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La réforme du droit des
sûretés intervenue en 2006 avait laissé de côté le cautionnement, faute
d’habilitation sur ce périmètre. Son régime, éclaté entre le Code civil et des
textes spéciaux, a engendré une profusion de décisions judiciaires et de
solutions variées, les juridictions adoptant tantôt une position protectrice
inspirée du droit de la consommation, tantôt une approche plus libérale.
Appréhender des sujets tels que la mention manuscrite, la disproportion de
l’engagement, le devoir de mise en garde ou l’étendue de l’opposabilité des
exceptions, relève encore aujourd’hui d’une casuistique qui laisse le praticien
perplexe. C’est donc tout à fait logiquement que l’article 60 de la loi PACTE du 22 mai 2019 a habilité le
gouvernement à réformer le droit des sûretés avec pour premier objectif de « 1°
Réformer le droit du cautionnement, afin d’en rendre son régime plus lisible et
d’en améliorer l’efficacité, tout en assurant la protection de la caution
personne physique ».
L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit
des sûretés atteint incontestablement l’objectif de lisibilité en centralisant
les règles du cautionnement dans le seul Code civil et en abrogeant les
dispositions éparses logées dans le Code de la consommation, le Code monétaire
et financier et des lois spéciales.
Quant à l’équilibre entre
l’efficacité de la sûreté et la protection de la caution personne physique, la
pratique dira s’il est atteint, mais, a priori, le Code civil semble
donner l’avantage à cette dernière. Et la protection de la caution personne
physique se trouve encore renforcée par le livre VI du Code de commerce
relatif aux difficultés des entreprises qui a été concomitamment réformé par
une ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021.
La protection par le Code civil
La
mention à apposer par la caution quant à la portée de son engagement était
jusqu’à présent exigée par le Code de la consommation, à peine de nullité, pour
le cautionnement consenti par une personne physique en faveur d’un créancier
professionnel. Cela a donné lieu à de nombreux débats judiciaires, notamment
quant à la notion, non définie par la loi, de créancier professionnel.
Désormais, la mention sera exigée en présence de tout créancier, professionnel
comme profane (C. civ., art 2297). Cela marque donc la fin d’un contentieux et
devrait réjouir les juges, ce d’autant que l’exigence de la reproduction
stricte d’une mention légale prédéterminée, qui alimentait aussi bon nombre de
procès, se trouve supprimée. Dorénavant, la caution devra apposer « elle-même
la mention qu’elle s’engage en qualité de caution à payer au créancier ce que
lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d’un
montant en principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffres ».
La sanction de cette exigence est la nullité du cautionnement, étant toutefois
précisé qu’en cas de différence entre les chiffres et les lettres, l’engagement
vaudra pour la somme écrite en lettres. La réforme pose également une exigence
concernant les bénéfices de discussion et de division. Si la caution est privée
de l’un ou l’autre de ces bénéfices, alors elle doit reconnaître dans la
mention précitée ne pouvoir exiger que le créancier poursuive d’abord le
débiteur ou qu’il divise ses poursuites entre les cautions ; à défaut
d’une telle reconnaissance, elle conserve le droit de se prévaloir de ces
bénéfices. Notons par ailleurs que les mêmes exigences s’appliquent au mandat de
se porter caution, parallélisme des formes oblige.
Étendre
au créancier non professionnel l’exigence de la mention renforce la protection
de la caution, mais c’est aussi prendre pour postulat que cette dernière est
nécessairement la partie faible, ce qui est loin d’être toujours le cas,
notamment entre particuliers. Ainsi, la souscription par la caution avertie
d’un engagement qu’elle savait nul ou inefficace au profit d’un créancier
profane pourrait être la source d’un nouveau contentieux sur le terrain de la
mauvaise foi de la caution. Encore faut-il ajouter que la nullité édictée est
sans doute relative et, partant, susceptible de renonciation expresse, mais
aussi tacite en cas d’exécution volontaire du cautionnement par la caution en
connaissance de cause (C. civ., art. 1182).
Le
devoir de mise en garde est, quant à lui, étendu et plus efficacement
sanctionné. En application du nouvel article 2299 du Code
civil, ce devoir, d’origine prétorienne, s’impose désormais à tout créancier
professionnel et non plus seulement aux établissements de crédit, lorsque
« l’engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités
financières de ce dernier ». Il protège à l’évidence la caution
personne physique profane. Concerne-t-il aussi la caution avertie ? La loi
ne distinguant pas, on est tenté de répondre par l’affirmative en l’état. Il
n’en reste pas moins que cela pourrait conduire à une situation assez
singulière. Ainsi, la caution avertie, dirigeante d’une entreprise en
liquidation judiciaire, serait en droit de poursuivre une banque qui ne
l’aurait pas personnellement mise en garde sur le caractère excessif du prêt
consenti à son entreprise, alors même qu’elle avait connaissance de ce
caractère. Cela étant, l’issue de la difficulté se trouve peut-être du côté de
la sanction. Celle-ci consiste en une déchéance du droit du créancier contre la
caution « à hauteur du préjudice subi par celle-ci ». En présence
d’une caution de toute façon avertie, le créancier aura beau jeu de faire
valoir que, même mise en garde, ladite caution aurait souscrit l’engagement et
qu’elle ne subit donc aucun préjudice du fait du manquement.
La
notion de déchéance annonce par ailleurs sans doute une importante évolution.
Jusqu’alors, le devoir de mise en garde était sanctionné sur le terrain de la
responsabilité civile. La caution devait donc engager la responsabilité
contractuelle du créancier dans le délai de prescription quinquennale (le plus
souvent par voie de demande reconventionnelle) pour obtenir des dommages et
intérêts à raison de la perte de chance de ne pas contracter et pour en
demander la compensation avec la somme due au créancier, ce qui était source de
complications procédurales. Avec la réforme, la donne est différente. Sur le
terrain du Code de la consommation, il a été jugé que le moyen tiré de
l’impossibilité pour le créancier de se prévaloir d’un cautionnement
disproportionné constitue une défense au fond (C. proc. civ., art. 71 et 72)
qui échappe à la prescription extinctive (Com., 31 janv.
2018, n° 16-24092).
Or cette impossibilité est souvent analysée en une déchéance. La même solution
pourrait donc être retenue s’agissant de la déchéance instituée par la réforme.
La sanction du manquement au devoir de mise en garde améliore donc
potentiellement la position de la caution personne physique en cas de
contentieux.
En ce
qui concerne, justement, la disproportion du cautionnement, le nouvel article 2300 du Code
civil conjugue assez finement l’intérêt du créancier professionnel et la
protection de la caution personne physique. La disproportion manifeste de
l’engagement par rapport aux revenus et au patrimoine de la caution au moment
de sa souscription n’entraîne plus une décharge totale mais une réduction au
montant auquel la caution pouvait s’engager lors de la souscription. Reste à
savoir si la solution retenue à propos de la prescription sera transposée en ce
domaine. En revanche et contrairement à ce qui était prévu par le Code de la
consommation, il n’est plus tenu compte d’un éventuel retour à meilleure
fortune de la caution au jour de la mise en œuvre de son engagement. Les
banques sont donc ainsi dissuadées de ne pas vérifier la situation de la
caution au moment de la souscription.
Enfin,
l’inopposabilité des exceptions est étendue à toutes les exceptions,
personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur (C. civ.,
art. 2298). La réforme rétablit ainsi pleinement le caractère accessoire du
cautionnement et met fin à une jurisprudence qui avait assez largement étendu
le domaine des exceptions « purement personnelles », inopposables par
la caution au créancier (v., dans le présent dossier, S. Graslin-Latour et P.
Bouijoux, Les nouveaux moyens de défense de la caution portant sur la dette
garantie p.9). L’article 2298 pose
néanmoins une limite qui est censée garantir au créancier que le cautionnement
sera efficace le jour où il aura le plus vocation à l’actionner, en prévoyant
que « … la caution ne peut se prévaloir des mesures légales ou
judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance, sauf
disposition spéciale contraire ». Or, la réforme du droit des
difficultés des entreprises qui a été menée parallèlement offre à la caution
personne physique une protection étendue qui réduit quasiment à néant
l’efficacité de cette sûreté, sauf en cas de liquidation judiciaire.
La protection par le livre VI du Code de commerce
La
procédure de sauvegarde a été instituée pour permettre aux entreprises de se
placer sous protection du tribunal avant d’être en état de cessation des
paiements, une grande majorité des procédures de redressement judiciaire se
soldant par une liquidation judiciaire. Pour promouvoir la sauvegarde auprès
des dirigeants d’entreprise, souvent cautions, le législateur y avait donc prévu
des règles beaucoup plus protectrices pour les cautions personnes physiques
qu’en cas de redressement judiciaire. En effet, même si les garants personnes
physiques bénéficiaient, en sauvegarde comme en redressement judiciaire, de la
suspension des poursuites durant la période d’observation préalable à l’arrêté
du plan, seule la procédure de sauvegarde donnait à ce garant le droit de se
prévaloir de l’arrêt du cours des intérêts pendant la période d’observation, de
l’inopposabilité des créances non régulièrement déclarées pendant l’exécution
du plan et, surtout, le droit de se prévaloir des échéances du plan de
règlement des créanciers arrêté par le tribunal (C. com., art. L. 626-11).
Ainsi, et après un parcours judiciaire souvent éprouvant à l’issue duquel le
dirigeant parvenait à faire entériner un plan de redressement judiciaire, il
pouvait encore être poursuivi comme caution tout en devant se consacrer à la
croissance de l’entreprise nécessaire au paiement des engagements du plan au
profit des créanciers. Il faut admettre que la situation était peu
enthousiasmante et peu en phase avec une politique voulant favoriser le droit
au rebond et dédiaboliser le régime des entreprises en difficulté. La réforme y
met fin : la caution personne physique bénéficiera dorénavant en
redressement judiciaire de la même protection qu’en cas de sauvegarde.
Enfin et dans une logique visant à rendre plus attractive la procédure préventive et confidentielle qu’est la conciliation, l’ordonnance y renforce la protection de la caution (ici personne physique comme personne morale) en maintenant son droit à invoquer le bénéfice des délais de grâce octroyés à l’entreprise par le juge pendant la période de conciliation sur le fondement de l’article 1343-5 du Code civil et en l’étendant à ceux octroyés dans l’hypothèse où un créancier appelé à la conciliation sollicite, pendant la phase d’exécution de l’accord, le paiement d’une créance qui n’a pas fait l’objet dudit accord (C. com., art. L. 611-10-1 et 2).
Les
mesures de protection ci-dessus sont chacune édictées dans une « disposition
spéciale contraire » et elles ont donc valeur d’exception au sens du
nouvel article 2298 du Code
civil précité. Elles ne devraient donc pas poser de difficultés d’application.
En revanche, on peut s’interroger, en cas de plan de cession d’entreprise, sur
le point de savoir si la caution sera libérée de son engagement à l’égard des
banques dans l’hypothèse prévue par l’article L. 642-12,
alinéa 4, du Code de commerce. Cet article prévoit en
substance que l’acquéreur d’un bien financé par un prêt garanti par une sûreté
grevant ce bien doit rembourser à la banque les échéances qui deviendront
exigibles à la date du transfert de propriété. Pour autant, la Cour de
cassation a jugé que cette disposition n’avait pas d’effet novatoire, de sorte
que le débiteur en procédure collective reste tenu au paiement de la dette
(Com., 20 mars 2019, n° 17-29009)
de même que la caution (Com., 13 avril 1999,
n° 97-11383).
L’ordonnance modifie sur ce point la situation du débiteur en prévoyant à
l’article L. 642-12, alinéa 4, que « Le
débiteur est libéré de ces échéances ». Rien n’est prévu en revanche
concernant le sort de la caution. Pour certains auteurs, le renforcement du
caractère accessoire du cautionnement opéré par la réforme des sûretés devrait
conduire à libérer la caution (v. Nicolas Borga et J. Théron, Ordonnance du
15 septembre 2021 réformant
le droit des entreprises en difficulté, un tournant ?, D.
2021, chr. p. 1 773, spéc. n° 34,). Cette
analyse peut être discutée au regard du nouvel article 2298 Code
civil. La libération ainsi prévue par la loi ne constitue-t-elle pas une mesure
« dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance »,
au sens de ce texte ? Cela paraît d’autant plus envisageable que la
cession d’entreprise est régie dans le livre VI du Code de commerce comme un
mode de liquidation judiciaire où, précisément, l’efficacité du cautionnement
trouve son terrain d’élection, la caution n’y bénéficiant d’aucune autre
protection que celle du Code civil.
Emmanuel Laverrière,
Avocat associé,
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