La conciliation délicate de l’obligation de confidentialité avec la liberté de la presse


jeudi 23 juillet 202015 min
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Conclusions de Madame l’avocate générale Caroline Henry sous Cass. com., 13 févr. 2019, pourvoi n° 17-18.049: P+B+I.

1. L’affaire dans le cadre de la même procédure en référé est déjà connue de votre chambre pour avoir fait l’objet d’une décision de cassation en date du 15 décembre 2015 (Cass. com., 15 déc. 2015, pourvoi n° 14-11.500, P+B+R+I: Bull. IV, n° 169 ; D. 2016, p. 5, note A. Lienhard; Rev. pr. coll. janv. 2016, n° 1, comm. 1, obs. C. Delattre; Rev. sociétés 2016, p. 193, obs. P. Roussel-Galle; RTD com. 2016 191, obs. F. Macorig-Venier, J.-M. Guarinot et V. Cuisinier, RLDA, n° 114, 1er avr. 2016, note Monsieur-H. Monsèrié-Bon, Comm. Comm. Electr. n° 3, mars 2016, comm. 26, A. Lepage, JCP G n° 8, fév. 2016, 216, note G. Loiseau, JCP E n° 6, 11 fév. 2016, 1085, note T. Stéfania).

Les faits donnant lieu à ce feuilleton judiciaire concernant la confidentialité des procédures préventives et la liberté d’expression, dont se réclame la presse spécialisée en matière d’endettement des entreprises, sont emblématiques des difficultés à préserver le secret du mandat ad hoc et de la conciliation face à la revendication de la liberté d’information, une des libertés fondamentales en démocratie, défendue par les journalistes classiquement qualifiés de chiens de garde de cette dernière (T. Stefania, note préc. Elle figure dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme : CEDH, Thorgeir Thorgeirson c/ Islande, 25 juin 1992, série A n° 239, p. 27, § 63.- CEDH, Goodwin c/ Royaume-Uni, 27 mars 1996, § 39.- CEDH, Bladet Tromsø et Stensaas c/ Norvège [GC], n° 21980/93, § 59).

Les sociétés du groupe Consolis ont fait l’objet d’un achat à effet de LBO. En 2012, après une première restructuration de la dette du groupe rendue nécessaire en raison de la survenance de la crise financière de 2008, ces dernières ont bénéficié d’un mandat ad hoc. Quelques jours plus tard, la société Mergermarket publiait une série d’articles très détaillés sur l’ouverture et le déroulement des négociations dans le cadre de ce mandat. Soucieux de préserver la confidentialité, essentielle à la réussite de la procédure préventive, les sociétés du groupe Consolis et la selarl FHB ont assigné la société Mergermarket en référé, demandant le retrait des articles et l’interdiction de publier d’autres papiers sur le sujet, afin d’assurer le respect de la confidentialité du mandat ad hoc. À la suite de l’arrêt de cassation du 15 décembre 2015, la cour d’appel de renvoi a confirmé, par un arrêt du 20 avril 2017 (v. pour un commentaire approbatif : C. Delattre, Rev. proc. coll. n° 6, nov. 2017, comm. 132), l’ordonnance de référé du 16 novembre 2012 en ordonnant des mesures protectrices de la confidentialité des procédures préventives. Cette décision fait l’objet d’un pourvoi en cassation ici étudié.

2. Le moyen unique, articulé en quatre branches, entend faire entrer l’information relative aux procédures préventives dans le cadre d’un débat d’intérêt général pour restaurer la liberté d’information, droit conditionnel (J.-F. Renucci, Droit européen des droits de l’homme, LGDJ, éd. 1999, n° 58) car limité en application de l’article 10 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). Il pose la question de la présence du fait justificatif d’origine prétorienne qu’est le débat d’intérêt général pour rétablir le droit à la liberté d’expression lorsque celui-ci a fait l’objet d’une limitation par l’état. En d’autres termes, le pourvoi conduit à réfléchir sur l’exception de l’exception pour revenir à la prévalence de la liberté d’information et écarter la caractérisation du trouble manifestement illicite et du dommage imminent dans le cadre de la procédure en référé.

3. La limitation acquise de la liberté d’information. Fait notable, le moyen ne revient pas sur la limitation apportée, en application de l’article 10 § 2 de la CEDH et de l’article L. 611-15 du Code de commerce, à la liberté d’information. Il est vrai que toutes les conditions à sa reconnaissance semblent acquises depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre 2015, comme le montre la lecture de l’arrêt de la cour d’appel.

En présence de droits conditionnels, telle la liberté d’expression, l’ingérence de l’État est possible (J.-F. Renucci, préc., n° 277 et s).

4. Les conditions de l’ingérence de l’état sont au nombre de trois :

• elle doit être prévue par la loi,

• elle doit poursuivre un but légitime,

• elle doit être nécessaire dans une société démocratique (J.-F. Renucci, préc., n° 279 et s).

Première condition : l’intervention de la loi (la liberté d’expression en Europe, Jurisprudence relative à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, dossier sur les droits de l’homme, n° 18, éd. du Conseil de l’Europe, spéc. p. 8). Elle est indiscutable, dès lors que le principe de confidentialité posé par l’article L. 611-15 est interprété comme étant général et s’imposant aux tiers à la procédure (informés par la violation de leur obligation de confidentialité par les personnes visées au sens strict par le texte). La marge de manœuvre laissée aux états en la matière est relativement importante car ils doivent apprécier les circonstances dans lesquelles les droits garantis doivent être circonscrits (CEDH, Worm c/ Autriche, 29 août 1997, Recueil 1997-V, p. 1551, § 47 ; CEDH, Nilsen et Johnsen c/ Norvège, § 43). En outre, la notion de loi est comprise au sens large pour inclure la jurisprudence (pour tenir compte de la spécificité du droit anglo-saxon, J.-F. Renucci, ouv. préc.). Ainsi, cette première condition est d’autant plus vérifiée que votre chambre a clairement posé la limite à la liberté d’information par le nécessaire respect de la confidentialité des procédures préventives.

Cette loi doit être accessible aux citoyens et prévisible dans ses effets [CEDH, Cour (Plénière), 26 avr. 1979, Sunday Times c/ Royaume-Uni, n° 6538/74. La liberté d’expression en Europe, dossier sur les droits de l’homme, n° 18, préc. p. 9.- CEDH, Gawêda c/ Pologne, n° 26229/95, Recueil 2002-II]. Autant de qualités que la cour d’appel vérifie, sans qu’elles soient critiquées par le pourvoi.

Deuxième condition : le but poursuivi par la loi doit être légitime. Ce dernier est défini par l’article 10 § 2 lui-même qui prévoit expressément la possibilité de limiter la liberté d’expression pour préserver la sauvegarde d’informations confidentielles et la protection de la réputation ou des droits d’autrui. En l’espèce, l’intérêt légitime n’est pas discutable, il est mis en valeur tant par l’arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre 2015 que par l’arrêt de la cour d’appel critiqué par le pourvoi. Il s’agit de la prévention des difficultés des entreprises par des mesures de nature contractuelle et confidentielle (mandat ad hoc et conciliation) dont le but est de sauvegarder l’emploi et l’activité économique des entreprises. Cet objectif est d’autant plus légitime qu’il s’inscrit dans le cadre d’un consensus européen (ce consensus pourrait devenir un élément positif d’évaluation de la légitimité de l’objectif poursuivi en devenant la réciproque de l’utilisation de ce consensus par les juges pour contrôler la marge de manœuvre laissée aux états pour déroger à la liberté d’expression, J.-F. Renucci, ouv. préc. p. 382) puisqu’une directive de l’Union européenne visant les cadres de restructuration préventifs, à la seconde chance et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficience des procédures de restructuration, d’insolvabilité et d’apurement est en voie d’adoption (l’adoption par le COREPER est en principe intervenue le 19 décembre 2018 et la directive devrait être adoptée avant les élections du Parlement européen du mois de mai 2019.)

Troisième condition : la restriction à la liberté d’expression doit être nécessaire dans une société démocratique. Notion délicate à appréhender, cette dernière condition est interprétée de manière stricte (Dossier sur les droits de l’homme n° 18 préc. p. 9).

La référence au caractère nécessaire évoque un besoin impérieux. La doctrine met en exergue trois sous-critères : la nécessité de la mesure prise, d’abord, le lien et la proportionnalité entre la mesure et le but légitime invoqué, ensuite, la compatibilité de la mesure et l’esprit démocratique, enfin (J.-F. Renucci, préc. p. 380, n° 281). Il y a peu de jurisprudence rendue sur ce point en droit des affaires pour éclairer l’application de cette dernière condition, mais la directive européenne en cours d’adoption favorable à la prévention des difficultés des entreprises (premier texte d’harmonisation en la matière) et la directive « secret des affaires » (La directive 2016/943/UE du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites), transposée par la loi française du 31 juillet 2018, témoignent de la reconnaissance d’un besoin impérieux de préserver des informations économiques confidentielles nécessaires à la protection du tissu économique, des intérêts des créanciers et de la restructuration des entreprises.

5. Ces conditions sont toutes vérifiées plus ou moins directement par la cour d’appel dans le prolongement de l’arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre 2015. Au demeurant ce point n’est plus remis en cause par le moyen qui ne revient pas sur l’exception mais ne s’attache qu’à l’exception de l’exception ; la question d’intérêt général qui est le joker de la liberté de la presse pour dépasser l’interdiction de divulgation qui la frappe.

6. Le fait justificatif restaurant la liberté d’information. Le moyen unique critique la cour d’appel de ne pas avoir reconnu que les informations détaillées relatives au mandat ad hoc et de la conciliation du groupe Consolis participent d’un débat d’intérêt général imposant de revenir au principe de la liberté d’expression et d’information.

Comme le souligne Madame le rapporteur, l’opposition entre deux droits fondamentaux est mise en exergue ; elle doit être tranchée dans le respect de la jurisprudence de la CEDH, mais aussi dans le cadre de la marge de manœuvre qui est laissée aux états dans l’appréciation de la notion prétorienne de débat d’intérêt général (v. notamment: C. Michalski, Liberté d’expression et débat d’intérêt général, analyse critique, AJ Pénal 2013, p. 19) et qui est d’autant plus large que le domaine concerné, ici commercial, n’est pas jugé sensible et intéressant plus particulièrement le public.

7. Ce fait justificatif, à défaut d’une claire définition, est générateur d’une insécurité juridique d’autant plus grande que la Cour EDH exerce son contrôle sur l’appréciation qui en est faite par les états. Il est inutile de revenir sur les développements complets du rapport auxquels il suffit de renvoyer. Un auteur (C. Michalski, art. préc.) a tenté de mettre en évidence les éléments permettant de caractériser la notion d’intérêt général pour la rendre plus prévisible, tout en dénonçant sa trop grande plasticité qui ne garantit pas contre l’arbitraire du juge (y compris européen !).

Elle peut être caractérisée par des critères spatial et temporel. Le débat d’intérêt général devrait concerner à tout le moins l’opinion publique d’un pays dans son entier, voire en dépasser les frontières. Toutefois, la Cour EDH n’en fait pas un critère déterminant pour reconnaître un intérêt à l’échelle régionale, locale voire à celle d’un simple département d’université (C. Michalski, art. préc. citant en note la jurisprudence de la Cour EDH).

Il serait logique de considérer que le débat d’intérêt général soit contemporain à la diffusion des informations, mais l’appréciation in concreto opérée par la Cour EDH permet de s’affranchir de cette évidence, et de n’en faire qu’un élément parmi d’autres.

Les critères les plus pertinents sont, toujours selon cet auteur, d’ordre factuel. Lié à la préservation d’un droit politique, le débat d’intérêt général est établi, dès lors que les questions débattues relèvent de l’arène politique (CEDH, Cour plén. 8 juillet 1986, Lingens c/ Autriche, § 42), de l’exercice de la justice (fonction régalienne de l’état), des faits de corruption, des questions de santé publique ; le tout tempéré par la personnalité des personnes, sujets de l’information (hommes politiques, personnalités médiatisées…).

Au final, force est de reconnaître qu’une définition claire et précise pourtant saine et utile dans une société démocratique (C. Michalski, art. Préc.) ne se dégage pas, laissant une très grande place à l’appréciation que font les juges du principe de proportionnalité dans la balance des intérêts en présence, par nature, contradictoires. En l’espèce, la cour d’appel n’a rien fait d’autre que d’opérer cette balance. Or ici, entre l’information détaillée sur les difficultés d’un groupe de la taille de Consolis et la confidentialité des négociations menées en prévention – condition de leur réussite, de la sauvegarde de l’activité et des emplois – c’est bien la confidentialité qui l’emporte.

8. Plusieurs éléments en matière de confidentialité des mesures préventives des difficultés des entreprises conduisent à exclure l’application du fait justificatif invoqué par le moyen du pourvoi. Outre les éléments soulignés par la cour d’appel, il suffit de rappeler deux éléments déterminants. Le premier est lié aux recommandations de l’Autorité des marchés financiers (AMF), et le second à la reconnaissance du secret des affaires qui inclut la confidentialité de la prévention.

9. L’AMF, dans ses recommandations concernant les difficultés des sociétés cotées en bourse, distingue entre les procédures préventives confidentielles et les procédures collectives judiciaires, ce qui n’est pas sans intérêt pour répondre à la deuxième branche du moyen unique du pourvoi. Les recommandations du 16 octobre 2016 (Position-recommandation du 26 octobre 2016, AMF Guide de l’information permanente et de la gestion de l’information privilégiée – DOC-2016-08, spéc. point 1.4.4.2, p. 21), qui reprennent, avec quelques variantes, les positions adoptées dans les recommandations du 28 juillet 2009 (Position DOC-2009-14 – Information financière diffusée par les sociétés en difficulté) confirment la volonté de concilier la nécessaire information sur les dettes des sociétés cotées, invoquée par la société Mergermarket, et l’indispensable confidentialité des mesures préventives.

L’articulation de normes apparemment contradictoires (C. com., art. L 611-15 et MAR, art. 17.1, règlement général de l’AMF, art. 223-1) est prise en compte. Si l’information des procédures préventives est due à l’AMF, cette dernière prend des dispositions pour mettre l’information sous embargo, afin de tenir compte de l’intérêt légitime de l’émetteur (v. le report possible de la diffusion de l’information d’ouverture d’une procédure préventive. Trois conditions cumulatives doivent être vérifiées : – « la publication immédiate est susceptible de porter atteinte aux intérêts légitimes de l’émetteur [...] » ; le retard de publication n’est pas susceptible d’induire le public en erreur ; l’émetteur [...] est en mesure d’assurer la confidentialité de ladite information »). Il en résulte que l’AMF, elle-même, constate que « le marché peut ne pas être informé de l’ouverture d’une procédure de prévention (mandat ad hoc et conciliation) bien que cette information soit une information privilégiée, dès lors que les conditions de différé de publication d’une information privilégiée sont remplies (l’émetteur justifie d’un intérêt légitime, l’absence de publication n’induit pas le public en erreur et l’émetteur est en mesure d’assurer que la procédure reste confidentielle) » (Recommandations 2016, préc. p. 22). Par suite, il semble difficile de souscrire à l’existence d’un débat d’intérêt général relative à l’information du public là où l’AMF, elle-même, juge possible de respecter la confidentialité…

10. La loi du 31 juillet 2018 sur le secret des affaires, validée par le Conseil constitutionnel (Cons. Constit., Déc. N° 2018-768, 28 juillet 2018), en dépit des débats autour de l’atteinte à la liberté de la presse, apporte un argument supplémentaire pour écarter le fait justificatif du débat d’intérêt général invoqué par le moyen. La définition, reprise de la directive et posée par l’article 151-1 nouveau du Code de commerce, devrait concerner les échanges caractéristiques des procédures préventives (Dans le même sens, Monsieur Laroche, Secret des affaires et droit des entreprises en difficulté, JCP E n° 35, 1er sept. 2016 1458, spéc. n°4, qui estime que le rapprochement entre le secret des affaires et la confidentialité des procédures préventives ne fait guère de doute « dès lors que les difficultés de l’entreprise ne constituent pas une information immédiatement accessible, sont généralement tenues secrètes par le débiteur et acquièrent une valeur commerciale par les effets que leur diffusion peut avoir sur la vie de l’entreprise »). Toute information répondant aux critères suivants est visée : « 1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ; 2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; 3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret. ». Dans leurs autres dispositions, la directive comme la loi sur le modèle de cette dernière, prévoient un espace pour les « lanceurs d’alerte » limitant d’ores et déjà la place laissée à la notion de débat d’intérêt général en matière de secret des affaires. L’équilibre recherché pour dépasser la contradiction entre la liberté d’information et la confidentialité commerciale a toujours comme critère le débat d’intérêt général, mais il n’entend pas sacrifier le secret des affaires tant en droit européen qu’en droit français et ce avec l’approbation des autorités européennes et du Conseil constitutionnel qui s’en remet à ces dernières (C. com., art.

L. 151-8, 2°.- Cons. Constit., Déc. n° 2018-768, 28 juill. 2018, spéc., n° 24 qui renvoie à l’article 5 de la Directive transposée).

11. Au demeurant, déjà la loi « Sapin 2 » du 9 décembre 2016 (loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ; JORF n° 0287 du 10 décembre 2016. Il est fait réserve de l’article 6 de cette loi dans l’article

L. 151 8 3° de la loi dite « secret des affaires ») en son chapitre II instaure un régime de protection des lanceurs d’alerte (ce que ne prétend pas être le demandeur au pourvoi en l’espèce) et définit dans son article 6 le domaine de la protection. Le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l’alerte ce qui ne couvre pas le secret des affaires. Cependant, le domaine de l’intérêt général à prendre en considération est fortement restreint, puisque ce même article énonce que le lanceur d’alerte révèle une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général (sur l’articulation de la loi Sapin 2 et de la loi secret des affaires au regard des lanceurs d’alerte : C. Blanquart, Les lanceurs d’alerte et la protection des informations confidentielles au sein de l’entreprise ; JCP S n° 37, 18 sept. 2018, 1292, spéc. n° 17 et s.).

Si l’exception à la liberté d’information est posée ; elle ne devrait pas être le cheval de Troyes fragilisant la protection du secret des affaires, car l’approche du débat d’intérêt général est clairement circonscrite par le droit français pourtant soucieux de respecter les canons des exigences européennes. Il n’en demeure pas moins que la Cour EDH opère un contrôle in concreto dont l’issue est difficile à anticiper (C. Michalski, art. Préc.).

12. La balance des intérêts contradictoires doit être faite à l’aune de ces derniers éléments en résistant à la tentation d’un renversement des arguments. Certes l’information de l’ouverture (sans autres éléments de précision) d’une procédure préventive des difficultés des entreprises peut relever d’un débat d’intérêt général si l’entreprise en cause présente une dimension suffisante pour « impacter » le monde économique, mais cela ne couvre pas la diffusion du contenu des négociations et concessions réalisées par les partenaires de l’entreprise fragilisée. La cour d’appel s’applique d’ailleurs à distinguer ces deux types d’informations. Le détail des échanges menés dans le cadre des procédures de prévention doit rester confidentiel pour garantir le redressement du débiteur, mais aussi pour protéger ses créanciers de pressions ultérieures de la part de leurs partenaires pour obtenir des avantages équivalents… Dans un contexte particulier (et sans assimilation possible), la situation rappelle la nécessité du maintien des conditions d’une saine concurrence entre les opérateurs économiques ainsi que l’interdiction de tout délit d’initié sur les marchés boursiers. Le respect de l’intérêt général plaide pour le respect de la confidentialité et la notion de débat d’intérêt général ne devrait pas pervertir cette exigence.

13. Ces constatations éclairent les deux premières branches du pourvoi.

En ce qui concerne la première branche et l’ajout d’une condition à la loi entraînant une violation de l’article 10 de la CEDH, il convient de revenir à la notion prétorienne de débat d’intérêt général (qui est un ajout au texte en soi). La cour d’appel constate que la preuve n’est pas apportée que la connaissance du détail des négociations en procédures préventives relève d’un débat d’intérêt général. Elle ajoute que la communication du recours à ces procédures suffit sans violer la confidentialité posée par la loi. Au-delà, comme le montre l’analyse de la notion de question d’intérêt général (C. Michalski, art. préc.), cette dernière ne se trouve pas vérifiée si l’information n’intéresse qu’une partie restreinte du public. Or, en l’espèce, seules, les personnes spécialement intéressées à la restructuration des dettes LBO et donc de la dette du groupe Consolis (dans une logique proche du délit d’initié, même si ce dernier n’est pas en cause) constituent un lectorat averti et curieux. Rien de comparable avec l’information concernant une fraude, une malversation, un détournement de procédure d’usage de fonds publics ou privés qui pourraient dépasser la sphère des initiés donnant au débat une dimension d’intérêt général. Pour le reste, il ne faut voir dans les enjeux du respect de la confidentialité de la prévention par la cour d’appel qu’un rappel de la légitimité du but poursuivi par le législateur. Le grand public ne peut être intéressé que par le maintien de l’emploi et de l’activité dont la protection est assurée par la confidentialité… L’intérêt général ne réside pas dans le débat qu’il susciterait imposant la divulgation d’informations intéressant seulement quelque

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