La criminalité transnationale organisée, un défi pour la communauté internationale


vendredi 12 mai 20236 min
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L’Association française pour les Nations unies a organisé en mars dernier une journée de conférences consacrée à la question de la criminalité transnationale organisée. Si des efforts restent à fournir pour lutter efficacement contre ces crimes, les textes internationaux et français sont de plus en plus sévères, ont expliqué des intervenants lors de la conférence « Criminalité organisée, défis et réponses ».

Aux yeux des Nations unies, « la criminalité transnationale organisée englobe pratiquement toutes les activités criminelles graves motivées par le profit qui revêtent un caractère international, impliquant plus d'un pays ». Une définition large pour un problème qui, au premier abord, pouvait sembler ne se limiter qu’aux pays politiquement instables, mais qui concerne également la France : « Pour les autorités françaises, la criminalité transnationale organisée reste un sujet de préoccupation première au côté du terrorisme », affirme Olivier Caron, envoyé spécial pour la lutte contre le terrorisme international pour le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

Les manifestations du phénomène en France sont des groupes qui commettent des infractions hautement lucratives. « Les groupes criminels dont l'activité est le trafic de stupéfiants représentent environ un tiers des groupes criminels actifs en France », détaille Nicolas Le Coz, lieutenant-colonel de la Gendarmerie nationale. « Leur “chiffre d'affaires” en France s’élève à 2,7 milliards d'euros, et dans Union européenne à 21 milliards d'euros ».

De nombreux domaines exploités par les criminels

Les principaux criminels recherchés sont des trafiquants, mais d’autres domaines, comme le trafic des produits de santé, sont florissants. L’observation par la Gendarmerie de la criminalité organisée permet d’ailleurs de remarquer une spécialisation de certains groupes : « Par exemple, les groupes chinois sont connus pour être spécialisés dans le blanchiment des produits du crime. Les groupes pakistanais sont eux spécialisés dans le blanchiment, mais aussi dans les escroqueries. Les groupes monténégrins sont spécialisés dans le trafic de stupéfiants, et spécialement dans la cocaïne. » Les différents trafics et réseaux ont aussi de plus en plus tendance à s'intégrer et à coopérer. « Ils font cela pour une raison pure d’opportunité, et parfois pour des raisons d'économie d'échelle ou d'efficacité, explique Olivier Caron. Par exemple, au Sahel, un même coursier peut un jour transporter des armes pour un groupe armé, puis le lendemain faire le voyage retour avec de la drogue pour amortir le voyage retour. »

Preuve de l’inquiétude de l’État français envers les crimes transnationaux, le Quai d’Orsay a d’ailleurs décidé de fusionner les fonctions d'envoyé spécial pour le terrorisme et d’envoyé spécial pour les crimes organisés, tant les échos entre les deux sujets sont importants.

La préoccupation de la France est à la hauteur de l’échelle financière que représente ce type de criminalité. En 2009, l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime estimait qu’elle générait 870 milliards de dollars par an, soit 1,5 % du PIB mondial. « C'est un facteur majeur, à la fois de déstabilisation sociale et économique », estime Olivier Caron.

Des liens troubles avec certains États

Mais ce facteur n’est pourtant pas combattu par tous les pays avec la même vigueur. « Après le 11 septembre 2001, nous avions pu vivre dans l'espoir que ces sujets pourraient être, malgré les rivalités géopolitiques, une sorte de socle commun entre les États. Mais ce n'est pas forcément aussi évident et cela a un impact très fort sur l'ensemble de l'action internationale », dénonce Olivier Caron, qui explique que ce constat est particulièrement perceptible au moment des négociations de certains textes aux Nations unies. Mais il va même plus loin : selon lui, « certains opérateurs ou acteurs qui utilisent les modes d'action ou les méthodes de la criminalité organisée ne sont pas sans lien avec certains États ».

Malgré cela, certains textes ont pu être validés par une grande majorité de pays. C’est notamment le cas de la Convention contre la criminalité transnationale organisée, aussi appelée Convention de Palerme, adoptée en 2000 et signée par 147 pays. Elle donne la possibilité aux États de condamner la participation à un groupe criminel organisé, le blanchiment du produit d’un crime, la corruption des agents publics et l’entrave au bon fonctionnement de la justice. « Elle offre aux États à la fois un cadre juridique nécessaire à l’entraide judiciaire en matière pénale dans le domaine de la criminalité organisée, mais aussi l'opportunité aux États de renforcer leur ordre juridique interne pour lutter contre la criminalité organisée », explique le lieutenant-colonel Nicolas Le Coz. La Convention uniformise également la définition d’un groupe criminel organisé, désigné comme « un groupe structuré de trois personnes ou plus, existant depuis un certain temps et agissant de concert dans le but de commettre une ou plusieurs infractions graves ou infractions établies conformément à la présente convention, pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel ».

Pour aider à l’application de cette convention, l’UE a notamment créé l’Agence de l’Union européenne pour la formation des services répressifs (CEPOL), qui permet une meilleure coopération policière entre les États membres. Europol, créée en 1999 pour partager des renseignements entre polices nationales, s’avère également utile dans cette lutte.

La France, plus répressive que le reste du monde ?

La France a ratifié la Convention de Palerme en 2002, mais ne l’a pas transposée dans son droit interne. « Le gouvernement et le législateur ont estimé que l'arsenal que nous avions dans le Code pénal était suffisant pour réprimer les groupes criminels organisés, notamment par le biais de l'infraction d'association de malfaiteurs », détaille Nicolas Le Coz. Cette disposition peut d’ailleurs être considérée comme plus répressive que le droit international, puisque pouvant sanctionner des individus qui, sans pour autant œuvrer au sein d'une organisation créée depuis un certain temps, préparent la commission de certains crimes et délits, sans toutefois être passé à l'acte.

Autre disposition, la circonstance aggravante de bande organisée fonctionne d’une manière assez proche de l'infraction d'association de malfaiteurs, mais elle permet d'aggraver les peines dans le cadre d'une organisation structurée existant depuis un certain temps et qui a commis ou tenté de commettre une infraction.

La Convention de Palerme a néanmoins permis de mettre en place en France le système de protection des repentis et des témoins menacés, avec la création de la Commission nationale de protection des repentis et de protection des témoins en 2014. À Paris, la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée la (Junalco) prend en charge des affaires d’une très grande complexité qui ne seront pas prises par les huit juridictions interrégionales spécialisées établies en France.

La loi Perben II de 2004 portant quant à elle sur l’adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a toutefois pu donner un cadre plus précis concernant la criminalité organisée, puisqu’elle a créé dans le Code de procédure pénale un titre spécifique relatif aux enquêtes et aux poursuites relatives à ces infractions, avec une série de 23 délits et crimes concernés, de l’association de malfaiteurs au meurtre en bande organisée.

La loi Warsmann de 2010 a complètement réformé la saisie et la confiscation des avoirs criminels, et a permis la création de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc).

En bref, « la France est assez avancée dans le domaine du repérage, de saisie et de confiscation des avoirs criminels. Les conventions et normes internationales sur des saisies d’avoirs sont assez claires, mais la mise en œuvre peut-être parfois assez hétérogène », résume l’envoyé spécial au ministère de l’Europe Olivier Caron.

 

Alexis Duvauchelle

 

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