? – pourra ainsi glaner dans les aventures d’Hercule, Pégase et Philoctète, pêle-mêle, quelques émanations juridiques : les théoriciens du droit ne manqueront pas de remarquer que l’action se passe en partie à Thèbes, la ville qui a assisté à l’affrontement doctrinal entre Antigone et Créon, avatars respectifs du positivisme et du jusnaturalisme, droit positif et droit divin ; les pénalistes mettront en évidence que, dès les premières minutes du film, le spectateur assiste à une tentative d’empoisonnement du divin rejeton ; les constitutionnalistes souligneront que l’antagoniste, Hadès, cherche à ravir le trône de son divin frère, ce qui n’est qu’une guerre de pouvoir ; les spécialistes de droit de la famille ajouteront qu’Amphitryon et Alcmène semblent considérer Hercule comme leur propre fils selon le mécanisme juridique de l’adoption, quand ceux de droit des personnes évoqueront la question de la personnalité juridique des créatures mythologiques telles que les centaures ou les satyres ; les passionnés de propriété intellectuelle s’intéresseront au merchandising qui entoure le zéro devenu un héros ; les afficionados du droit pénal routier y trouveront leur compte avec les conducteurs de char qui refusent de céder la priorité aux passages piétons ; et caetera. Les exemples pourraient être multipliés ad libitum.

Cette prolifération d’éléments juridiques s’explique aisément. Le droit innervant chaque pan de la vie sociale, il est tout naturel d’en trouver trace dès qu’une société est figurée : ubi homo, ibi societas ; ubi societas, ibi ius. La formule semble valoir quand bien même le protagoniste de l’histoire serait né d’une union divine. Le droit est partout, notamment dans le film d’animation Hercule ou, de manière plus générale, dans toutes ces sociétés plus ou moins fictives dépeintes dans les œuvres de Disney.

Si le personnage mythologique lui-même fut considéré par la doctrine juridique comme l’archétype d’un modèle de justice s’impliquant personnellement dans les litiges (4), Hercule ne brille pas tellement ici par ses qualités de justicier. Néanmoins, cette brève analyse juridique du film mérite d’être prolongée et détaillée sur deux points qui apparaissent particulièrement saillants dans l’intrigue : les contrats passés avec le dieu des enfers et l’humanité d’Hercule.

 






Hercule (1997)



 


Le contrat dans Hercule

Dans le film, Hadès contracte ainsi plusieurs engagements. Le premier décrit est un pacte qui l’unit à l’aguichante Mégara, d’abord, celle-ci lui abandonnant son âme contre la vie de son petit-ami de l’époque ; il lui offre ensuite sa liberté en l’échange de la séduction d’Hercule, ce qu’elle refusera in fine d’exécuter. L’intrigue le montre passer deux autres contrats avec Hercule cette fois : la liberté de Mégara contre 24?heures sans sa force divine, à la condition suspensive que Meg’ ne soit pas blessée ; puis un dernier pacte par lequel il lui offre la vie de celle qu’il aime contre la sienne.

Puisque, selon la maxime, les pactes doivent être respectés (pacta sunt servanda), qu’ils sont a priori contraignants, Hadès va en user et en abuser. Le contrat semble bien l’arme du perfide souverain du royaume souterrain (5), au point que l’on pourrait y voir l’illustration de la citation du R. P. Henri Lacordaire, « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, [entre le méchant et le gentil, pourrait-on ajouter,] c’est la liberté [ici la liberté contractuelle] qui opprime et la loi qui affranchit ». Puisque le contrat est susceptible d’asservir, lorsqu’une partie déciderait d’aliéner sa liberté ou sa vie par exemple, la liberté contractuelle se voit bornée par des lois particulières, c’est le principe de l’article?6?du Code civil.

Aussi, l’absence de contrainte et d’effet contraignant du dernier accord passé entre Hercule et Hadès peut être perçue comme la reconnaissance d’une nullité du pacte en raison de la mauvaise foi dont fait preuve l’un des cocontractants ou de son contenu illicite (6) : l’on n’aliène pas sa vie ou son corps par convention. Il est des choses qui échappent – fort heureusement en l’espèce – au pouvoir de la volonté individuelle.

 


 

Condition humaine, hybris et ordre du monde

L’autre point, intimement lié, sur lequel l’attention du lecteur peut éventuellement se porter, réside dans l’ambiguïté de la condition d’Hercule, tiraillé entre son statut divin, par naissance et par héroïsme, et mortel, par le poison absorbé dans son enfance et l’amour qu’il éprouve pour Mégara. Le film Disney reprend, pour sa conclusion, un épisode de l’Odyssée d’Homère, lorsque le protagoniste refuse l’immortelle jeunesse que lui offre la nymphe Calypso (7) ; dans le film danimation de Disney, Hercule décline de la même manière son apothéose (littéralement sa déification).

En refusant de devenir un dieu, immortel, et de rejoindre ses géniteurs dans l’Olympe, Hercule semble adhérer à la conception du Doyen Carbonnier qui considérait que « la condition de mortel est d’ordre public » (8). Affirmée à propos de l’interdiction de la cryogénisation, dont la possibilité alimentait les phantasmes d’éternité de certains, cette sentence va bien dans le sens d’un respect d’une certaine condition qui s’imposerait à l’Homme et à laquelle il ne doit pas contrevenir.

Celle-ci serait comme un domaine qui échapperait aux désirs et aux pouvoirs individuels, un reliquat de sacré, de transcendance qui demeure dans la sphère juridique. Il se manifeste par exemple dans l’interdiction de porter atteinte à l’intégrité de l’espèce humaine ou dans l’impératif de sauvegarde de la dignité humaine, normes que l’on retrouve dans le Code civil notamment. L’hybris, c’est-à-dire la démesure, dont peuvent parfois faire preuve certains mouvements de pensée comme le transhumanisme (9)?ayant pour ambition de faire advenir l’homo deus, ne va pas sans heurter l’ordre du monde cher aux auteurs grecs, ordre que le droit, assez conservateur en cela, tente également de maintenir (10).

Le Hercule du dessin animé éponyme n’est, dès lors, peut-être pas si loin de ce modèle de justice qu’a inspiré à d’illustres auteurs sa figure mythologique. Et, peut-être, peut-on se plaire à rêver que les héros de l’enfance puissent guider les juristes dans les choix à venir, en matière de bioéthique notamment.

 

 


1) Quentin Le Pluard & Marion Talbot (dir.), Du droit dans Disney, Mare & Martin, 2020.

2) On notera ainsi, pour exemple, qu’Hercule y naît ainsi de Zeus et d’Héra, semblant filer le parfait amour (pour une analyse quelque peu plus réaliste de la figure du roi des Olympiens, v. la contribution de

M. Polype Trichoto, « « “Ciel, mon mari !” : Amphitryon ou La vengeance du premier des cocus », in Quentin Le Pluard & Marion Talbot (dir.), Droit, mythes et légendes, vol. I., Mare & Martin, 2021.

3) Jean Giraudoux, La guerre de Troie n’aura pas lieu (1935).

4) François Ost, « Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles du juge », in Pierre Bouretz (dir.), La force du droit, Esprit, 1991, p. 241-272 ; Ronald Dworkin, L’empire du droit, [1934], trad. fr. PUF, 1994, note 3.

5) Hadès est rejoint en cela par une autre célèbre méchante des classiques Disney, Ursula, qui troque la voix d’Ariel la petite sirène contre des jambes d’humaine. Pour une analyse juridique détaillée de cette transaction au regard du droit des contrats, v. la contribution de M. Péran Plouhinec, « La Petite Sirène : jusqu’où va le droit sous l’océan ? », in Quentin Le Pluard & Marion Talbot (dir.), Du droit dans Disney, op. cit., p. 231-243.

6) Article 1128 et suivants du Code civil.

7) Pour une analyse philosophique de cet épisode, v. le chapitre consacré dans l’ouvrage de Luc Ferry, La sagesse des mythes : apprendre à vivre, vol. 2, Plon, 2008.

8) Jean Carbonnier, Droit civil : introduction : les personnes, 10e éd., Presses Universitaires de France, 1974, p. 235.

9) Pour le dire simplement, le transhumanisme cherche à profiter des progrès récents en matière de biotechnologies pour augmenter le corps humain et, notamment, atteindre une certaine forme d’immortalité.

10) Pour une analyse plus complète et détaillée en la matière, v. Peggy Larrieu, Mythes grecs et droit : Retour sur la fonction anthropologique du droit, Presses de l’Université de Laval, 2017.

 



Quentin Le Pluard,

ATER en droit privé et sciences criminelles au Lab-LEX (UR 7480),

Université de Brest

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