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Si jeter un mégot de cigarette dans la forêt ou depuis la fenêtre de sa voiture est sévèrement puni par la loi, ce geste aux conséquences potentiellement désastreuses continue d’être largement pratiqué.
Près d’un fumeur sur quatre (24 %) jette encore ses mégots par la fenêtre de sa voiture, d’après un tout récent sondage de juillet 2024 publié par la Fondation Vinci Autoroutes. Sur l’autoroute, ce sont en moyenne 100 mégots de cigarettes par kilomètre qui sont jetés chaque jour, dans un seul sens de circulation. Un comportement qui peut avoir de graves conséquences, d’autant plus que le risque s'accroît avec le réchauffement climatique.
Chaque année en France,
« on sait de manière certaine que plusieurs dizaines de départs de feux
sont dus à des mégots de cigarettes » grâce à la Base de données sur
les incendies de forêt en France (BDIFF), explique Christophe Chantepy,
ingénieur forestier spécialisé en défense des forêts contre les incendies à
l’Office national des forêts (ONF). A ces chiffres s'ajoutent
tous les cas de figure où les mégots sont considérés comme une cause probable,
« soit plusieurs centaines de départs de feu chaque année ». Au
total, « entre 0 et 5% des 12 000 départs de feu par an en France sont
dus à des mégots de cigarettes, ce qui donne à la fin un chiffre tout à fait
conséquent », précise l’ingénieur.
D’autres statistiques permettent de mesurer l’ampleur du phénomène : « 95 % des incendies sont d’origine humaine dont 40 % provoqués de façon volontaire par des incendiaires, le reste est dû à de l’imprudence, dont 20 à 25 % à cause de mégots », complète Luc Langeron, directeur du département information et prévention de l'Entente Valabre, un établissement public spécialisé dans la lutte contre les incendies. Pour les 5 % à 8 % restants, il s’agit d’incendies provoqués par la foudre. « Cela varie en fonction des départements », les zones de montagne étant les plus exposées à ce phénomène naturel, précise Luc Langeron.
Le problème, c’est que la fraise des mégots est très chaude (800 degrés) et très volatile, sans pour autant s’éteindre. « Elle va être poussée sur plusieurs mètres par le souffle des voitures ou le vent jusqu’à venir rencontrer la couche d’herbes sèches en bordure de route, ce qui déclenche un incendie », poursuit Luc Langeron. Les exemples de grands feux provoqués par des mégots sont légion. On peut par exemple citer l’incendie de 2016 à Rognac près de Marseille qui a détruit 630 hectares de forêt méditerranéenne, ou encore à Gonfaron dans le Var en 2021 (7 000 hectares ravagés, deux personnes tuées).
Récemment, la législation a évolué, notamment avec la loi du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie. Plutôt qu’un durcissement, Christophe Chantepy de l’ONF préfère parler d’une clarification des sanctions encourues.
Sur le jet de mégots, rien n’a changé. Ce comportement est toujours considéré comme de l’emploi de feu et à ce titre strictement interdit toute l’année dans les forêts et jusqu’à 200 mètres de celles-ci. Les routes à proximité de zones boisées sont donc concernées par cette interdiction. L’amende encourue est de 4e classe soit 750 euros, avec néanmoins la possibilité d’utiliser une amende forfaitaire à 135 euros ce qui est dans les faits la sanction la plus fréquemment employée par les agents assermentés. L’amende de 135 euros est la « plus efficace, la plus adaptée et rapide », explique Christophe Chantepy.
Il existe toutefois une différence d’interdiction sur le fait de jeter des mégots si la personne est propriétaire ou non de la zone boisée. « Dans l’absolu, le jet de mégots est considéré comme de l’emploi du feu et il est interdit en dehors de sa propriété. De ce fait, un promeneur ne peut jamais jeter son mégot, y compris en hiver », souligne Christophe Chantepy. Un propriétaire peut cependant fumer et jeter son mégot dans sa forêt « mais uniquement en dehors de périodes à risques fixées par le préfet ».
En revanche, les interdictions sont valables pour tout le monde pendant les périodes à risques, y compris pour les propriétaires. La loi de juillet 2023 a toutefois changé la réglementation sur le fait de fumer pendant les périodes à risques fixées par le préfet. Depuis cette loi, il est interdit de fumer en forêt et jusqu’à 200 mètres de celles-ci pendant les périodes à risques. Si avant il était déjà interdit de fumer pendant les périodes à risques (avec une amende de 135 euros à la clef), cette interdiction était uniquement valable en forêt (sans la mention d’une zone tampon).
D’autres changements ont été
apportés par la loi. Le préfet devait auparavant indiquer explicitement dans
son arrêté que fumer était interdit. Cela n’est plus nécessaire aujourd’hui. « L’interdiction
de fumer en forêt et jusqu’à 200 mètres est aujourd’hui en vigueur par défaut
pendant les périodes à risques », précise Christophe Chantepy.
En dehors des périodes à risques, il est théoriquement possible de fumer en forêt, et la loi n’a rien changé sur ce point. « Fumer n’est pas considéré véritablement comme de l’emploi du feu. Le Code forestier dit qu’il est interdit de fumer uniquement pendant les périodes fixées par le préfet. Par déduction, ce n’est donc pas vraiment interdit en hiver », commente Christophe Chantepy.
Mais si le jet de mégots a provoqué un incendie, les sanctions encourues sont beaucoup plus importantes. La loi du 10 juillet 2023 a inclus explicitement dans le Code forestier le jet de mégots parmi les causes d’un incendie involontaire. Comme c’était déjà le cas dans d'autres circonstances (feux allumés ou laissés sans précautions suffisantes...), le responsable peut désormais encourir dix ans de prison et 150 000 euros d’amende pour les cas les plus graves ayant conduit à la mort d’une ou de plusieurs personnes. La sévérité de la peine doit théoriquement s’établir en proportion des dégâts engendrés par l’incendie.
Si cette infraction au Code forestier a toujours été réprimée dans la pratique par le Code pénal (plusieurs exemples de condamnations dans le passé), la loi de juillet 2023 est venue inscrire de « manière très explicite que le jet de mégots ayant entraîné un incendie est un délit sanctionnable au niveau pénal », explique Christophe Chantepy. « Avant, cela était juridiquement un peu moins clair » et la loi est « venue éclaircir une situation », ajoute l’ingénieur forestier. Dans l’incendie de Rognac en 2016 qui avait blessé huit personnes, un mégot jeté sur un talus de broussailles avait été identifié par la Gendarmerie. L’auteur du jet de mégots a été condamné en 2021 à cinq ans de prison dont quatre ans avec sursis.
Malgré la menace de fortes sanctions pénales, un très grand nombre de fumeurs continuent de jeter leurs mégots à proximité de zones boisées. Néanmoins, il est « très difficile » pour un agent assermenté de constater un jet de mégots car il s’agit d’un « geste très rapide » et il est rare que les individus soient pris sur le fait, souligne Christophe Chantepy. Quant aux caméras sur les autoroutes, elles servent à contrôler l’état du trafic et ne sont techniquement pas faites pour constater des infractions comme les jets de mégots, explique Bernadette Moreau, déléguée générale de la Fondation Vinci Autoroutes.
D’après le sondage de la Fondation Vinci Autoroutes, 4 fumeurs sur 5 considèrent que jeter un mégot par la fenêtre de sa voiture n’a pas nécessairement de conséquences graves (parmi les 24 % déclarant jeter leurs mégots par la fenêtre de leur voiture). Pourtant, « 50% d'entre eux ont déjà été affectés de façon directe par des incendies de forêt. C’est paradoxal », explique Bernadette Moreau. « Il y a vraiment une sous-estimation du risque d’où l’intérêt de mener des opérations de sensibilisation sur les autoroutes », poursuit-elle.
La Fondation Vinci Autoroutes conduit tout l’été différentes campagnes de communication sur les aires d’autoroute dans le cadre de la campagne #StopMégots. Ces opérations consistent à rencontrer les automobilistes pour les sensibiliser aux conséquences des jets de mégots de « façon à ce que les fumeurs prennent conscience des risques ». Il s’agit également de distribuer des cendriers de poche.
« Les fumeurs que nous rencontrons nous disent souvent que le jet de mégots est un geste réflexe. Il faut changer cela car déjà, à la base, il s’agit d’un geste qui pollue. Un mégot jeté, c’est 500 litres d’eau pollués », souligne Bernadette Moreau. « En matière de prévention, les résultats ne peuvent pas être spectaculaires d’une année sur l’autre. C’est un travail de longue haleine et il ne faut surtout pas se désespérer. C’est dans la durée qu’on va pouvoir faire bouger les choses », poursuit-elle.
D’ailleurs, les résultats du sondage annuel ont légèrement progressé depuis une dizaine d’années, passant de 27 % de fumeurs déclarant jeter leurs mégots par la fenêtre à 24 % aujourd’hui. Au fil des années, « on s’aperçoit que dans les régions du Sud de la France les plus exposées, les comportements sont un peu meilleurs, ce qui veut dire qu'en faisant de la sensibilisation on peut parvenir à faire progresser les comportements », déclare Bernadette Moreau.
Autre élément positif : le nombre de départs de feux dans les régions méditerranéennes françaises est « sensiblement à la baisse », souligne Luc Langeron de l’Entente Valabre. « Les automobilistes que nous rencontrons cet été lors de l’opération #StopMégots sont compréhensifs et à l’écoute, y compris par les fumeurs », témoigne-t-il. Cependant, « il y a encore un noyau dur qui résiste. Or, avec le réchauffement climatique, le risque incendie s’étend au-delà des forêts méditerranéennes »
Sylvain Labaune
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