La sous-location, profitable au propriétaire ?


lundi 4 avril 20227 min
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La loi du 6 juillet 1989 relative aux rapports locatifs encadre les locations entre particuliers. Elle régit de nombreux aspects du contrat de bail à usage d’habitation, et interdit notamment la sous-location. Néanmoins, celle-ci, facilitée par la montée en puissance des plateformes de location en ligne, est très régulièrement pratiquée par les locataires, en dépit des conséquences. Ainsi, la jurisprudence doit se prononcer sur les moyens de résolution de ces conflits entre bailleur et locataire.



CA Montpellier, 5e chambre civile, 5 octobre 2021, n° 19/03283



Envie de compléter vos revenus en sous-louant votre logement ? Bonne nouvelle, de nombreuses plateformes vous le permettent désormais ! Veillez cependant à bien avoir l’autorisation écrite de votre propriétaire. À défaut, tous les loyers perçus lui reviendront, si la preuve de la sous-location effective est bel et bien produite. Mais, soyez rassurés, une capture d’écran du site Airbnb ne suffit pas à caractériser la sous-location.

La 5e chambre civile de la cour d’appel de Montpellier, le 5 octobre 2021, a débouté un propriétaire de son action en remboursement des fruits civils générés par la sous-location de son locataire au motif que la preuve qu’il rapporte ne démontre pas une sous-location effective mais simplement une intention de sous-location.

En l’espèce, le bailleur faisait valoir que son locataire avait procédé à une sous-location, en produisant une capture d’écran du site Airbnb affichant des photographies de son bien et une étiquette de boîte aux lettres indiquant le nom du locataire et d’un tiers. En interjetant appel, le bailleur demande la condamnation solidaire du locataire et sa caution à rembourser les sommes perçues au titre d’une sous-location réalisée par le locataire avec une astreinte de 200 euros par jour. Cette décision s’inscrit dans une nouvelle dynamique de la jurisprudence française qui répond par une solution constante à un contentieux croissant : la sous-location via des plateformes de séjours courte durée.

 


 

La résolution du bail et la restitution des loyers perçus : sanctions classiques de la sous-location

L’article 8 de la loi du 6 juillet 1989relative aux rapports locatifs dispose que « le locataire ne peut ni céder le contrat de location, ni sous-louer le logement (…) ». Ainsi, il est, en principe, interdit pour le locataire de sous-louer son logement. Cet article rajoute néanmoins : « (…) sauf avec l’accord écrit du bailleur, y compris sur le prix du loyer ». L’interdiction peut ainsi être levée par une autorisation du propriétaire, notamment dans le contrat de bail.

En l’absence d’une clause autorisant la sous-location dans le bail, et si l’accord du propriétaire n’a pas été obtenu au moment où la sous-location est envisagée, le locataire s’expose à la résolution du bail. Souvent, une clause expresse prévoit la résolution de plein droit en cas de manquement aux stipulations prévues dans le bail. à défaut, la résolution peut toujours être demandée en justice, de même que la réparation du préjudice que la sous-location a éventuellement causé.

Depuis un arrêt du 12 septembre 20192, il est acquis que les revenus perçus par le locataire, à l’occasion de la sous-location, doivent être restitués en totalité au bailleur. Ceux-ci constituent des fruits civils qui appartiennent au propriétaire par le truchement de la théorie de l’accession3. Dans l’affaire tranchée par la cour d’appel de Montpellier, le bailleur faisait référence à cet arrêt pour réclamer les fruits civils générés par la sous-location supposée.

Pour empêcher l’accession des fruits civils par le bailleur, la cour d’appel de Parisa refusé l’argument du locataire s’appuyant sur la théorie de l’enrichissement injustifié : elle juge que sa propriété est la cause de son enrichissement, alors justifié. Cette solution a été confirmée à maintes reprises, marquant sûrement la naissance d’une nouvelle jurisprudence constante5.

L’arrêt d’espèce reprend le principe législatif et prétorien : « Il est constant que sauf lorsque la sous location n’est pas autorisée par le bail, les sous loyers perçus par le preneur constituent des fruits civils qui appartiennent par accession au propriétaire ». La juridiction montpelliéraine constate que le preneur ne peut se prévaloir d’une autorisation du bailleur, d’autant plus qu’une clause expresse du contrat de bail prohibait la sous-location.

 



 





La capture d’écran d’une annonce locative : preuve insuffisante

Par ailleurs, le bailleur se retrouve débouté de sa demande, au motif d’un manque de pertinence fondé sur un défaut de preuve d’une sous-location effective. La juridiction juge que « la seule production au débat d’une simple capture d’écran sur un site de location (Airbnb) démontre tout au plus une intention de sous louer mais ne caractérise pas une sous-location effective ». 

La cour d’appel de Montpellier ne fait ainsi qu’appliquer le principe de la charge de la preuve qui pèse classiquement sur le demandeur : le bailleur doit rapporter la preuve de la sous-location. En l’espèce, il s’était seulement fondé sur ladite capture d’écran et sur une « photographie de ce que l’on peut supposer être une étiquette de boîte aux lettres sur laquelle apparaît le nom (du locataire) et d’un tiers », en en déduisant la présence d’un sous-locataire régulier.

Précédemment, la cour d’appel de Parisavait déjà jugé que, dans des faits similaires in fine, « il n’est pas démontré que le bailleur a détenu des arguments et documents suffisants pour établir l’existence d’une sous location pouvant justifier à elle seule une assignation en résiliation de bail plus précoce », rappelant ainsi sa stricte appréciation de la force probante des éléments rapportés. En revanche, la même Cour, dans une formation différente, a ensuite semblé changer d’avis le 25 février 2020en affirmant la suffisance de la photographie montrant une étiquette de la boîte aux lettres désignant comme résidant le locataire et des tiers.

Au vu de cette incertitude et d’une exigence stricte quant à la force probante des éléments produits, le propriétaire devrait avoir fait constater la sous-location par un huissier de justice afin d’attester de l’effectivité de celle-ci et de pouvoir, sans crainte d’être débouté, obtenir le remboursement des fruits civils générés par le principe de l’accession.

 


 

Une solution symbole d’une relation déséquilibrée

Tout d’abord, la possibilité de résilier le contrat de bail peut paraître disproportionnée à l’égard du locataire, puisqu’il peut se retrouver sans logement, d’autant plus qu’il doit remettre au bailleur l’ensemble des revenus générés sur la simple théorie de l’accession. Si la sanction était équitable, il serait bien plus simple de caractériser la faute, étant donné que la preuve est difficile à rapporter : une capture d’écran et une étiquette de boîte aux lettres ne suffisent pas. Ne serait-il pas plus adéquat de n’exiger que la différence entre le loyer et les revenus perçus par le locataire ? Au regard de la jurisprudence actuelle, le bailleur perçoit les deux.

Par ailleurs, ces sanctions marquent de manière définitive la supériorité du droit de propriété du bailleur sur le droit de jouissance paisible du locataire.

Pour un preneur, parfois précaire, la sous-location peut servir de complément de revenus. Les sanctions prévues actuellement ne sont pas en adéquation avec son statut de partie faible au contrat de bail.

Néanmoins, il faut tempérer ce propos et rappeler que cette logique est conforme à l’article 1729 du Code civilsur l’obligation pour le locataire d’employer la chose louée au seul usage à laquelle elle a été destinée : la sous-location semblerait tendre vers une exécution déloyale du contrat de bail.

 


 

Quel impact pour les plateformes locatives ?

En l’espèce, la plateforme, non poursuivie, n’a pas été condamnée. Or, le tribunal judiciaire de Paris a déjà rendu une décision en ce sens, pour la toute première fois, le 5 juin 20209, marquant peut-être le début d’une jurisprudence constante… Cet arrêt a condamné la plateforme à payer une somme au titre des commissions perçues mais également in solidum avec le preneur au titre de l’activité illicite, en raison du « caractère actif dans sa mise en relation entre les hôtes et ses voyageurs », la plateforme n’ayant pas qu’une simple activité d’hébergement. Des enjeux se soulèvent : quel statut juridique donner à ces plateformes ? La jurisprudence vise-t-elle à réglementer l’exercice de ces plateformes en France ou simplement à responsabiliser les locataires ?

Vis-à-vis d’un locataire usant du bien d’autrui à des fins commerciales, elles permettent de sanctionner une activité illicite et de protéger le droit de propriété du bailleur. Mais vis-à-vis des plateformes de location entre particuliers, ces solutions leur imposent de contrôler strictement leurs clients, sous peine d’une sanction pouvant être lourde de conséquences tant pour leurs finances que pour leur image. Leur activité en serait impactée.

 

 


Et quid du sous-locataire ?

La jurisprudence pourrait à l’avenir déplacer la responsabilité des plateformes vers le sous-locataire (encore faut-il pouvoir l’identifier…) et le condamner solidairement avec le locataire initial, en faisant peser sur ce dernier un devoir de vigilance lors de ses recherches de location, ou en lui reprochant une faute de négligence pour n’avoir pas tenté de vérifier la réelle propriété de son bailleur. Preuve diabolique…

 

1) Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986.

2) Cass, Civ. 3e, 12 septembre 2019, n° 18-20.727.

3) Articles 546 et 547 du Code civil.

4) Cour d’appel de Paris - Pôle 04 ch. 04, 5 juin 2018, n° 16/10684.

5) Cour d’appel d’Orléans, 1er juillet 2020, n°19/03339 ; cour d’appel de Bordeaux, 21 janvier 2020, n° 19/01794 ; tribunal judiciaire de Paris, 5 juin 2020, n° 11-19-005405.

6) Cour d’appel de Paris - Pôle 04 ch. 03, 19 avril 2019, n° 17/04551.

7) Cour d’appel de Paris - Pôle 04 ch. 04, 25 février 2020, n° 17/22689.

8) Article 1729 du Code civil : « Si le preneur n’use pas de la chose louée raisonnablement ou emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée, ou dont il puisse résulter un dommage pour le bailleur, celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail ».

9) Tribunal judiciaire de Paris, 5?juin 2020, n°?11-19-005405

 

 

Cette note, rédigée par Sarah Jarboui et Zoéline Béquin, étudiantes en Master 2 Droit privé, Parcours contentieux, Le Mans Université, a été publié dans le cadre du partenariat établi entre
Le Mans Université et le Journal Spécial des Sociétés.

Ces commentaires sont rédigés par les étudiants, sous le contrôle et la supervision du professeure Myriam Roussille, agrégée des facultés de Droit, professeure à l’université du Mans.

 

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