Interview de Christophe Boré, Président de la nouvelle CARPA de l'Est Francilien


mardi 23 février 201610 min
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1. Pourquoi avoir regroupé les CARPA du Val-de-Marne et de Seine-Saint-Denis

La réglementation relative au fonctionnement des CARPA est devenue plus exigeante. Les modalités de contrôle se sont renforcées, ce qui se justifie dès lors que les CARPA reçoivent des fonds de tiers dans le cadre de l’activité des avocats et des fonds publics au titre de l’aide juridictionnelle et des dispositifs d’accès au droit. Il nous est apparu indispensable de professionnaliser davantage nos CARPA et d’assurer au surplus la continuité des services rendus aux avocats, puisqu’avant tout la CARPA doit être à leur service. À l’heure où les barreaux sont tous confrontés à des impératifs budgétaires, ne leur permettant guère de procéder à des embauches, la mise en commun de moyens de fonctionnement, humains comme matériels, constitue une réponse adaptée à de tels défis. La création de la CARPA de l’Est Francilien, qui regroupe désormais en une seule entité, depuis ler janvier 2016, les deux CARPA des barreaux de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, peut désormais compter sur du personnel salarié plus nombreux, que nous pouvons spécialiser à certaines fonctions, tout en assurant plus facilement leur remplacement. Elle est au surplus dirigée par une équipe d’administrateurs très impliqués et mieux formés.

Nous espérons aussi naturellement réaliser des économies d’échelle, tout comme assurer une gestion plus dynamique et rémunératrice des fonds que cette CARPA gère désormais pour le compte des deux barreaux. La CARPA de l’Est Francilien représente pour ses interlocuteurs un partenaire de poids, ce qui modifie certains rapports de force. La négociation menée pour choisir la nouvelle banque de flux a illustré cette démarche. Le volume des fonds gérés autorise de repenser notre politique de placements financiers, dans le souci évidemment d’en améliorer les rendements, tout en respectant nos obligations réglementaires.


2. Qui est à l’origine de ce regroupement ?

Cette idée est née à l’été 2013, en marge d’une session de formation organisée par la Conférence des Bâtonniers à Annecy, sur le thème de la mutualisation des moyens entre les barreaux. Le Bâtonnier Robert Feyler, alors Bâtonnier du barreau de la Seine-Saint-Denis, et moi-même, alors dauphin du barreau du Val-de-Marne, y participions tous deux. Nous avons été rapidement convaincus de la nécessité d’opérer ce rapprochement, tant nos deux barreaux sont proches, non seulement géographiquement, mais aussi sur le plan de leur organisation comme des contraintes pesant sur eux. Il nous aura ensuite fallu deux années entières, pour mener à bien ce projet, qui a été repris avec enthousiasme par Stéphane Campana, devenu entretemps Bâtonnier du barreau de la Seine-Saint-Denis au 1er janvier 2015. Nos deux barreaux se sont pleinement engagés dans ce processus, et un Conseil de l’Ordre commun, réuni en septembre 2015, a achevé de valider la fusion, qui a été unanimement approuvée.

Je tiens d’ailleurs ici à remercier les dirigeants des deux CARPA, Christine Gruber et Dominique Diey pour le Val-de-Marne, Stéphanie Chabauty et Yves Tamet pour la Seine-Saint-Denis. Sans leur travail cette belle aventure n’aurait pu être menée à son terme. Et naturellement l’UNCA nous a accompagnés avec dévouement et efficacité tout au long du processus.


3. Comment est organisée cette nouvelle entité ? Pouvez-vous rappeler les compétences des CARPA ?

Nous nous sommes attachés à valoriser les compétences acquises par chacun des deux barreaux, tout en veillant à ne rien modifier des pratiques de nos confrères, sur l’un comme l’autre des deux barreaux. C’est ainsi tout naturellement que nous avons créé deux pôles, l’un dédié aux opérations de maniement de fonds situé à Créteil et l’autre dédié au secteur assisté et à l’aide juridictionnelle situé à Bobigny. Chacun des deux Barreaux conserve ainsi une antenne de la CARPA, qui offre aux confrères exactement les mêmes services qu’auparavant. En partenariat avec la Banque Populaire Rives de Paris, qui a été retenue comme la banque de flux au terme d’un appel d’offres très précis, une navette quotidienne est mise en place entre les deux pôles, ce qui assure une communication parfaite et un échange en temps réel des documents nécessaires à l’activité de chacun de ces deux pôles. Les liens informatiques sécurisés mis en place ont achevé de rendre possible ce fonctionnement sur deux sites.

Cette organisation est le reflet des deux missions essentielles conférées aux CARPA :  celle d’abord de recevoir l’ensemble des fonds de tiers qui transitent par les cabinets des avocats, dans le cadre de leur activité professionnelle, et celle d’assurer le fonctionnement de l’aide juridictionnelle et d’assurer le paiement des missions effectuées dans ce cadre par les avocats, au moyen des dotations versées par l’État. Les CARPA ont reçu ce double mandat à raison de la sécurité juridique qu’elles offrent, et au renforcement de laquelle encore cette fusion a concouru.

En contrepartie de ce travail important, dont il convient de relever qu’il est effectué souvent à fonds perdu pour les Ordres en ce qui concerne l’aide juridictionnelle, les CARPA peuvent affecter une partie des produits dégagés par les placements qu’elle réalise au financement de missions strictement définies par l’article 235-1 du décret du 27 novembre 1991, à savoir les actions de formation, d’information et de prévoyance, les services d’intérêt collectif de la profession et les œuvres sociales des barreaux, et précisément les dépenses de fonctionnement du service de l’aide juridictionnelle ou l’aide à l’accès au droit (celles-ci excédant en charge largement le produit des intérêts des dotations qui nous sont versées !)


4. Quels sont vos projets et vos objectifs pour cette nouvelle CARPA

L’année 2016 est celle de la mise en place de cette CARPA de l’Est Francilien. Le premier objectif est d’abord de réussir cette fusion et d’en démontrer la pertinence. Nos efforts portent donc actuellement sur la rationalisation de l’organisation, le fonctionnement optimal des deux pôles, la formation du personnel et des administrateurs et la renégociation de tous nos contrats.

Cette fusion s’est accompagnée d’un changement de banque de flux, pour chacun des deux barreaux, ce qui constitue là aussi un bouleversement qu’il faut accompagner, mais qui nous a permis de sortir de certaines habitudes et de donner toute sa place à une offre plus compétitive comme à un partenariat renouvelé, au profit tant des barreaux que des Avocats qui y exercent d’ailleurs.

Notre ambition est, à la fin de cette année 2016, d’avoir pu réduire certaines charges pesant sur la CARPA, améliorer le rendement de nos placements et justifier du plein respect des normes réglementaires qui s’imposent, tout spécialement en termes de contrôle de nos opérations. C’est déjà un beau programme d’actions qui nous occupe pleinement !

Et nous ne doutons pas qu’alors, nous donnerons envie à d’autres barreaux de nous rejoindre.


5. Concrètement qu’est ce que cela va changer ?

J’ai presque envie de vous dire rien ! Mais rien pour les Avocats de nos deux barreaux, dont les pratiques ne doivent pas être modifiées, si ce n’est de manière marginale et l’incitation qui leur est faite d’utiliser plus activement la consultation d’i carpa, fonctionnalité offerte sur la plateforme du barreau et permettant de consulter en temps réel toutes ses affaires de maniement de fonds comme toutes ses missions d’aide juridictionnelle en instance de paiement. Il était déterminant pour nous que cela ne change rien à ce titre.

Plus sérieusement, cette fusion change aussi le mode de gouvernance, et s’appuie désormais sur douze administrateurs, six désignés par chacun des deux barreaux. Les statuts se sont efforcés de donner de la pérennité au fonctionnement de la CARPA, au-delà du changement de bâtonnier tous les deux ans.

La constitution de deux pôles spécialisés permet aux salariés qui y sont affectés d’acquérir en compétences et de former de vraies équipes, mieux en situation de s’épauler et de se remplacer. Lequel de nos barreaux n’a jamais été confronté à l’angoisse tirée de l’absence prolongée d’un salarié, seul en charge de telle ou telle mission sans qu’aucun autre n’ait la même expérience ou la même expertise ?

Et le fait de disposer d’une CARPA unique a conduit aussi les deux barreaux à initier ensemble d’autres projets et à aimer à travailler ensemble.

Pour autant, et c’était essentiel pour la réussite de ce projet, si chacun des deux barreaux a consenti des efforts, cette CARPA unique repose aussi sur une comptabilité analytique, qui rend compte des apports de chacun des barreaux et permet d’affecter de manière très équitable les produits financiers.


6. Quel est l’échelon de regroupement le plus adapté selon vous ? le ressort de la Cour d’Appel, dans votre cas celle de Paris, vous semble-t-il pertinent ?

Il me paraît difficile de donner à cette question une réponse unique, tant les réalités locales et régionales sont diverses sur l’ensemble du territoire. Je me permettrai donc uniquement de donner un avis personnel, sur la situation que je connais d’autant plus que je suis par ailleurs Président de la Conférence Régionale des Barreaux d’Ile-de-France. Il est bien certain que la présence du barreau de Paris, qui rassemble à lui seul plus de 40 % des Avocats de France, rend l’appréciation malaisée, et constitue pour les autres barreaux du ressort un défi majeur en termes de concurrence et parfois même de survie.

Il est acquis que le ressort d’une Cour d’Appel, qui devrait aussi être celui de la postulation à compter du 1er septembre 2016, est pertinent sur certains sujets, comme ceux de la discipline ou de la communication électronique. Au demeurant, des actions existent déjà à l’échelle de ce périmètre, et la Cour d’Appel de Paris, sous l’impulsion de sa Première Présidente, coordonne de manière active et engagée nos travaux sur le sujet majeur de la communication électronique civile comme pénale. Il est indispensable que nos pratiques soient harmonisées et que nous nous enrichissions tous des expérimentations qui sont menées avec diversité dans telle ou telle juridiction.

Pour le reste, je crois qu’il faut faire confiance aux barreaux et à leurs bâtonniers, qui savent mieux que tout autre quels sont les rapprochements qu’ils doivent initier. Les exemples ne manquent pas. Les barreaux de Seine-et-Marne organisent désormais des actions de formation communes, Créteil, Bobigny et Évry ont pareillement organisé des colloques en commun ou se sont engagés dans la promotion des modes alternatifs de règlement des litiges, la plupart des barreaux du ressort se sont retrouvés pour former ensemble un territoire unique dans le cadre du marché immobilier des Avocats… bref, je ne crois pas qu’il faille imposer un cadre territorial prédéfini, mais au contraire encourager simplement les barreaux à mener des projets en commun et à leur en donner les moyens.

C’est d’autant plus vrai à mon sens qu’il est bien des situations où les seules limites d’une Cour d’Appel ne sont pas adaptées. En ce qui concerne la région parisienne, Nanterre fait ainsi partie du ressort de la multipostulation avec Créteil, Bobigny et Paris et participe à ce titre à nos réunions, alors qu’il appartient au ressort de la Cour d’Appel de VERSAILLES. L’est et l’ouest de la région Ile de France, sur le ressort de deux cours d’Appels, peuvent avoir évidemment des projets en communs.

J’observe d’ailleurs que bien souvent, les conférences régionales regroupent des barreaux dépendant de cours d’appel différentes, ce qui ne les empêche aucunement de travailler en parfaite harmonie et de mener à bien de belles actions.


7. Que pensez-vous de l’idée d’aller plus loin encore dans le regroupement en créant un organisme unique de paiement des rétributions des Avocats au niveau national, comme l’avait suggéré le Président de la Cour des Comptes Philippe Séguin en 2008 ?

Très franchement, je ne suis pas séduit par cette proposition, qui s’inscrit dans cette longue tradition jacobine et centralisatrice de notre pays. Les réalités vécues par les barreaux sont très diverses, tout spécialement en matière d’aide juridictionnelle. Les CARPA réparties sur l’ensemble du territoire national ont démontré leur efficacité dans la gestion des fonds dédiés à l’aide juridictionnelle, au plus près des confrères qui parfois en vivent. Je ne suis pas du tout certain que l’éloignement du centre de paiement soit un gage d’efficacité !

À titre de simple exemple, qui peut croire qu’une administration d’État sera en capacité de mieux gérer qu’une CARPA le paiement de missions de garde à vue effectuées par des Avocats, lorsque plusieurs Avocats sont intervenus dans une même garde à vue mais que la loi ne prévoit la rémunération de la totalité de l’indemnité qu’au seul profit du dernier Avocat intervenant ? Croyez-moi, les Ordres et leurs CARPA ont acquis aujourd’hui une expertise qui me paraît difficile d’égaler.

Commençons plutôt par améliorer la communication entre les CARPA et les Bureaux d’Aide Juridictionnelle (BAJ), terrain sur lequel il y a beaucoup à faire, pour éviter des saisies multiples des mêmes informations. Et donnons à nos BAJ, ces services de nos juridictions totalement oubliés, aux effectifs exsangues, enfin les moyens d’une vraie politique de l’accès au droit dans notre pays.


8. Quelle est la part de la population pouvant prétendre à l’aide juridictionnelle dans l’Est Francilien ?

Je suppose que vous faites référence au périmètre couvert par la CARPA de l’Est Francilien, qui réunit les deux barreaux du Val-de-Marne et de Seine-Saint-Denis. Il est difficile d’obtenir des chiffres précis et très actuels. Ceux dont nous disposons, tirés des statistiques de l’administration fiscale en fonction du revenu de référence de ces deux départements, révèlent qu’entre-deux tiers et trois quarts de la population serait éligible à l’aide juridictionnelle.

Cela se traduit d’ailleurs dans les procédures judiciaires, puisqu’à titre de simple exemple, dans les affaires familiales, dans près de deux dossiers sur trois, au moins une des deux parties a l’aide juridictionnelle.

Cette réalité explique aussi pourquoi les deux barreaux du Val-de-Marne comme de la Seine-Saint-Denis ont toujours été très engagés dans les combats autour de la question de l’aide juridictionnelle. Sur nos deux départements, et contrairement à ce qui est faussement affirmé par les pouvoirs publics, très nombreux sont les Avocats qui interviennent au titre de l’aide juridictionnelle, non seulement par sens de l’engagement mais aussi parce que sinon ils ne répondent pas aux besoins de leurs concitoyens, tout simplement.


Retrouvez la suite de l'interview de Christophe Boré dans le numéro 14 du Journal Spécial des Sociétés du 20 février 2016


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