Le barème Macron, disposition mal-aimée par les salariés… et certaines juridictions


mardi 23 juillet 20246 min
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Mise en place par l’ordonnance du 22 septembre 2017, la grille plafonnant les indemnités prud’homales pour licenciement sans cause réelle et sérieuse était jusqu’à très récemment boudée par deux cours d’appel, qui continuent, par d’autres méthodes, à la détourner.

Sept ans après sa mise en place, le barème Macron est-il transgressé par les instances judiciaires ? « Certains tribunaux font de la résistance », assure François Hubert, avocat en droit social chez Voltaire Avocats.

Certaines cours d’appel semblent en effet permettre aux salariés de contourner l’ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail ayant introduit, par un article L. 1235-3 du Code de travail, un barème des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse (hors licenciements graves pour harcèlement moral, sexuel, discrimination ou violation d’une liberté fondamentale, qui seraient considérés comme un licenciement nul). Après la signature de cette ordonnance, « un certain nombre d’oppositions se sont levées pour contester son application », rappelle François Hubert.

Des juges français avaient en effet immédiatement écarté ce barème, sur le fondement de l’article 10 de la Convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui impose lorsqu’un versement est jugé injustifié par un tribunal de procéder au « versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée », et de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée, qui donne le droit aux « travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».

Cette contestation a connu diverses décisions judiciaires : saisi par des députés, le Conseil constitutionnel avait considéré le 29 mars 2018 que le législateur avait « poursuivi un objectif d’intérêt général ». La Cour de cassation a confirmé à plusieurs reprises cette décision depuis, estimant qu’un tel barème était, au contraire des décisions initiales, compatible avec les textes de l’OIT et de la Charte sociale européenne.

Mais certaines juridictions et instances ont tout de même continué de s’y attaquer, comme le Comité européen des droits sociaux qui, dans une décision non contraignante en 2022, avait considéré que « des plafonds d'indemnisation fixés par l'article L.1235-3 du Code du travail ne sont pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par la victime et être dissuasifs pour l'employeur ».

Deux cours d’appel plus « généreuses » que les autres

En février 2024, une étude mesurant l’impact du barème à partir de plus de 268 000 arrêts de cour d’appel a relevé une baisse globale de l’indemnisation de base, qui est passée en moyenne de 7,9 mois avant la réforme à 6,6 mois de salaire brut après l’entrée en vigueur du plafonnement des indemnités.

Mais en plus de cette indemnité « initiale » s’ajoutent des indemnités « secondaires ». Et après l’addition de ces deux montants, la baisse du montant total d’indemnisation a été effacée. « Les juges ont compensé la diminution de l’indemnité de licenciement en accordant plus facilement d’autres indemnités aux salariés », analyse Anne Vincent-Ibarrondo.

En regardant les décisions, le cabinet Voltaire Avocats a déterminé que les cours d’appel de Douai et de Grenoble ont à plusieurs reprises écarté le barème Macron.

Dans une décision du 21 octobre 2022, la cour d’appel de Douai décidait de ne pas respecter cette disposition, considérant qu’au vu de la situation particulière du salarié – âgé de 55 ans, père de huit enfants dont trois encore mineurs et avec des emprunts en cours –, l’application du barème ne permettait pas une indemnisation adéquate et appropriée au regard du préjudice subi. 30 000 euros de dommages et intérêts avaient ainsi été alloués au salarié licencié, soit 6 000 euros de plus que ce que le barème prévoyait.

Le 16 mars 2023, c’est cette fois la cour d’appel de Grenoble qui décidait d’écarter le barème, se fondant sur « l'absence d'examen à intervalles réguliers par le gouvernement, en concertation avec les partenaires sociaux, des modalités du dispositif d'indemnisation ».

Les entreprises ne sont pas inquiètes

Un non-respect qui a, dans le cas de la décision de la CA de Douai, été cassé par la Cour de cassation, laquelle, le 7 mai dernier, a rappelé que « la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse », tout en réaffirmant que le barème Macron était compatible avec la convention 158 de l’OIT. L’affaire a été renvoyée devant la cour d’appel d’Amiens.

« Il y a une inégalité de traitement entre les salariés, car la plupart des cours d’appel de France appliquent ce barème, assure François Hubert. Si on est salarié ou entreprise relevant du ressort juridictionnel des cours d’appel de Douai ou de Grenoble, on a affaire à une incertitude compte tenu de leur position dissidente. »

Une conséquence à l’exact opposé de l’intention initiale de la réforme : « L’application du barème Macron avait notamment pour objectif de faciliter les entreprises, lorsqu’elles envisageaient un licenciement, d’évaluer le risque encouru en cas de remise en cause de ce licenciement. » Pour autant, on ne peut pas dire que cette situation fasse peur aux entreprises, estime l’avocat : « Les quelques décisions rendues en dissidence avec la jurisprudence constante de la Cour de cassation sont très limitées. »

Certains salariés ayant fait l’objet d’un licenciement pourraient toutefois être tentés par le fait de multiplier les demandes pour espérer obtenir un jugement plus favorable. François Hubert note ici deux types de stratégies pouvant se cumuler dans un même dossier prudhommal. Sur la rupture du contrat de travail, si la nullité du licenciement est confirmée, le barème ne s’applique pas, et le salarié peut être réintégré dans l’entreprise et a droit au versement de l’équivalent des salaires qu’il aurait dû percevoir entre son renvoi et sa réintégration. S’il n’y a pas de réintégration, le salarié a droit au minimum à six mois de salaire.

Mais « dans des dossiers pour lesquels les salariés ont une ancienneté limitée, ceux-ci invoquent la nullité du licenciement pour contourner l’application du barème », assure François Hubert. Une stratégie de défense relayée par certaines juridictions prud’homales, selon des constatations de l’avocat. « Il n’est pas rare de voir des décisions de justice dans lesquelles le licenciement est jugé nul pour permettre l’allocation de dommages et intérêts de manière plus forte qu’en cas d’application du barème Macron. »

Des demandes « plus ou moins sérieuses », estime-t-il, et qui ont pour conséquences des effets pernicieux, comme l’augmentation des durées de procédures, la complexification de la défense des entreprises et l’engorgement des conseils des prud’hommes.

Un régime relativement souple pour les employés

Les salariés peuvent aussi cumuler la demande de nullité de son licenciement, pour harcèlement moral par exemple, avec le fait d’être victime d’autres préjudices trouvant leur source dans des manquements de l’employeur à différentes obligations, comme l’obligation de sécurité ou de formation. Le salarié peut dans ce cadre demander un certain nombre d’indemnités.

L’autre technique, qui peut aussi se cumuler avec la précédente, est de formuler des demandes en lien avec l’exécution du contrat de travail. Cela peut-être la réclamation d’heures supplémentaires ou la contestation de son forfait jour par exemple. « Cette situation aboutit quelquefois à des montants demandés à ce titre plus importants que ceux demandés au titre de la rupture du contrat de travail sur laquelle le barème Macron a vocation à s’appliquer. »

Une multiplication facilitée par un régime probatoire, en particulier concernant les requêtes d’heures supplémentaires et les accusations de harcèlement moral, relativement souple.

En matière d’heures supplémentaires, la Cour de cassation demande au salarié d’apporter des éléments capables de prouver les heures supplémentaires qu’il prétend avoir effectuées, et l’employeur doit apporter des éléments démontrant que la durée légale du travail a bien été respectée et que les éléments apportés par le salarié ne sont ni crédibles ni sérieux.

En matière de harcèlement moral, la jurisprudence considère qu’il faut apporter des éléments de fait laissant penser que le salarié a été victime de harcèlement moral. À charge pour l’employeur d’apporter des éléments objectifs de nature à contredire ces éléments de fait produits par le salarié et montrer que les décisions prises étaient objectives.

La jurisprudence de la Cour de cassation, qui depuis la fin d’année dernière admet la recevabilité d’une preuve déloyale sous conditions que cette atteinte soit proportionnée au but poursuivi et que la production de cette preuve soit indispensable au succès de la prétention de la partie qui se prévalait de cette preuve illicite, « peut aussi encourager la mise en place de ces dossiers prud’homaux venant complexifier les demandes pour contourner le barème Macron », estime François Hubert.

« L’employeur doit donc être exemplaire au titre de la rupture comme au titre de l’exécution du contrat de travail pour éviter d’être exposé à des demandes pécuniaires en cas de contentieux », synthétise Anne Vincent-Ibarrondo, qui se demande si le barème pourrait être remis en question lors de prochaines élections. « Si cela arrive, on aura toujours ce même phénomène de multiplication des demandes, et les employeurs auront tout perdu puisque le risque en cas de contentieux sera encore plus élevé. »

Alexis Duvauchelle

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