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Réunies récemment lors d’une
table ronde à la Maison du barreau, une avocate, une commissaire de justice et une experte-comptable ont
pointé la difficulté de prendre un congé maternité au sein de leurs professions.
L’occasion pour les intervenantes de préconiser des pistes afin de faciliter ce
qui devrait être un heureux événement, car « des solutions, il y en a ! ».
Si la maternité peut être un
frein à l’emploi pour certain(e)s recruteur(e)s, elle est réciproquement un
frein à la carrière professionnelle pour 83 % des femmes, selon un rapport
du Conseil national des barreaux. En cause, notamment : un manque de
flexibilité du congé maternité pour les professions de commissaire de justice
notamment, les démarches administratives complexes et une couverture financière
pas assez élevée, lacune qui complique vivement l’équilibre vie professionnelle
et maternité.
Pour mettre en exergue les
difficultés rencontrées dans ce cadre, la Confédération nationale
des avocats section parisienne a ainsi invité, le 22 mars dernier, au sein de
la Maison du barreau de Paris, trois femmes exerçant une profession libérale du
droit à participer à l’une des tables rondes de la journée intitulée « Enceinte,
discriminée ou harcelée : sortir du silence et s’en sortir ! »,
animée par la présidente de la CNA Paris Valérie Rosano.
En guise d’introduction à
cette matinée d’échange, la présidente de la CNA Karline Gaborit a rappelé que
« le parcours de grossesse se solde trop souvent par des mises au
placard, des mesures de rétorsion voire aujourd’hui encore des ruptures de
contrat, sans parler du plafond de verre, et ce tout au long de la carrière. »
Et pourtant, « être mère ne veut pas dire qu’on lâche tout : on
continue de travailler » a martelé Joëlle Bitchatchi-Ordonneau,
avocate indépendante au barreau de Paris.
Des indemnités grignotées
pour les avocates collaboratrices
En matière de congé
maternité, les avocates collaboratrices ont, depuis 2011, la possibilité de
bénéficier d’un congé de 16 semaines (contre 12 auparavant), en application de
l’article 14.5.1. du règlement intérieur national de la profession d’avocat
(RIN) et à l’instar des avocates salariées.
Toutefois, Joëlle
Bitchatchi-Ordonneau se désole que les avocates collaboratrices qui perçoivent
en pratique intégralement leur rétrocession d’honoraire pendant leur congé doivent,
en contrepartie, reverser au collaborant les indemnités forfaitaires
d’interruption d’activité de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), et
les indemnités d’interruption d’activité dans le cadre d’une prévoyance
libérale ou collective du barreau.
À lire
aussi : INTERVIEW.
"Créer une connexion entre les entreprises en recherche de talents et les
travailleuses indépendantes était une évidence"
L’avocate se dit donc « contre »
ce système de réversion de pension : « on demande à la femme de
cotiser et en même temps de verser le fruit de ses propres cotisations au
patron qui lui aussi cotise ». Sur ce point, Valérie Rosano rappelle
cependant que c’est indispensable pour la survie des petits cabinets qui ne
peuvent rétrocéder à la collaboratrice sa part immédiatement, et qui peuvent
ainsi être réticents à l’idée d’embaucher une femme, participant de fait à la discrimination
à l’embauche.
Par ailleurs, le contrat de
collaboration libérale édité par le Conseil national des barreaux (CNB) « se
résume à un chapitre uniquement » alerte Joëlle Bitchatchi-Ordonneau,
qui réclame un rehaussement de l’indemnité en partie reversée au collaborant,
« pour que le cabinet qui garde la rétrocession de la collaboratrice
puisse avoir une prise en charge suffisante ».
« La maternité, c’est
du calcul »
Pour les autres
professionnelles indépendantes du droit, prendre un congé maternité relève presque
de l’impossible. Bien que le congé maternité des indépendantes soit aujourd'hui
aligné sur celui des salariées (elles peuvent aujourd'hui bénéficier de 16
semaines indemnisées, à condition de cesser toute activité pendant au minimum 8
semaines) et que ces dernières aient droit à un forfait journalier ainsi qu’à
une allocation forfaitaire de repos maternel, contrairement aux salariées dont
les allocations sont progressives selon le salaire, dans leur cas, les montants
sont fixes et ne compensent pas forcément la perte de chiffre d’affaires ni le
montant des charges. Ce qui, bien souvent, n’encourage pas à arrêter de
travailler, d’autant que la question du remplacement est prégnante.
Estelle Molitor, commissaire
de justice à la tête de son office, l’a martelé : « la maternité, c’est
du calcul. On calcule quand on tombe enceinte, quand on va s’arrêter, combien
on va toucher, combien on va reverser au cabinet (…) On s’arrête quand on
peut, on est bien obligées de faire tourner la boutique ! ». C’est
pourquoi un grand nombre de femmes au sein de la profession optent pour le
salariat, afin de bénéficier d’un congé maternité plus avantageux.
Estelle Molitor préconisait ainsi
en 2017, dans un guide pratique publié par l’Union nationale des professions
libérales (UNAPL), dont elle était la secrétaire générale à l’époque, de réviser
le congé maternel et parental pour les cheffes d’entreprise notamment,
dénonçant une rupture partielle avec l’entreprise pendant le congé :
« la professionnelle n’est jamais complètement en rupture de son
entreprise, d’autant plus si elle est en entreprise individuelle et si elle ne
peut s’appuyer sur une organisation de travail. Il reste nécessaire d’assouplir
les conditions de prise de congés maternité et d’envisager un retrait partiel
au lieu d’un retrait total de la professionnelle » qui
doit alors maintenir son activité à défaut d’être remplacée. Elle indiquait
également que plus de flexibilité faciliterait le retrait de la femme
enceinte : « Les congés maternels et paternels pourraient être repensés,
permettant, sous forme d’un système à la carte qui favoriserait pour les
professionnel.le.s libéraux.les, la possibilité d’aménager leur retrait (total
ou partiel) de leur entreprise en recourant à du travail à domicile, à
l’aménagement de temps de présence, etc. ».
De son côté, l’experte-comptable
Sofia Da Silva a rapporté lors de cette conférence que de nombreuses femmes au
sein de sa profession font le choix par anticipation de tomber enceintes au
moment de la rédaction de leur thèse, et ce afin d’éviter une absence ultérieure
au sein du cabinet. D’autres, là encore, renoncent carrément au statut d’indépendante
par « peur » de tomber enceintes. L’experte-comptable a aussi évoqué le
« syndrome de retour de congés » qui sévit dans la profession.
De fait, pour pallier leur absence, les femmes se mettent davantage de pression
sur les épaules afin de rattraper leur retard, mais aussi pour
« légitimer » leur place. « C’est une catastrophe ! »,
a résumé Valérie Rosano.
Des formalités chronophages
Et s’il est difficile dans
les faits pour des professionnelles indépendantes de cesser de travailler par
peur « d’abandonner » leur organisation, un autre aspect vient
régulièrement les freiner : la perspective d’avoir à gérer les formalités administratives
si elles veulent toucher à temps les aides financières auxquelles elles peuvent
prétendre.
Un processus qu’elles
dépeignent comme complexe et long, puisqu’à la différence des salariées dont les
papiers sont pris en charge par l’employeur, les femmes indépendantes doivent s'occuper de tout l'aspect administratif. Elles ont donc intérêt, dès
l’annonce de leur grossesse, à engager
les bonnes démarches. Estelle Molitor a témoigné par exemple avoir passé des « demi-journées
entières » à tenter de joindre la CPAM afin de débloquer ce qui lui revenait
de droit. « Or, on a autre chose à faire ! » a tempêté
la commissaire de justice.
Quelles solutions ?
Les intervenantes se sont penchées
du côté des autres professions libérales pour observer ce qui est fait afin de faciliter le départ en congé maternité, et notamment chez les professions
médicales qui font appel à des remplaçants en cas d’absence pendant les
vacances, après un accident de la vie et pendant la maternité. « Pourquoi
ne pas s’en inspirer? » a proposé Valérie Rosano.
Pour sa part, Estelle Molitor a recommandé de mettre en place un pôle de remplacement à l’instar des professions de la santé, et de réfléchir à des crèches interprofessionnelles, les crèches actuelles étant submergées de demandes et affichant des amplitudes horaires trop limitées pour les professions libérales.
Pour beaucoup de professionnelles libérales, faire appel à un(e) assistant(e) maternel(le) est actuellement la seule solution. Néanmoins, si le recours à ce(tte) dernier/ère est « indispensable » pour continuer à exercer, Estelle Molitor propose ainsi qu’ils soient considérées comme une charge professionnelle, afin d’alléger la note : « déduire les charges de la nounou serait un rêve » plaisante Valérie Rosano qui reste toutefois pragmatique : « mais fiscalement ça ne passerait pas ».
À lire
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et sexuelles, un risque pour le salarié comme pour l’entreprise, alerte le
Sénat
A défaut, Estelle Molitor a évoqué
la création d’un fonds soutenu par la Caisse des dépôts par exemple, « plutôt
que de courir auprès de l’URSSAF et la CPAM ». Ainsi, ce fonds serait
le partenaire financier qui prendrait le relais avec la Caisse et qui se ferait
rembourser. « Ils verraient le plaisir que cela représente d’appeler
l’URSSAF maintes fois », a ironisé la commissaire de justice.
Cette dernière a également
mentionné le travail avec le laboratoire de l’égalité où les professions réglementées
du droit se sont engagées à aider la parentalité et à améliorer la protection
financière des congés maternité. Dans ce cadre, « pourquoi ne pas faire
profiter les femmes libérales de la “chance maternité” développée par les avocates
collaboratrices et créée par le barreau de Paris, et travailler sur le congé maternité ? ».
La commissaire de justice s’est par ailleurs prononcée dans le sens d’une accélération
du versement des prestations lors d’un congé maternité, à défaut d’employeur
pour faire le relai pour les femmes libérales (une action qui pourrait être
menée de concert avec le laboratoire notamment), mais aussi de sensibiliser
auprès de tous, « un [nécessaire] travail de tous les jours ».
Enfin, quid des 200
avocates qui possèdent le statut mixte ? Car celles-ci aussi peinent à
obtenir leur rémunération de substitution. « J’ai pu constater sur des
forums dédiés que des avocates avaient des difficultés à percevoir leurs indemnités
journalières de la CPAM », a témoigné Joëlle Bitchatchi-Ordonneau. Il faudrait
selon elle un cheminement qui puisse permettre aux avocates d’avoir la rémunération
vitale pendant le congés, afin de se consacrer pleinement au principal :
la grossesse. « Des solutions il y a » a donc affirmé l’experte-comptable,
« mais elles vont prendre du temps, surtout si on fait de l’interprofessionnalité »
explique Valérie Rosano pour qui une chose est sûre : « il faut
mutualiser nos forces ! ».
Allison Vaslin
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