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La plus haute juridiction
administrative juge, dans un avis rendu au gouvernement, que le cumul de
telles qualités n’était pas interdit. Les conditions permettant d’éviter les
conflits d’intérêt ont néanmoins été précisées.
Dans un avis rendu au début
du mois de juillet et que le gouvernement a décidé de rendre public le 21
juillet, le Conseil d’État soutient que « les principes constitutionnels
gouvernant le statut de magistrat judiciaire n’empêchent pas le cumul de la
qualité de magistrat français et de fonctionnaire de l’Union européenne ».
Cette analyse vient en
réponse à une question du ministre de la Justice : Éric Dupond-Moretti
avait en effet saisi la plus haute juridiction administrative le 30 mai dernier
pour s’assurer que le cumul de la qualité de magistrat français et de
fonctionnaire de l’Union européenne, y compris hors cas de détachement du magistrat
au sein de la fonction publique de l’Union européenne, ne méconnaissait pas le
principe d’indépendance des magistrats.
Pour en arriver à la conclusion rendue, la juridiction s’est d’abord penchée sur l’un de ses précédents avis, rendu en 1994. Dans ce dernier, le Conseil d’État avait certifié que l’administration n’était pas tenue de radier du corps dont il fait partie le fonctionnaire de l’État qui acquiert la qualité de fonctionnaire titulaire des institutions communautaires, ayant considéré que « l’administration n’est pas tenue de radier du corps dont il fait partie le fonctionnaire de l’État qui acquiert la qualité de fonctionnaire titulaire des institutions communautaires ».
Aujourd’hui, l’institution souligne dans son avis qu’aucun
changement constitutionnel depuis 1994 ne peut modifier le sens de sa réponse, et
constate par ailleurs qu’aucune loi ni aucune évolution de la jurisprudence ne
peut permettre de l’aider à répondre à cette question. « Le cumul de la
qualité de fonctionnaire français et de la qualité de fonctionnaire de l’Union
européenne n’est pas, par principe, prohibé », tranche le Conseil
d’État sur ce point.
Pas d’interdiction inscrite
dans la loi
En ce qui concerne le fond du
questionnement du garde des Sceaux, à savoir la possibilité ou non de cumuler
le statut de magistrat français avec celui de fonctionnaire de l’Union
européenne, le Conseil d’État observe là aussi que la loi relative au statut de
la magistrature n’interdit pas ce type de cumul.
Ce texte liste les faits
menant à la cessation définitive des fonctions de magistrats : démission
d’office ou démission régulièrement acceptée ; mise à la retraite ou
admission à cesser ses fonctions lorsque le magistrat n’a pas droit à
pension ; révocation ; nomination directe dans l'une des
administrations centrales de l'État, des services déconcentrés en dépendant ou
des établissements publics de l'État.
La plus haute juridiction
administrative assure d’ailleurs que le projet de loi organique relative à
l'ouverture, la modernisation et la responsabilité de la magistrature,
actuellement soumis au Parlement et qui a fait l’objet d’un avis du Conseil
d’État en avril dernier, conforte cette absence d’incompatibilité de cumul de
la qualité de magistrat français et de fonctionnaire de l’Union européenne.
Le texte indique en effet que
« les membres des corps recrutés par la voie de l’Institut national du
service public, les professeurs et les maîtres de conférences titulaires des
universités, les administrateurs des assemblées parlementaires, les
fonctionnaires civils ou militaires de l’État, de la fonction publique
territoriale ou de la fonction publique hospitalière appartenant à des corps ou
à des cadres d’emplois de niveau comparable et les fonctionnaires de l’Union
européenne de niveau comparable peuvent […] faire l’objet d’un détachement
judiciaire pour exercer les fonctions des premier et deuxième grades ».
Sur l’interdiction de cumuler
des fonctions de magistrat avec toute autre fonction publique ou une autre
activité professionnelle ou salariée, le Conseil d’État soutient que cette interdiction
ne concerne que les conditions d’exercice des fonctions de magistrat. « Il
ne saurait s’en déduire une interdiction de cumul de qualités, telles celles de
magistrat et de fonctionnaire de l’Union », assure-t-il.
Le Conseil d’État s’est
également penché sur une décision rendue par le Conseil constitutionnel en 1998,
qui considérait que « les fonctions de magistrat de l'ordre judiciaire
doivent en principe être exercées par des personnes qui entendent consacrer
leur vie professionnelle à la carrière judiciaire ».
Dans son avis, il estime que « cette
exigence n’a été rappelée que pour énoncer les conditions et limites dans
lesquelles l’ordonnance organique permet de confier certaines fonctions
juridictionnelles à des juges non professionnels […]. Cette exigence ne
constitue en conséquence pas un obstacle à cette double appartenance. »
D’après le Conseil d’État,
les principes d’indépendance et d’impartialité « n’emportent aucune
interdiction de cumul » des deux qualités. Il juge cependant que la
situation d’un magistrat occupant un emploi au sein d’une institution
européenne ou qui, à l’issue d’une période d’activité exercée au sein de la
fonction publique européenne, envisage de retrouver la fonction publique
française, doit être examinée par l’autorité compétente, au même titre que les
fonctionnaires ayant la double appartenance de statut.
Des propositions pour éviter
les conflits d’intérêts
Pour maintenir le respect du
principe d’indépendance de la justice, le Conseil d’État formule plusieurs recommandations,
rappelant qu’un agent du service public ou son autorité hiérarchique doit
prendre les mesures nécessaires pour empêcher tout conflit d’intérêts entre des
intérêts publics et des intérêts privés, mais aussi entre des intérêts publics
différents comme le sont la justice française et les institutions européennes.
Il propose notamment aux
magistrats de recourir à la procédure d’abstention prévue dans le Code de
l’organisation judiciaire dès lors qu’il suppose que son implication dans une
affaire pourrait créer un conflit d’intérêts lié aux fonctions qu’il a pu
précédemment exercer au sein de la fonction publique européenne.
Dans ses fonctions de
fonctionnaire de l’Union européenne, le magistrat peut demander un congé de
convenance personnelle avec absence de rémunération, comme prévu dans un
règlement de 2014, afin d’écarter un doute sur son indépendance. « La
position de congé de convenance personnelle comporte aussi un droit à
réintégration et n’exonère pas l’agent de l’ensemble de ses obligations
déontologiques », prévient néanmoins le Conseil d’État.
Pour nuancer son avis, le
Conseil d’État recommande par ailleurs au Conseil supérieur de la magistrature (CSM)
de juger par lui-même si, au regard des fonctions exercées, toutes ces recommandations
« suffisent à dissiper toute suspicion de conflit d’intérêts ou
d’atteinte aux principes d’impartialité et d’indépendance ». Dans le
cas contraire, le CSM pourrait renoncer à une nomination, voire la conditionner
à la démission de la fonction publique européenne.
Alexis
Duvauchelle
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