Droit

La criminalité transnationale organisée, un défi pour la communauté internationale


vendredi 12 mai 202310 min
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12/05/2023 18:20:03 1 8 3637 65 0 8232 3334 3451 Sous l'impulsion européenne, les recours collectifs sur le point d'évoluer en France

La directive (UE) 2020/1828 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2020 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs devait être transposée en droit national avant le 25 décembre 2022. La proposition de loi a finalement été adoptée par l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, le 8 mars 2023. Elle est actuellement discutée au Sénat. Quel regard porter sur ce texte ?

Mi-avril, la Chaire droit de la consommation (CY Cergy Paris Université) a organisé un débat sur la transposition de cette directive relative au recours collectif. La manifestation s’est déroulée au centre Pierre Mendès France à Bercy. Professeur, avocat, juriste d’entreprise, membre de la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF), de la Direction des affaires civiles et du sceau (DACS) ou d’association de consommateurs, chacun a pu exprimer sa sensibilité.

Jusqu’à présent, précise Laurence Usunier, professeure de droit privé à CY Cergy Paris Université et modératrice de la table ronde, les particuliers engageaient peu d’actions en justice en matière de consommation, car les sommes imputables aux litiges restent minimes. De plus, rares sont les actions engagées qui ont abouti à l’indemnisation des plaignants. La directive (UE) 2020/1828 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2020 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs a donc voulu pousser les pays membres de l’Union à revoir les dispositifs de recours collectifs en vue de la cessation des atteintes portées aux droits des consommateurs, et de la réparation des préjudices le cas échéant.

L’action de groupe, admise en droit français depuis les années 1970, a été refondue par la loi Hamon en 2014. La transposition de la directive, actuellement discutée au Sénat, la modifie encore. Elle repousse par exemple l'idée d’introduire des dommages et intérêts punitifs, de même qu'elle n'impose pas de recourir à l'opt out (non-participation). Dans ce mécanisme, le professionnel condamné verse l’intégralité des réparations, quand bien même les bénéficiaires n’en auraient pas connaissance. Ce principe, dans certains pays, pose la question de l’effet d’aubaine et de l'usage qui serait fait des sommes qui ne parviendraient pas aux victimes.

La loi-cadre en discussion définit un socle procédural commun pour tout type d'action de groupe, quelle que soit la matière en cause. Ce choix conduit à l'article 3-I de la proposition qui abroge toutes les règles, toutes les dispositions antérieures relatives au sujet. Rafael Amaro, professeur de droit privé à l’Université Caen Normandie, également modérateur de cette matinée, relève plusieurs points. Premièrement, la qualité pour agir est étendue. Deuxièmement, la loi distingue deux types d'actions de groupe : celles en cessation et celles en réparation. Troisièmement, s’agissant de l’action de groupe en réparation, elle se divise en une phase de jugement sur la responsabilité et une autre de mise en œuvre du jugement permettant d’obtenir réparation de façon individuelle ou collective. Deux circuits procéduraux sont prévus, avec un système d'opt in différé. Quatrième point, la proposition de loi supprime l'action simplifiée de l'actuel article L. 623-14 du Code de la consommation. Enfin, elle instaure une sanction civile (amende) qui sera codifiée à un nouvel article 1253 du Code civil. Son produit sera versé au Trésor public et non pas aux victimes. Il ne s’agit pas de dommages et intérêts punitifs.

Qui peut former une action de groupe ?

La proposition de loi va dans le sens d’une extension de la qualité pour agir au-delà des seules associations de consommateurs agréées à l'échelle nationale. Désormais peuvent intervenir celles qui sont régulièrement déclarées depuis deux ans au moins, et dont l’objet statutaire comporte la défense des intérêts auxquels il a été porté atteinte, mais aussi les associations ad hoc, créées spécialement pour animer l’action de groupe. Il faut alors réunir 50 personnes physiques au moins ou cinq personnes morales au moins victimes du dommage. De plus, la directive du 25 novembre 2020 précise que la qualité pour agir en France sera reconnue pour agir dans d'autres États membres et réciproquement. Avant d’exercer une action de groupe en dehors de son état d’origine, une association devra donc recevoir l’agrément dit transfrontière.


La rareté des actions de groupe observée a prouvé que le dispositif en place ne convient pas. La proposition de loi entend y remédier en ouvrant par exemple davantage la qualité à agir puisque mathématiquement, plus de demandeurs entraineront plus de plaintes. Cependant, conférer à une association la qualité à défendre les intérêts de clients lésés implique qu’elle soit fiable, pragmatique, pérenne, d’autant que ces procédures sont longues et parfois coûteuses. Le législateur détermine les associations auxquelles le justiciable peut faire confiance. Il s’appuie sur l’agrément, l'ancienneté, la représentativité, etc. Un contentieux de recevabilité potentiel apparait là. En effet, les multiples critères donnant la qualité pour agir fournissent autant de prétextes pour la contester.

Le futur système doit éviter le risque de forum shopping. Concrètement, une action de groupe nationale menée par une entité agréée transfrontière, va pouvoir produire ses effets sur un plan européen. Si les critères de qualification sont plus souples pour des entités qualifiées à l’échelle nationale, se créent alors des zones plus ou moins favorables pour drainer les procédures.

La question du financement

Le lancement de l’action de groupe reste très abordable. Le nombre de victimes n’a pas d'impact sur le coût de la première phase. Les frais augmentent quand même lorsque les parties sont basées à l'étranger. La directive prévoit que les États membres doivent veiller à ce qu'il n'y ait pas de conflit d'intérêts entre les éventuels tiers financeurs et les entités qui conduiraient l’action. Il faut évidemment éviter que des actions de groupe puissent être manipulées par des concurrents des professionnels impliqués. À côté de cela, elle n'interdit pas les fins lucratives.

La proposition française prend une voie procédurale singulière. Au lieu d'introduire l’idée du financement comme une condition de recevabilité – l'action n'est recevable que si on justifie de l'absence de conflit d'intérêts –, elle est irrecevable si vous ne produisez pas une attestation qui stipule que vous n'avez pas de conflit d'intérêts. La loi invite le juge civil vérifier la production de l'attestation, mais pas à en apprécier le contenu. En conséquence, si le défendeur entend démontrer que l’attestation est mensongère, il le peut en introduisant une action devant une juridiction répressive.

L’attestation précise que les tiers financeurs n'ont pas d’intérêt économique dans l'attribution ou l’issue de l'action. Concernant les avocats, précise Charles Constantin-Vallet, avocat au barreau de Paris, ils ne peuvent pas être rémunérés uniquement à l'honoraire de résultat, or c’est généralement ce que recherche les tiers financeurs. Le texte cherche à encourager les actions de groupe via le financement de ses acteurs, sachant que le financement public n’atteint pas la hauteur des enjeux. Il n'est toutefois pas prévu dans le projet de loi que les associations de consommateurs puissent solliciter des indemnisations comme il en existe aujourd'hui dans l'action en cessation d'agissement illicite. Les associations ont besoin de disposer des moyens suffisants pour mener des procédures longues. Cependant, il convient par ailleurs de s’assurer que les sources qui les abondent restent passives. La question centrale de leur indépendance devrait imposer une obligation de transparence, d’affichage des bienfaiteurs, ainsi que des conventions.

Dans la méthode choisie d'opt in retardé, les consommateurs adhèrent à l'action de groupe pour être indemnisés après le jugement sur la responsabilité du professionnel, c’est-à-dire la première phase de la procédure. Mais avec ce procédé, peu de consommateurs rejoignent la démarche, même si elle est assez simple, parce que l’indemnité ne se monte qu’à quelques euros en général. Et donc vraisemblablement, dans le champ de la consommation, le professionnel ne sera condamné à réparer qu’une part mineure des préjudices qu’il a causés. L'impact financier restreint n’aura ainsi pas d'effet dissuasif, c'est pourquoi une sanction civile complète le dispositif.

L’extension des préjudices réparables et la sanction civile

Le réparable, en droit positif, diffère selon le type d'action de groupe exercée. Pour le champ de la consommation, elle permet uniquement de satisfaire aux préjudices patrimoniaux découlant de dommages matériels. Donc sont exclus les préjudices moraux et ceux générés par des dommages corporels. Dans le texte discuté, les préjudices indemnisables ne connaissent plus de limites en fonction, ni du caractère moral ou patrimonial du préjudice, ni de la nature corporelle ou matérielle du dommage. La proposition de loi, et plus encore la directive 2020-1828, bouleversent donc le fonctionnement classique. La directive vise à autoriser une action en cessation ou en réparation pour des manquements à des dispositions listées dans une série d’annexes. Ces dernières touchent la protection des intérêts économiques et au-delà (RGPD, produits défectueux) des consommateurs. La loi en vigueur est conçue pour réserver l'action de groupe à quelques secteurs, à la défense de certains droits limitativement énumérés : consommation, santé, données personnelles, environnement, etc. L'action de groupe n'est pas une fin en soi, et il parait utile de préciser ces droits. Car cette procédure doit se déployer là où elle est utile, sans plus, pour ne pas être utilisée à des fins volontaires de déstabilisation. La loi est pensée pour rééquilibrer le marché, par-delà la défense des seuls intérêts des consommateurs. Auparavant, l'action de groupe consommation s’intéressait aux pratiques anti concurrentielles (PAC), mais exclusivement pour les personnes physiques (pas à des fins professionnelles). Le futur champ inclut les PAC, et plus largement les pratiques restrictives de concurrence dans le cadre de contentieux qui opposent des professionnels entre eux.


La sanction civile est prévue par la proposition de loi à un nouvel article 1253, qui sera contenu dans le chapitre intitulé : « sanctions civiles en cas de faute dolosive ayant causé des dommages sériels ». Une de ses dispositions, celle d’un plafond de 5 % du chiffre d'affaires hors taxes France le plus élevé sur l'un des trois derniers exercices clos, rappelle l’amende civile du code de commerce. Pour une sanction, la règle non bis in idem s'applique. Le droit doit être en mesure de garantir, en cas de cumul de sanctions, la proportionnalité de leur ensemble. De plus, selon le Conseil d'État, il est possible de prononcer plusieurs sortes de sanctions, à condition qu'un maximum soit défini, celui de la sanction la plus élevée encourue pour le fait le plus grave.

La procédure

Comme antérieurement, l'organisation de la procédure d'action de groupe enchaine deux phases : responsabilité puis indemnisation. La loi cadre envisage la mise en place d’un tronc commun d'action de groupe et la suppression des spécificités propres à certains domaines. Or ces dernières peuvent avoir de l’importance, notamment à l’intérieur de périmètres comme celui de la santé, remarque Marianne Bardant, directrice juridique de la Fédération du médicament. Ainsi, dans le domaine du dommage corporel, des règles particulières s'appliquent en matière de réparation intégrale du préjudice. La chaîne de responsabilité (santé, médicament) est complexe et compte nombre de paramètres à considérer.

Pour traiter ses affaires, le texte consacre la spécialisation de juridictions. L'article 2 de la proposition énonce que des tribunaux judiciaires spécialement désignés connaissent des actions de groupe engagées en toute matière. Il restera à désigner lesdits tribunaux. La jurisprudence depuis une quarantaine d'années sur les recours collectifs des associations de consommateurs montre une méconnaissance de leurs mécanismes de la part de magistrats. La spécialisation des juridictions vient combler ce manque. Les associations ont demandé au moins une juridiction spécialisée aux actions de groupe par cour d’appel. Cette mise en œuvre implique des moyens et des formations. Face à la multitude des secteurs possibles (santé, BTP…), il serait cohérent de capitaliser sur les expertises déjà acquises par certains tribunaux.

Une affaire dure généralement des années, posant la question de la conservation des preuves. Comment le consommateur fait-il pour justifier de son préjudice, parfois même de ses liens avec le professionnel plus de dix ans après ? Tout le monde ne conserve pas même informatiquement, les factures, les preuves d'achat, etc. Dans les actions de groupe, la production de preuve représente souvent une difficulté. Une technique consiste à passer par une procédure pénale. En effet, le juge pénal qui ouvre une enquête rassemble des éléments. Simultanément, dans l'action de groupe conduite, un sursis à statuer prend place dans l’attente de la procédure pénale, ce qui reporte d'autant les délais. En somme, la procédure gagnerait en efficacité si, dès le début, une étape était consacrée à collecter des preuves sous la conduite d'un magistrat, à forcer les parties à les communiquer, voire à perquisitionner. Le professionnel pourrait très vite se rendre compte de la situation, apprécier son risque juridique et au besoin s’orienter sans délai vers une négociation. Un tel préambule accélèrerait la résolution du conflit.

Néanmoins, soulignons que lorsque par exemple la DGCCRF intervient dans le champ pénal, elle met en œuvre des pouvoirs de police judiciaire sous l'autorité du Parquet. Elle est tenue par les principes du code de procédure pénale, notamment par le secret de l'enquête. Si parallèlement une action de groupe est menée pour obtenir la réparation de préjudices subis par des consommateurs, dans quelle mesure, le juge civil saisi pourrait-il obtenir la production d'éléments de l'enquête de la DGCCRF ? Heureusement, si faute pénale et faute civile sont bien distinctes, il arrive que des pièces produites dans le cadre d’une procédure pénale soient portées à la connaissance du juge civil à l’initiative du ministère public. Dans le même ordre d’idées, les rangs de l'autorité des marchés financiers sont constitués de spécialistes. Lorsqu’ils rendent une décision dans leur domaine, elle fait référence. La loi pourrait exploiter cette expertise. Or, quand une sanction est prononcée par l'AMF, elle ne lie pas le juge civil, cela ferait pourtant gagner du temps.

 

Cyrille de Montis

Photos intérieur :
1/ Légende : 
Rafael Amaro, Charles Constantin-Vallet, Marie-Amandine Stévenin, Marianne Bardant ; Crédit : @JSS

2/ Légende : Céline Boniface, Philippe Guillermin, Laurence Usunier ; Crédit : @JSS


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