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La directive
(UE) 2020/1828 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2020 relative
aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des
consommateurs devait être transposée en droit national avant le 25 décembre
2022. La proposition de loi a finalement été adoptée par l'Assemblée
nationale, après engagement de la procédure accélérée, le 8 mars 2023. Elle est
actuellement discutée au Sénat. Quel regard porter sur ce texte ?
Mi-avril, la Chaire droit de
la consommation (CY Cergy Paris Université) a organisé un débat sur la transposition
de cette directive relative au recours collectif. La manifestation s’est
déroulée au centre Pierre Mendès France à Bercy. Professeur, avocat, juriste
d’entreprise, membre de la direction générale de la Concurrence, de la
Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF), de la Direction des
affaires civiles et du sceau (DACS) ou d’association de consommateurs, chacun a
pu exprimer sa sensibilité.
Jusqu’à présent, précise Laurence
Usunier, professeure de droit privé à CY Cergy Paris Université et modératrice
de la table ronde, les particuliers engageaient peu d’actions en justice en
matière de consommation, car les sommes imputables aux litiges restent minimes.
De plus, rares sont les actions engagées qui ont abouti à l’indemnisation des
plaignants. La directive
(UE) 2020/1828 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2020
relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs
des consommateurs a donc voulu pousser les pays membres de l’Union à revoir les
dispositifs de recours collectifs en vue de la cessation des atteintes portées
aux droits des consommateurs, et de la réparation des préjudices le cas
échéant.
L’action de groupe, admise en
droit français depuis les années 1970, a été refondue par la loi Hamon en 2014.
La transposition de la directive, actuellement discutée au Sénat, la modifie
encore. Elle repousse par exemple l'idée d’introduire des dommages et intérêts
punitifs, de même qu'elle n'impose pas de recourir à l'opt out (non-participation).
Dans ce mécanisme, le professionnel condamné verse l’intégralité des réparations,
quand bien même les bénéficiaires n’en auraient pas connaissance. Ce principe,
dans certains pays, pose la question de l’effet d’aubaine et de l'usage qui serait
fait des sommes qui ne parviendraient pas aux victimes.
La loi-cadre en discussion
définit un socle procédural commun pour tout type d'action de groupe, quelle que
soit la matière en cause. Ce choix conduit à l'article 3-I de la proposition
qui abroge toutes les règles, toutes les dispositions antérieures relatives au
sujet. Rafael Amaro, professeur de droit privé à l’Université Caen Normandie,
également modérateur de cette matinée, relève plusieurs points. Premièrement, la
qualité pour agir est étendue. Deuxièmement, la loi distingue deux types
d'actions de groupe : celles en cessation et celles en réparation. Troisièmement,
s’agissant de l’action de groupe en réparation, elle se divise en une phase de jugement
sur la responsabilité et une autre de mise en œuvre du jugement permettant
d’obtenir réparation de façon individuelle ou collective. Deux circuits
procéduraux sont prévus, avec un système d'opt in différé. Quatrième
point, la proposition de loi supprime l'action simplifiée de l'actuel article L.
623-14 du Code de la consommation. Enfin, elle instaure une sanction civile
(amende) qui sera codifiée à un nouvel article 1253 du Code civil. Son produit
sera versé au Trésor public et non pas aux victimes. Il ne s’agit pas de
dommages et intérêts punitifs.
Qui peut
former une action de groupe ?
La proposition de loi va dans
le sens d’une extension de la qualité pour agir au-delà des seules associations
de consommateurs agréées à l'échelle nationale. Désormais peuvent intervenir celles
qui sont régulièrement déclarées depuis deux ans au moins, et dont l’objet statutaire
comporte la défense des intérêts auxquels il a été porté atteinte, mais aussi les
associations ad hoc, créées spécialement pour animer l’action de groupe.
Il faut alors réunir 50 personnes physiques au moins ou cinq personnes morales
au moins victimes du dommage. De plus, la directive du 25 novembre 2020 précise
que la qualité pour agir en France sera reconnue pour agir dans d'autres États
membres et réciproquement. Avant d’exercer une action de groupe en dehors de son
état d’origine, une association devra donc recevoir l’agrément dit
transfrontière.
La rareté des actions de
groupe observée a prouvé que le dispositif en place ne convient pas. La proposition
de loi entend y remédier en ouvrant par exemple davantage la qualité à agir puisque
mathématiquement, plus de demandeurs entraineront plus de plaintes. Cependant,
conférer à une association la qualité à défendre les intérêts de clients lésés implique
qu’elle soit fiable, pragmatique, pérenne, d’autant que ces procédures sont
longues et parfois coûteuses. Le législateur détermine les associations auxquelles
le justiciable peut faire confiance. Il s’appuie sur l’agrément, l'ancienneté, la
représentativité, etc. Un contentieux de recevabilité potentiel apparait là. En
effet, les multiples critères donnant la qualité pour agir fournissent autant
de prétextes pour la contester.
Le futur système doit éviter
le risque de forum shopping. Concrètement, une action de groupe nationale menée
par une entité agréée transfrontière, va pouvoir produire ses effets sur un
plan européen. Si les critères de qualification sont plus souples pour des
entités qualifiées à l’échelle nationale, se créent alors des zones plus ou
moins favorables pour drainer les procédures.
La
question du financement
Le lancement de l’action de
groupe reste très abordable. Le nombre de victimes n’a pas d'impact sur le coût
de la première phase. Les frais augmentent quand même lorsque les parties sont
basées à l'étranger. La directive prévoit que les États membres doivent veiller
à ce qu'il n'y ait pas de conflit d'intérêts entre les éventuels tiers
financeurs et les entités qui conduiraient l’action. Il faut évidemment éviter
que des actions de groupe puissent être manipulées par des concurrents des
professionnels impliqués. À côté de cela, elle n'interdit pas les fins lucratives.
La proposition française
prend une voie procédurale singulière. Au lieu d'introduire l’idée du financement
comme une condition de recevabilité – l'action n'est recevable que si on justifie
de l'absence de conflit d'intérêts –, elle est irrecevable si vous ne produisez
pas une attestation qui stipule que vous n'avez pas de conflit d'intérêts. La
loi invite le juge civil vérifier la production de l'attestation, mais pas à en
apprécier le contenu. En conséquence, si le défendeur entend démontrer que l’attestation
est mensongère, il le peut en introduisant une action devant une juridiction
répressive.
À lire aussi :
L’attestation précise que les
tiers financeurs n'ont pas d’intérêt économique dans l'attribution ou l’issue de
l'action. Concernant les avocats, précise Charles Constantin-Vallet, avocat au
barreau de Paris, ils ne peuvent pas être rémunérés uniquement à l'honoraire de
résultat, or c’est généralement ce que recherche les tiers financeurs. Le texte
cherche à encourager les actions de groupe via le financement de ses acteurs,
sachant que le financement public n’atteint pas la hauteur des enjeux. Il n'est
toutefois pas prévu dans le projet de loi que les associations de consommateurs
puissent solliciter des indemnisations comme il en existe aujourd'hui dans
l'action en cessation d'agissement illicite. Les associations ont besoin de disposer
des moyens suffisants pour mener des procédures longues. Cependant, il convient
par ailleurs de s’assurer que les sources qui les abondent restent passives. La
question centrale de leur indépendance devrait imposer une obligation de
transparence, d’affichage des bienfaiteurs, ainsi que des conventions.
Dans la méthode choisie d'opt
in retardé, les consommateurs adhèrent à l'action de groupe pour être
indemnisés après le jugement sur la responsabilité du professionnel,
c’est-à-dire la première phase de la procédure. Mais avec ce procédé, peu de
consommateurs rejoignent la démarche, même si elle est assez simple, parce que l’indemnité
ne se monte qu’à quelques euros en général. Et donc vraisemblablement, dans le
champ de la consommation, le professionnel ne sera condamné à réparer qu’une
part mineure des préjudices qu’il a causés. L'impact financier restreint n’aura
ainsi pas d'effet dissuasif, c'est pourquoi une sanction civile complète le
dispositif.
L’extension
des préjudices réparables et la sanction civile
Le réparable, en droit
positif, diffère selon le type d'action de groupe exercée. Pour le champ de la
consommation, elle permet uniquement de satisfaire aux préjudices patrimoniaux
découlant de dommages matériels. Donc sont exclus les préjudices moraux et ceux
générés par des dommages corporels. Dans le texte discuté, les préjudices
indemnisables ne connaissent plus de limites en fonction, ni du caractère moral
ou patrimonial du préjudice, ni de la nature corporelle ou matérielle du
dommage. La proposition de loi, et plus encore la directive 2020-1828, bouleversent
donc le fonctionnement classique. La directive vise à autoriser une action en
cessation ou en réparation pour des manquements à des dispositions listées dans
une série d’annexes. Ces dernières touchent la protection des intérêts
économiques et au-delà (RGPD, produits défectueux) des consommateurs. La loi en
vigueur est conçue pour réserver l'action de groupe à quelques secteurs, à la
défense de certains droits limitativement énumérés : consommation, santé, données
personnelles, environnement, etc. L'action de groupe n'est pas une fin en soi, et
il parait utile de préciser ces droits. Car cette procédure doit se déployer là
où elle est utile, sans plus, pour ne pas être utilisée à des fins volontaires de
déstabilisation. La loi est pensée pour rééquilibrer le marché, par-delà la
défense des seuls intérêts des consommateurs. Auparavant, l'action de groupe consommation
s’intéressait aux pratiques anti concurrentielles (PAC), mais exclusivement
pour les personnes physiques (pas à des fins professionnelles). Le futur champ
inclut les PAC, et plus largement les pratiques restrictives de concurrence
dans le cadre de contentieux qui opposent des professionnels entre eux.
La sanction civile est prévue
par la proposition de loi à un nouvel article 1253, qui sera contenu dans le
chapitre intitulé : « sanctions
civiles en cas de faute dolosive ayant causé des dommages sériels ». Une
de ses dispositions, celle d’un plafond de 5 % du chiffre d'affaires hors
taxes France le plus élevé sur l'un des trois derniers exercices clos, rappelle
l’amende civile du code de commerce. Pour une sanction, la règle non bis in idem s'applique. Le droit
doit être en mesure de garantir, en cas de cumul de sanctions, la
proportionnalité de leur ensemble. De plus, selon le Conseil d'État, il est
possible de prononcer plusieurs sortes de sanctions, à condition qu'un maximum soit
défini, celui de la sanction la plus élevée encourue pour le fait le plus
grave.
La
procédure
Comme antérieurement, l'organisation
de la procédure d'action de groupe enchaine deux phases : responsabilité
puis indemnisation. La loi cadre envisage la mise en place d’un tronc commun
d'action de groupe et la suppression des spécificités propres à certains
domaines. Or ces dernières peuvent avoir de l’importance, notamment à
l’intérieur de périmètres comme celui de la santé, remarque Marianne Bardant,
directrice juridique de la Fédération du médicament. Ainsi, dans le domaine du
dommage corporel, des règles particulières s'appliquent en matière de
réparation intégrale du préjudice. La chaîne de responsabilité (santé,
médicament) est complexe et compte nombre de paramètres à considérer.
Pour traiter ses affaires, le
texte consacre la spécialisation de juridictions. L'article 2 de la proposition
énonce que des tribunaux judiciaires spécialement désignés connaissent des
actions de groupe engagées en toute matière. Il restera à désigner lesdits
tribunaux. La jurisprudence depuis une quarantaine d'années sur les recours
collectifs des associations de consommateurs montre une méconnaissance de leurs
mécanismes de la part de magistrats. La spécialisation des juridictions vient
combler ce manque. Les associations ont demandé au moins une juridiction
spécialisée aux actions de groupe par cour d’appel. Cette mise en œuvre
implique des moyens et des formations. Face à la multitude des secteurs
possibles (santé, BTP…), il serait cohérent de capitaliser sur les expertises déjà
acquises par certains tribunaux.
Une affaire dure généralement
des années, posant la question de la conservation des preuves. Comment le
consommateur fait-il pour justifier de son préjudice, parfois même de ses liens
avec le professionnel plus de dix ans après ? Tout le monde ne conserve pas
même informatiquement, les factures, les preuves d'achat, etc. Dans les actions
de groupe, la production de preuve représente souvent une difficulté. Une
technique consiste à passer par une procédure pénale. En effet, le juge pénal qui
ouvre une enquête rassemble des éléments. Simultanément, dans l'action de
groupe conduite, un sursis à statuer prend place dans l’attente de la procédure
pénale, ce qui reporte d'autant les délais. En somme, la procédure gagnerait en
efficacité si, dès le début, une étape était consacrée à collecter des preuves
sous la conduite d'un magistrat, à forcer les parties à les communiquer, voire
à perquisitionner. Le professionnel pourrait très vite se rendre compte de la
situation, apprécier son risque juridique et au besoin s’orienter sans délai vers
une négociation. Un tel préambule accélèrerait la résolution du conflit.
Néanmoins, soulignons que lorsque
par exemple la DGCCRF intervient dans le champ pénal, elle met en œuvre des pouvoirs
de police judiciaire sous l'autorité du Parquet. Elle est tenue par les
principes du code de procédure pénale, notamment par le secret de l'enquête. Si
parallèlement une action de groupe est menée pour obtenir la réparation de
préjudices subis par des consommateurs, dans quelle mesure, le juge civil saisi
pourrait-il obtenir la production d'éléments de l'enquête de la DGCCRF ? Heureusement,
si faute pénale et faute civile sont bien distinctes, il arrive que des pièces
produites dans le cadre d’une procédure pénale soient portées à la connaissance
du juge civil à l’initiative du ministère public. Dans le même ordre d’idées,
les rangs de l'autorité des marchés financiers sont constitués de spécialistes.
Lorsqu’ils rendent une décision dans leur domaine, elle fait référence. La loi pourrait
exploiter cette expertise. Or, quand une sanction est prononcée par l'AMF, elle
ne lie pas le juge civil, cela ferait pourtant gagner du temps.
Cyrille de Montis
Photos intérieur :
1/ Légende : Rafael Amaro, Charles Constantin-Vallet, Marie-Amandine Stévenin, Marianne Bardant ; Crédit
: @JSS
2/ Légende : Céline Boniface, Philippe Guillermin, Laurence Usunier ; Crédit
: @JSS
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