Justice

L’apocalypse judiciaire des Jeux olympiques n’a pas eu lieu


mercredi 21 août 202418 min
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Les tribunaux de Paris, Bobigny et Versailles, qui avaient anticipé une intense activité relative à la délinquance de rue, n’ont finalement pas été débordés. Ils ont toutefois maintenu un taux de réponse pénale élevé, fait d’ordonnances pénales sur déferrement, de « plaider-coupables » et surtout de comparutions immédiates. Leur nombre a doublé, voire triplé, dans les ressorts franciliens. Une culture du résultat qui interroge.

Calme plat. Les tribunaux franciliens s'attendaient à un raz-de-marée de délinquance pendant les Jeux olympiques. Il n’en a rien été. « Le niveau d’activité pénale lié aux Jeux est moins important que ce que l’on avait anticipé et que ce que l’on avait craint », détaillait à mi-parcours le procureur de la République de Bobigny, Eric Mathais. « Le bilan que nous pouvons faire de ces Jeux fait apparaître une délinquance tout à fait maîtrisée », a commenté pour sa part Pascal Prache, procureur de Nanterre.

Même son de cloche du côté de la cour d’appel de Versailles, où « les tribunaux ont constaté que le surcroît d’activité lié aux JO était raisonnable et leur permettait de traiter les dossiers habituels dans de bonnes conditions », a indiqué Jean-François Beynel, son premier président.

La réponse pénale en chiffres

Entre le 24 juillet et le 12 août, sur les 14 tribunaux judiciaires concernés, le ministère de la Justice a dénombré 227 affaires poursuivables « portant sur des faits soit commis dans les sites olympiques et fan-zones, soit au préjudice de personnes présentes spécifiquement pour la compétition », dont la moitié à Paris et au tribunal de Bobigny. Seules 8 de ces 227 affaires ont donné lieu à des classements sans suite.

Pour ce qui est de la réponse pénale, un peu plus des trois-quarts des affaires ont fait l’objet de poursuites (166 poursuites), dont près de trois-quarts avec déferrement, témoignant « de la fermeté de la réponse pénale des parquets », estime le ministère de la Justice.

« A cet égard, la comparution immédiate est la voie de poursuite la plus utilisée, représentant plus du tiers des poursuites. Près de 60% des personnes condamnées [le] sont à une peine privative de liberté », rajoute la chancellerie. Pour moitié, il s’agit d’infractions liées à des violences volontaires, des infractions au code de la route (voies réservées), ou des infractions de survol (drones, aéronefs). 40 % sont par ailleurs liées à des infractions économiques et financières.

Le détail des cours d’appel

« La délinquance considérée comme strictement en lien avec les Jeux a été modérée », confirme Marc Cimamonti, procureur général près la cour d’appel de Versailles. 46 mesures de garde à vue ont été prises entre le 24 juillet et le 14 août, se rapportant essentiellement à des troubles à l’ordre public ainsi qu’à des infractions visant des personnes exerçant une mission d’intérêt public. 26 d’entre elles ont fait l’objet de poursuites pénales (dont neuf en comparution immédiate), deux autres ont pu bénéficier des mesures alternatives aux poursuites.

De son côté, la cour d’appel de Paris recense 417 gardes à vue relatives à des infractions commises en lien avec les Jeux olympiques dans son ressort. Les trois-quarts des affaires poursuivies ont donné lieu à des modes de poursuite rapides : comparutions immédiates et comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité avec déferrement. Hormis la dégradation d’installations électriques SNCF dans le ressort du parquet de Chartres le 26 juillet, faits dont s’est saisi le parquet de Paris, la juridiction ne relève aucune affaire d’ampleur.

Une justice préparée

« Grâce à une très forte mobilisation, anticipée, les juridictions ont pu faire face, a salué Jean-François Beynel, premier président de la cour d’appel de Versailles. 50 magistrats supplémentaires par rapport à un été ordinaire ont été mobilisés, 85 greffiers, 150 avocats et 110 experts. » Il est vrai que les tribunaux franciliens s’étaient armés, en renforçant notamment les services de permanence et la filière de l’urgence pénale.

Le tribunal judiciaire de Paris a adapté sa capacité de jugement durant l’été en augmentant de 50% le nombre d’audiences de comparutions immédiates quotidiennes en semaine et de 100% le week-end par rapport à l’activité usuelle en période de vacations judiciaires.

Au total, ce sont 175 audiences pénales (hors application des peines) qui devaient être assurées cet été au tribunal de Bobigny, 30% de plus par rapport à l’organisation estivale classique. Côté barreaux, en Seine-Saint-Denis, 32 avocats par jour ont été mobilisés et se sont répartis les tâches sur différents secteurs afin de pouvoir couvrir l’intégralité du département. 

Une activité classique accrue

Si le nombre d’affaires en lien avec les Jeux olympiques a été relativement restreint, et n’a pas atteint le niveau attendu, « les parquets ont cependant connu une activité accrue pendant la période olympique », ont indiqué les parquets généraux de la cour d’appel de Paris et de Versailles. Une hausse qui s’explique par la « présence renforcée des forces de sécurité intérieure conduisant notamment à une augmentation des interpellations en flagrance », selon le parquet général de la cour d’appel de Paris.

Avec pour corollaire une multiplication des comparutions immédiates. « Les juridictions du ressort de la cour d’appel de Versailles ont non seulement assuré sans difficulté leur activité habituelle, mais elles ont aussi pu mettre en place, par déploiement progressif de leurs moyens, un doublement, voire un triplement des comparutions immédiates », a déclaré le premier président de la cour d’appel.

« Cet été, le renforcement de l’action judiciaire a permis de multiplier par trois le nombre de comparutions immédiates tenues pour traiter toutes les autres infractions commises sur le ressort comparé à la même période l’année dernière, confirme le procureur de Nanterre, Pascal Prache. Ce qui porte à 200 le nombre de comparutions immédiates sur les trois semaines des Jeux. » Ce qui pose la question : la justice s’est-elle transformée en simple auxiliaire de police pendant l’interlude olympique ?

Un effet boomerang après les Jeux ?

« Tout le monde a joué le jeu : police et magistrature, siège et greffe », reconnaît Elodie Lefebvre, directrice du pôle accès aux droits et à la justice, en charge de l'organisation des permanences de défense d’urgence au barreau de Paris. « Cette justice d’exception a bien fonctionné mais ce n’est pas la justice que l’on voudrait. Quand la doctrine veut juger vite, nous demandons à juger bien. »

L’avocate critique le recours « systématique » aux comparutions immédiates, une « procédure d’exception » qui ne devrait pas se substituer au « fonctionnement normal de la justice ». « On parle de personnes retenues 24 ou 48 heures en garde à vue, privées depuis plusieurs jours de liberté, mais aussi de douche, de sommeil, de vêtements de rechange, resitue la pénaliste. Ce ne sont pas des conditions optimales de justice. »

Par ailleurs, l’avocate s’interroge : « À quel prix ces moyens ont-ils été déployés ? Il a été demandé à des greffiers, des magistrats, de ne pas prendre de congés. Les moyens déployés étaient nécessaires pour être à la hauteur face au risque d’augmentation de la délinquance. Mais comment va fonctionner le retour à la normale ? Les Jeux olympiques de Paris, c’est aussi un gros processus de nettoyage social : des expulsions de campements, des mises à l’abri de mineurs non accompagnés précaires, des interdictions de paraître sur le territoire parisien. Ce public précaire va revenir. On ne mesure pas encore les conséquences du retour à la normale. »

Delphine Schiltz

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