Le contrat de travail à l’épreuve de la Covid-19


dimanche 28 juin 202010 min
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Le contrat de travail prend sa place dans l'architecture complexe des relations de travail. De longue date, le contrat de travail, contrat synallagmatique, lie l'employeur et le salarié dans une relation qui échappe très largement aux règles contractuelles civilistes (la notion de bonne foi des parties au contrat a été transférée du Code civil au Code du travail)1. La spécificité de la relation de travail et son encadrement légal ou conventionnel résultent de la volonté de protéger les travailleurs dans une relation économiquement déséquilibrée par nature. Cette protection s’est développée dans tous types de relations de travail et toutes formes de contrats (du contrat à durée déterminée au contrat de mission) ou d’exécution de prestations à finalité d’employabilité (contrat d'apprentissage, contrat de professionnalisation)2.


Les articulations des règles en droit du travail sont complexes. À la hiérarchie des normes s'ajoute une jurisprudence attentive aux déséquilibres économiques. Les contrôles de l’administration, des médecins du travail et les sanctions des juges complètent ce dispositif.


Si le contenu du contrat de travail lui-même « fait la loi des parties », c’est à la condition de rester dans un cadre déterminé par la loi, les conventions et accords collectifs et autres règles de l’entreprise auxquelles peuvent s’ajouter des chartes et codes de conduite d’entreprise sur des questions particulières. Le contrat contient des dispositions qui ne peuvent être en principe modifiées sans l'accord des parties et particulièrement du salarié. Le contentieux sur les modifications est abondant et porte sur des ruptures de contrat ou des indemnisations dues au refus du salarié.


Le contrat de travail devrait donc sécuriser la relation de travail entre l'employeur et le salarié par un échange de consentement sur le contenu du contrat. Dans ce rapport singulier, l’employeur a l'obligation de fournir du travail, le salarié de l'exécuter avec pour contrepartie une rémunération dans un lien de subordination. Toutefois, des suspensions de contrat peuvent aussi intervenir, que ce soit du fait du salarié (maladie, accident du travail, arrêt pour raisons familiales ou autres prévus par la convention collective) ou de l’employeur (décision d'activité partielle). De nombreuses décisions de l’employeur impliquent les représentants du personnel (CSE) et l’administration du travail.


Pendant la suspension du contrat, le salarié cesse sa prestation et perçoit une indemnisation dont le montant varie selon les motifs. Le contrat de travail confère aussi divers droits et avantages consentis pour tous les salariés de l'entreprise (congés, repos, formation, prévoyance, assurance complémentaire…).


L’épidémie de Covid-19 a profondément bouleversé cette architecture et la relation professionnelle elle-même. Le but était de permettre à la fois la protection de la santé et la préservation de l’emploi, et imposait une organisation du travail de nature à prioriser la santé et amortir le choc économique. Cette équation, dans le monde du travail, a eu un impact important sur le contrat et la relation de travail. Cette situation a révélé l'adaptabilité de tous les acteurs dans des situations certes différentes selon les branches d'activité, la taille de l'entreprise, la catégorie de personnel et les possibilités ou non de maintenir une activité.


Il résulte d'un sondage OpinionWay de mai 20203 que deux tiers des salariés étaient en activité pendant le confinement, dont 37 % en télétravail et 29 % sur les lieux habituels, alors que 33 % étaient en chômage partiel. Dans les trois cas, des règles adaptées à la situation, inspirées par le Code du travail, mais néanmoins transformées et souvent innovantes, ont modifié le contrat de travail hors la volonté du salarié.


Certaines règles du Code du travail ont été modifiées dans le but d'une efficacité immédiate en raison de l'urgence sanitaire. Tous les acteurs en droit du travail ont été concernés, employeurs, salariés, représentants du personnel, administration du travail.


Avant même la décision gouvernementale du confinement, la question prioritaire concernait la protection de la santé. Les premières précautions sanitaires qui ont permis aux entreprises de continuer à fonctionner ont été mises en place et, très vite, des règles d'hygiène, des gestes barrières, des mesures de distanciation. Des salariés ont manifesté le souhait d’interrompre leur travail en faisant valoir un droit de retrait4.


Le droit individuel du salarié de faire valoir son retrait et suspendre son contrat de travail n’avait déjà pas été retenu par la jurisprudence en cas d'épidémie de grippe. Le ministère de la Santé et de la Solidarité5 a déclaré que le gouvernement considérait que dès lors que les mesures de prévention et de protection nécessaires ont été prises par l'employeur conformément aux recommandations du gouvernement, il ne pouvait y avoir de droit au retrait. Quelques initiatives de demandes de retrait ont alors cessé au profit d'autres actions critiquant la mise en œuvre des gestes barrières ou des mesures de santé et sécurité, mais particulièrement, l'absence de consultation du CSE (affaire Amazon, CA Versailles, 24 avril 2020, RG : 20/01993).


La CFDT rappelait de son côté que la rémunération étant maintenue lorsque la suspension du contrat est due à un droit de retrait si, ultérieurement, il était jugé que les conditions de retrait n’étaient pas réunies, il y aurait une retenue sur le salaire selon la jurisprudence existante.


 


Les arrêts de travail contraints pour motifs personnels


La fermeture des écoles a contraint un certain nombre de salariés à devoir suspendre leurs activités afin de garder les enfants. La mesure immédiate a été de considérer que cette catégorie de salariés bénéficierait d'un arrêt de travail, financé par la Caisse primaire d'assurance-maladie. Ces mêmes mesures se sont appliquées aux personnes dites vulnérables ou celles devant aider des personnes vulnérables. Dans le cadre de la préservation de l'emploi, mais aussi de la préservation du pouvoir d'achat, les employeurs ont été vivement incités à maintenir le salaire au-delà des indemnités journalières de maladie perçues par le salarié. Ce dispositif est appliqué « à défaut de télétravail ».


Pour les personnes vulnérables ou en arrêt de travail en raison de l'aide apportée à une personne vulnérable, il faut justifier de l’impossibilité de se rendre sur le lieu de travail par un certificat médical attestant de la nécessité d'isolement.


Depuis le 1er mai, que ce soit un arrêt pour garde d'enfants ou pour vulnérabilité, le régime de l'indemnisation par le chômage du fait d'une activité partielle est désormais retenu. Pour la garde d'enfants, il suffit d'une simple déclaration du salarié à son employeur pour que l'indemnisation au titre de l'activité partielle se substitue à la précédente.


Pour des raisons précises, directement liées à la Covid-19, avec souplesse et rapidité, le contrat de travail a été suspendu à l'initiative du salarié déclarant la situation dans laquelle il se trouve avec une contrepartie qui indemnise la perte de rémunération.


Est mis en place un arsenal de mesures avec des règles spécifiques pour le télétravail, l'activité partielle, l'aménagement des jours de repos et des congés payés, la durée du travail, avec une série d'ordonnances prises de mars à avril 2020 assorties de questions-réponses sur le site du ministère à un rythme quasi journalier. Nous sommes entrés le 11 mai, puis le 2 juin, dans la phase de déconfinement, et la loi du 17 juin 2020 ainsi que le nouveau protocole de déconfinement prolongent et modifient les précédentes mesures6.


 


L’impact du télétravail sur le contrat de travail


Dans le Code du travail, le recours au télétravail est prévu et organisé. Un accord d'entreprise ou une charte doit notamment préciser les conditions de passage en télétravail, les modalités d'acceptation par le salarié et les conditions de mise en œuvre. Viendront ensuite les modalités de contrôle du temps de travail, de régulation de la charge de travail et la détermination des plages horaires durant lesquelles il est possible de contacter le salarié en télétravail7. Toutefois, en cas d'épidémie, la mise en œuvre du télétravail est considérée comme un « aménagement du poste rendu nécessaire pour permettre la continuité de l'activité de l'entreprise et garantir la protection des salariés »8. À défaut d'accord collectif ou de charte, le Code prévoit un accord entre le salarié et l'employeur pour cette modification du contrat de travail, même si les parties ont le choix de le formaliser « par tous moyens ». Les conditions d’urgence rencontrées ont effectivement laissé peu de temps pour formaliser des avenants aux contrats de travail ou pour préciser un dispositif général par un accord ou une charte.


Tout refus de la part du salarié sur la décision de télétravail de l’employeur pour épidémie est exclu du fait de « l'aménagement du poste » visé expressément dans ce texte. Ce terme est inspiré de la jurisprudence dans certains cas de refus où le salarié a été débouté de sa demande de rupture.


Les conditions sanitaires n’ont pas pour autant autorisé le télétravail dans toutes les activités pendant le confinement. Le Code du travail impose à l'employeur qui refuse d'accorder le bénéfice du télétravail à un salarié qui occupe un poste « éligible à un mode d'organisation en télétravail dans les conditions prévues par accord collectif ou, à défaut, par la charte » de motiver sa réponse.
La motivation suppose un motif valable ; celui validé par le ministère dans les questions/réponses9
concerne l’impossibilité d'un aménagement technique. Parmi les différentes questions qui ont été posées aux praticiens, il ne semble pas qu'il y ait eu de différends sur ce point.


Dès le confinement, des revendications sont apparues sur la prise en charge de tous les coûts découlant du télétravail à fin d’indemnisation. Une ordonnance du 22 septembre 2017 avait supprimé la disposition du Code du travail laissant à la charge de l'employeur tous les coûts issus directement de l'exercice du télétravail. Cela a été sobrement rappelé par le ministère.


 


Le télétravail et l'activité partielle : l’alternance entre l'exécution et la suspension du contrat


Ces deux dispositifs ont été articulés. La charge de travail étant insuffisante ou susceptible de diminuer au fil des jours en raison du confinement et du ralentissement de la vie économique, l’employeur ne pouvait respecter les obligations du contrat de « fourniture du travail dans un volume constant ». Ainsi, dans le but de la préservation de l’emploi, il a fallu aménager les conditions de recours à l’activité partielle pour tous ceux qui pouvaient néanmoins travailler pour partie en télétravail. Le cumul du télétravail et de l’activité partielle est interdit, mais l’alternance a été créée pour la Covid-19. Le « chômage partiel » s’est accru en avril.


Ainsi, les questions spécifiques du travail à distance, telles que le droit à la déconnexion, la détermination de plages horaires pour contacter le salarié, l’organisation du contrôle du temps de travail, vont s’articuler avec la suspension du contrat pendant la période de non-activité, selon chaque situation.


L’activité partielle elle-même a été particulièrement adaptée à la situation (voir ci-dessous). Spécifiquement, concernant cette alternance entre télétravail et activité partielle, des contrôles seront effectifs et attentifs et imposent aux catégories de personnel concerné de noter le temps consacré au travail à distance et la « non-activité ». Le temps est mesuré par référence au temps de travail habituel. Ce mécanisme, très exceptionnel en l’état de Covid-19, n’a pas eu pour effet, généralement, de réduire la rémunération, contrepartie habituelle du travail pour le salarié en cas de recours à cette activité partielle.


Le retour à la « normale » va-t-il susciter un intérêt accru pour le télétravail des entreprises et des salariés ? Cette expérience devrait inciter les entreprises concernées à passer des accords ou élaborer une charte sur le télétravail. Hors ces circonstances exceptionnelles, ne devrait-on pas réfléchir aux « postes éligibles » ?


L’accélération et la généralisation du télétravail du fait de la Covid-19, imposent une réflexion approfondie sur l'organisation du travail à distance (les syndicats, avant même la fin du confinement, ont annoncé une importante négociation dans le domaine du télétravail) dans le respect de la volonté contractuelle du salarié.


Dans un avenir plus lointain, cette nouvelle orientation de modes d'activité se conjugue aussi avec des aspirations collectives d'un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle, ainsi qu'avec la réduction de l'usage des modes de transport, qui est aussi, pour les grandes agglomérations, une question complexe à impact environnemental.


L’activité partielle, la suspension du contrat10


12 millions de salariés ont bénéficié du dispositif « le plus généreux d'Europe », appelé communément « chômage partiel ».


En principe, il s'agit d'aides aux salariés placés en activité partielle qui subissent une perte de rémunération, soit du fait de la fermeture temporaire, soit de la réduction d'horaire en deçà de la durée légale. C’est une mesure collective. Le recours est fondé sur des motifs dont l'employeur doit justifier pour solliciter l'autorisation de l'inspection du travail après transmission de l’avis formulé lors de la consultation du CSE. Le texte concernant le droit de recours à l'activité partielle vise parmi ces motifs les « circonstances de caractère exceptionnel ».


En conséquence, le motif de la Covid-19 est une cause de suspension du contrat de travail avec en contrepartie une indemnisation. À l’origine, les mesures Covid-19 ont aussi prévu l’éligibilité à l’activité partielle dans le cas de l’impossibilité de mettre en place des mesures de prévention nécessaires pour la santé des travailleurs, telles que le télétravail ou les gestes barrières (on se souviendra qu’en général, les masques étaient indisponibles et indispensables pour certaines activités).


L’urgence a aussi justifié que le gouvernement s’inspire des cas de suspension d'activité dus à des sinistres ou des intempéries. Les procédures et délais de demandes d'autorisation ont été considérablement réduits, au point que l’activité partielle et donc la suspension des contrats de travail ont été immédiates. La demande d’autorisation pouvait être formulée dans les 30 jours qui suivent la mise en activité réduite. L’administration avait 48 heures pour refuser ; à défaut, la validation était implicite. Ce sont précisément ces conditions qui justifient l’instruction ministérielle du 14 mai 2020 détaillant les modalités de contrôle qui vont être exercées par l'administration. Pour le cas où l'accord tacite aurait été donné « par erreur ou après un examen sommaire » compte tenu du délai, le contrôleur peut revenir sur l'autorisation si l'entreprise n'avait pas droit à ce dispositif. Le retrait de l'autorisation entraînera la nullité des demandes d'indemnisation, donc le remboursement par l’employeur et autres conséquences, soit l'obligation de payer les cotisations sociales précédemment exonérées (à l'exception de la CSG maintenue) et la régularisation des bulletins de salaire. Il s’expose à d’éventuelles demandes des salariés sur les conséquences d’une mise au chômage illégale.


La mise en activité partielle ne requiert pas l'accord du salarié, le CSE n’étant lui-même consulté que postérieurement à la validation implicite de la demande d’activité partielle par l'administration.


Pour les salariés protégés eux-mêmes, aucune modification des conditions de travail n'a été retenue de nature à leur permettre un refus contrairement au droit commun11.


Au caractère collectif de l'arrêt ou de la réduction de l'activité affectant tous les salariés de l'entreprise, d'un service ou des ateliers, a été substituée en avril la possibilité d'une activité réduite individualisée12

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