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La loi du
6 juillet 1989 relative aux rapports locatifs encadre les locations entre
particuliers. Elle régit de nombreux aspects du contrat de bail à usage
d’habitation, et interdit notamment la sous-location. Néanmoins, celle-ci,
facilitée par la montée en puissance des plateformes de location en ligne, est
très régulièrement pratiquée par les locataires, en dépit des conséquences.
Ainsi, la jurisprudence doit se prononcer sur les moyens de résolution de ces
conflits entre bailleur et locataire.
Envie de compléter vos revenus en sous-louant votre
logement ? Bonne nouvelle, de nombreuses plateformes vous le permettent
désormais ! Veillez cependant à bien avoir l’autorisation écrite de votre
propriétaire. À défaut, tous les loyers perçus lui reviendront, si la preuve de
la sous-location effective est bel et bien produite. Mais, soyez rassurés, une
capture d’écran du site Airbnb ne suffit pas à caractériser la sous-location.
La 5e chambre civile de la cour d’appel de
Montpellier, le 5 octobre 2021, a débouté un propriétaire de son action en
remboursement des fruits civils générés par la sous-location de son locataire
au motif que la preuve qu’il rapporte ne démontre pas une sous-location
effective mais simplement une intention de sous-location.
En l’espèce, le bailleur faisait valoir que son locataire
avait procédé à une sous-location, en produisant une capture d’écran du site
Airbnb affichant des photographies de son bien et une étiquette de boîte aux
lettres indiquant le nom du locataire et d’un tiers. En interjetant appel, le
bailleur demande la condamnation solidaire du locataire et sa caution à
rembourser les sommes perçues au titre d’une sous-location réalisée par le
locataire avec une astreinte de 200 euros par jour. Cette décision s’inscrit
dans une nouvelle dynamique de la jurisprudence française qui répond par une
solution constante à un contentieux croissant : la sous-location via des
plateformes de séjours courte durée.
L’article 8 de la loi du 6 juillet 19891 relative
aux rapports locatifs dispose que « le locataire ne peut ni céder le
contrat de location, ni sous-louer le logement (…) ». Ainsi, il est,
en principe, interdit pour le locataire de sous-louer son logement. Cet article rajoute
néanmoins : « (…) sauf avec l’accord écrit du bailleur, y compris
sur le prix du loyer ». L’interdiction peut ainsi être levée par une
autorisation du propriétaire, notamment dans le contrat de bail.
En l’absence d’une clause autorisant la sous-location
dans le bail, et si l’accord du propriétaire n’a pas été obtenu au moment où la
sous-location est envisagée, le locataire s’expose à la résolution du bail.
Souvent, une clause expresse prévoit la résolution de plein droit en cas de
manquement aux stipulations prévues dans le bail. à défaut, la résolution peut toujours être demandée en
justice, de même que la réparation du préjudice que la sous-location a
éventuellement causé.
Depuis
un arrêt du 12 septembre 20192, il est acquis que les revenus perçus
par le locataire, à l’occasion de la sous-location, doivent être restitués en
totalité au bailleur. Ceux-ci constituent des fruits civils qui appartiennent
au propriétaire par le truchement de la théorie de l’accession3.
Dans l’affaire tranchée par la cour d’appel de Montpellier, le bailleur faisait
référence à cet arrêt pour réclamer les fruits civils générés par la
sous-location supposée.
Pour empêcher l’accession des fruits civils par le
bailleur, la cour d’appel de Paris4 a refusé l’argument du locataire
s’appuyant sur la théorie de l’enrichissement injustifié : elle juge que
sa propriété est la cause de son enrichissement, alors justifié. Cette solution
a été confirmée à maintes reprises, marquant sûrement la naissance
d’une nouvelle jurisprudence constante5.
L’arrêt d’espèce reprend le principe législatif et
prétorien : « Il est constant que sauf lorsque la sous location
n’est pas autorisée par le bail, les sous loyers perçus par le preneur
constituent des fruits civils qui appartiennent par accession au propriétaire ».
La juridiction montpelliéraine constate que le preneur ne peut se prévaloir
d’une autorisation du bailleur, d’autant plus qu’une clause expresse du contrat
de bail prohibait la sous-location.
Par ailleurs, le bailleur se retrouve débouté de sa
demande, au motif d’un manque de pertinence fondé sur un défaut de preuve d’une
sous-location effective. La juridiction juge que « la seule production
au débat d’une simple capture d’écran sur un site de location (Airbnb) démontre
tout au plus une intention de sous louer mais ne caractérise pas une
sous-location effective ».
La cour d’appel de Montpellier ne fait ainsi
qu’appliquer le principe de la charge de la preuve qui pèse classiquement sur
le demandeur : le bailleur doit rapporter la preuve de la sous-location.
En l’espèce, il s’était seulement fondé sur ladite capture d’écran et sur une
« photographie de ce que l’on peut supposer être une étiquette de boîte
aux lettres sur laquelle apparaît le nom (du locataire) et d’un tiers »,
en en déduisant la présence d’un sous-locataire régulier.
Précédemment, la cour d’appel de Paris6 avait
déjà jugé que, dans des faits similaires in fine, « il n’est pas
démontré que le bailleur a détenu des arguments et documents suffisants pour
établir l’existence d’une sous location pouvant justifier à elle seule une
assignation en résiliation de bail plus précoce », rappelant ainsi sa
stricte appréciation de la force probante des éléments rapportés. En revanche,
la même Cour, dans une formation différente, a ensuite semblé changer d’avis le
25 février 20207 en affirmant la suffisance de la photographie
montrant une étiquette de la boîte aux lettres désignant comme résidant le
locataire et des tiers.
Au vu de cette incertitude et d’une exigence stricte
quant à la force probante des éléments produits, le propriétaire devrait avoir
fait constater la sous-location par un huissier de justice afin d’attester de
l’effectivité de celle-ci et de pouvoir, sans crainte d’être débouté, obtenir
le remboursement des fruits civils générés par le principe de l’accession.
Tout d’abord, la possibilité de résilier le contrat de
bail peut paraître disproportionnée à l’égard du locataire, puisqu’il peut se
retrouver sans logement, d’autant plus qu’il doit remettre au bailleur
l’ensemble des revenus générés sur la simple théorie de l’accession. Si la
sanction était équitable, il serait bien plus simple de caractériser la faute,
étant donné que la preuve est difficile à rapporter : une capture d’écran
et une étiquette de boîte aux lettres ne suffisent pas. Ne serait-il pas plus
adéquat de n’exiger que la différence entre le loyer et les revenus perçus par
le locataire ? Au regard de la jurisprudence actuelle, le bailleur perçoit
les deux.
Par ailleurs, ces sanctions marquent de manière
définitive la supériorité du droit de propriété du bailleur sur le droit de
jouissance paisible du locataire.
Pour un preneur, parfois précaire, la sous-location peut
servir de complément de revenus. Les sanctions prévues actuellement ne sont pas
en adéquation avec son statut de partie faible au contrat de bail.
Néanmoins, il faut tempérer ce propos et rappeler que
cette logique est conforme à l’article 1729 du Code civil8 sur
l’obligation pour le locataire d’employer la chose louée au seul usage à laquelle
elle a été destinée : la sous-location semblerait tendre vers une
exécution déloyale du contrat de bail.
En l’espèce, la plateforme, non poursuivie, n’a pas été
condamnée. Or, le tribunal judiciaire de Paris a déjà rendu une décision en ce
sens, pour la toute première fois, le 5 juin 20209, marquant
peut-être le début d’une jurisprudence constante… Cet arrêt a condamné la
plateforme à payer une somme au titre des commissions perçues mais également
in solidum avec le preneur au titre de l’activité illicite, en raison du
« caractère actif dans sa mise en relation entre les hôtes et ses
voyageurs », la plateforme n’ayant pas qu’une simple activité
d’hébergement. Des enjeux se soulèvent : quel statut juridique donner
à ces plateformes ? La jurisprudence vise-t-elle à réglementer l’exercice
de ces plateformes en France ou simplement à responsabiliser les
locataires ?
Vis-à-vis d’un locataire usant du bien d’autrui à des
fins commerciales, elles permettent de sanctionner une activité illicite et de
protéger le droit de propriété du bailleur. Mais vis-à-vis des plateformes de
location entre particuliers, ces solutions leur imposent de contrôler
strictement leurs clients, sous peine d’une sanction pouvant être lourde de
conséquences tant pour leurs finances que pour leur image. Leur activité en
serait impactée.
La jurisprudence pourrait à l’avenir déplacer la
responsabilité des plateformes vers le sous-locataire (encore faut-il pouvoir l’identifier…)
et le condamner solidairement avec le locataire initial, en faisant peser sur
ce dernier un devoir de vigilance lors de ses recherches de location, ou en lui
reprochant une faute de négligence pour n’avoir pas tenté de vérifier la réelle
propriété de son bailleur. Preuve diabolique…
1)
Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et
portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986.
2)
Cass, Civ. 3e, 12 septembre 2019, n° 18-20.727.
3)
Articles 546 et 547 du Code civil.
4)
Cour d’appel de Paris - Pôle 04 ch. 04, 5 juin 2018, n° 16/10684.
5)
Cour d’appel d’Orléans, 1er juillet 2020, n°19/03339 ; cour
d’appel de Bordeaux, 21 janvier 2020, n° 19/01794 ; tribunal judiciaire de
Paris, 5 juin 2020, n° 11-19-005405.
6)
Cour d’appel de Paris - Pôle 04 ch. 03, 19 avril 2019, n° 17/04551.
7)
Cour d’appel de Paris - Pôle 04 ch. 04, 25 février 2020, n° 17/22689.
8)
Article 1729 du Code civil : « Si le preneur n’use pas de la chose
louée raisonnablement ou emploie la chose louée à un autre usage que celui
auquel elle a été destinée, ou dont il puisse résulter un dommage pour le
bailleur, celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail ».
9)
Tribunal judiciaire de Paris, 5?juin 2020, n°?11-19-005405
Cette note, rédigée par Sarah Jarboui et
Zoéline Béquin, étudiantes en Master 2 Droit privé, Parcours
contentieux, Le Mans Université, a été publié dans le cadre du partenariat établi
entre
Le Mans Université et le Journal Spécial des Sociétés.
Ces commentaires sont rédigés par les
étudiants, sous le contrôle et la supervision du professeure Myriam Roussille,
agrégée des facultés de Droit, professeure à l’université du Mans.
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