Le projet de code de droit international privé passé à la loupe


mercredi 3 janvier 20248 min
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Le 31 mars 2022, un groupe de travail remettait au ministre de la Justice un projet de code français de droit international privé (CDIP). L'objectif de cette codification est de clarifier les règles de conflits de lois des litiges transnationaux, tout en les ordonnant sur un seul et même support. Qu'en est-il de ce projet ?

Pour en discuter, la Société de législation comparée et l'Institut de droit comparé Édouard Lambert ont organisé un colloque à l'Université Lyon 3 en novembre dernier. Cyril Nourissat, membre permanent du groupe de travail, était notamment présent pour échanger avec magistrats, avocats et professeurs de droit.

« C'est toujours intéressant d'assister à la naissance d'un code » commence en introduction Caroline Chamard-Heim, professeure à l'université. Destiné à simplifier le droit international pour son application en France, le code ne compile pas les conventions internationales, déjà écrites et consultables, mais il contient les règles de conflits de juridictions et de normes nationales applicables aux litiges entre justiciables français et étrangers. Hugues Fulchiron, conseiller en service extraordinaire près la Cour de cassation rapporte que ce code qui est discuté dans le monde universitaire, ne l'est pas dans la magistrature. « Le besoin d'un code est une évidence pour les magistrats. » La recherche des règles du droit national applicable constitue une difficulté dans l'office du juge à laquelle le CDIP pourrait pallier.

Lors d'une première discussion organisée en mars 2022 à l'Université Lyon 3, Marie-Charlotte Dalle, Directrice adjointe des affaires civiles et du sceau expliquait que l'une des raisons de ce projet est l'absence d'initiative de codification par les organes internationaux pour en créer un. « Le constat qui a été fait, c'est l'incomplétude du droit européen de l'Union », explique désormais Cyril Nourissat. Il reste donc aux droits nationaux d’agir pour ce qui concerne l'application du droit international sur leurs territoires, et avec leurs propres sources de droit. « Ce futur code s'adresse aussi bien aux praticiens français qu'à des praticiens étrangers. »

L'autre motivation pour créer la codification française est d'influencer de futurs codes étrangers avec une première référence française. Cette base favoriserait les transactions avec notre pays. C'est aussi le cas pour la reconnaissance de la nationalité d’une société selon des normes étrangères pour unifier le droit et améliorer ainsi les échanges commerciaux.

La reconnaissance de la nationalité selon le siège social fixée dans le projet

Au cours des débats, la comparaison entre droit français et étranger s'est notamment focalisée sur la définition de la nationalité des sociétés. « C'est la fin du critère du siège réel une fois pour toutes » énonçait Yves El Hage, maître de conférence en droit privé, un an plus tôt dans le même amphithéâtre à propos de ce projet. En effet, la règle de rattachement des sociétés à leurs sièges réels a été écartée du texte au profit du siège statutaire suivant les règles de la Suisse, de la Belgique, du Royaume-Uni et du Delaware. Qu'est-ce que cela change-t-il ?

En vertu de l'article 86 du code en débat, « Les sociétés immatriculées au registre du commerce et des sociétés au titre de leur siège statutaire sont soumises aux dispositions de la loi française. » Par exemple, si une société est principalement gérée dans ses bureaux en France mais qu'elle a, lors de sa création désigné son siège social à Dublin, qu'elle s'y est immatriculée, alors elle sera considérée par le juge français comme étant irlandaise. « Les sociétés dont le siège statutaire est situé hors du territoire français sont soumises aux dispositions du droit des sociétés de l’État dans lequel elles sont immatriculées dans un registre public ou, a` défaut d’immatriculation, de l’État ou` est situé leur siège statutaire. » Il s'agira donc de considérer la nationalité de la société en fonction du siège officiel et non du siège réel.

La naissance du CDIP marquera ainsi, de façon plus claire, la fin du siège social réel tant par ce qui sera stipulé dans le contrat de société, que par le lieu d'immatriculation de celle-ci.

Avec l'insertion de clauses compromissoires, qui permettent de décider d'attribuer la résolution de litiges aux arbitres, et des compromis d'arbitrage dans les contrats internationaux, le siège statutaire n'est pas le seul élément déterminant de la loi applicable en matière de droit du commerce international. L'arbitre, et non plus le juge, peut aussi appliquer la loi nationale qui est stipulée par une clause attributive de juridiction. Certains juristes regrettent l'absence de disposition sur l'arbitrage dans ce code.

L'absence de disposition sur l'arbitrage international critiquée par les intervenants

L'arbitrage du commerce international est une matière particulièrement technique et privilégiée par les entreprises. Les sociétés commerciales, plutôt que d'en passer systématiquement par la voie contentieuse, choisissent la voie de l'arbitrage qui est plus rapide et plus argumentée.

Si le code est attractif pour les sociétés étrangères, notamment parce qu’il est perçu à l'étranger comme bien organisé, aboutissant à des solutions pérennes, certains entrepreneurs pourraient désigner Paris comme lieu d'arbitrage pour obtenir une solution plus aboutie. Selon le Professeur Nourissat, co-rédacteur du projet, la place de Paris en arbitrage, qui a été renforcée par un Décret de 2011 pourrait donc l'être encore plus avec ce nouveau code.

Néanmoins, le champ de l'arbitrage, quoique très important, du droit international privé, est absent du code français constate le professeur Wautelet de l’université de Liège. « Le projet devait comporter un titre final sur l’arbitrage international. Nul n’ignore que tel est le cas dans de nombreux codes et lois de droit international prive´ (par ex. en Suisse) », précise le rapport rendu par le groupe de travail. Comme l'explique le professeur Jérémy Jourdan-Marques (« Projet de code de DIP : in or out ? » Dalloz-actualité), le choix de ne pas codifier les règles en matière d'arbitrage trouve sa justification dans le fait que le code de procédure civile comporte déjà des règles qui concernent le choix contractuel de l'arbitrage et celui de la juridiction.

Une dispersion des sources subsistera donc entre les différents codes, ce qui ne convainc pas Sabine Corneloup, professeur à Assas, en termes d'accessibilité des sources. « Une codification d'ensemble me paraît apporter a priori une meilleure lisibilité. » Cela répondrait en effet à l'objectif d'accessibilité des professionnels à la matière du droit international privé. Il n’y a pas que la clause attributive de compétence juridictionnelle qui est concernée par le contrat entre commerçants, mais aussi l'accord de désignation du droit national s’agissant du droit international privé.


Gauche à droite ; GP Romano (Univ Genève), H Fulchiron (C. de cassation), G Ferraz de Campos Monaco (Univ São Paulo). À l'écran ; Y Nishitani (Univ Kyoto) © Antonio Desserre

L'accord de désignation du droit national prévu dans le texte

En droit international privé, il est en effet possible de désigner la loi nationale applicable aux litiges transnationaux. Mais en l'absence d'accord, le règlement Rome I, pose la « clause d'exception ».

Ce mécanisme exceptionnel, qui permet de juger le contentieux selon le droit national qui a les liens les plus étroits avec le contrat litigieux – et non automatiquement par le droit national du lieu du litige – est écarté du futur code français, au contraire du code belge adopté en 2004. De l'autre côté des Ardennes, cette exception est même devenue une généralité. Le juge belge applique habituellement les règles de la nationalité du contrat plutôt que les règles nationales désignées par la loi en fonction de la matière concernée.

En France, un tel mécanisme est cependant remplaçable par un accord procédural, explique le professeur Nourissat. Cet accord, accepté dans la jurisprudence, peut même être implicite, selon les explications du groupe de travail. « Cela a été extrêmement débattu » indique le professeur Nourrissat. « Je déteste les clauses d'exception parce que lorsqu'elles existent, elles sont malmenées par la pratique. » Selon le professeur la mise en œuvre de l'accord procédural a les mêmes effets que la clause d'exception.

L'article 8 du projet prévoit que « les juridictions ou autorités françaises ne sont tenues d’appliquer ces règles (de désignation du droit national) que si l’une des parties le demande. » En pratique, si le droit désigné est espagnol plutôt que français, le juge espagnol devra rechercher si le code espagnol désigne, lui, la loi étrangère ou espagnole. Donc si le contrat est déterminé comme espagnol mais que la règle espagnole désigne le droit français, le juge de la péninsule ibérique pourrait juger mais avec la loi française.

Clause d'exception ou pas, s'il est possible de désigner par la voie du contrat la loi étrangère, plutôt que de désigner le droit national par la voie de loi, le professeur Campos de l’université de Monaco s'inquiète que le défendeur ne désigne le droit national qui lui est le plus favorable en cas de conflit de lois pour se dérober à ses responsabilités. Le droit international privé concerne les règles de renvoi au droit étranger mais aussi aux conventions internationales. Certains États ont fait le choix d'inscrire dans leurs propres textes des renvois systématiques à ses conventions, faisant de ces dernières un texte à appliquer par défaut. Ce n'est pas le choix opéré par le groupe de travail du CDIP.

Une généralisation des renvois aux conventions internationales écartée par le groupe

« Le problème d'un code de droit international privé, c'est que les règles que l'État entend fixer ne sont pas fixes, puisqu'elles évoluent au gré des règlements internationaux et de la jurisprudence supranationale », selon le Professeur Pietro Franzina de l'Université catholique de Milan. Il existe une difficulté à poser un droit international qui est de toute façon inconstant.

La codification italienne a été la première à s’interroger sur la coordination des sources (avec l'essor de son propre droit international privé au cours des années 1990). Au début, ce n'était que des renvois aux conventions internationales de Bruxelles de 1968, de La Haye de 1975 et à la Convention de Rome de 1980. Il s'agissait de renvois dits « en tous cas », donc automatiques. Le projet de code français est plus prudent dans son approche car il n'y a pas de technique de renvois généralisés, aveugles, mais en fonction des particularités du litige transnational.

Ces accords internationaux ne sont, en outre du ressort, ni du ministère de la Justice d'où le projet émane, ni du Parlement, mais du ministère des Affaires étrangères. C'est pourquoi, dans la lettre de mission qui était adressée au groupe de travail, le Garde des Sceaux n'évoque pas ce qui relève directement des accords ratifiés puisque ce n'est pas de sa compétence. Par ailleurs, les éditions de code peuvent déjà comporter ce travail de compilation des textes internationaux.

Où en est le projet ?

Selon Cyril Nourissat, désormais, « le projet tel qu'il a été remis est maintenant dans les mains des différentes instances que sont la commission supérieure de codification et le Conseil d'État ». Une fois débattu à la commission de codification, le code sera porté par une loi d'habilitation – selon Éric Dupond-Moretti le 5 janvier 2023.

Cependant, selon le Professeur Nourissat, le ministère craindrait, l'existence d'un cavalier législatif qui pourrait être censuré par le Conseil constitutionnel. Le projet de code serait inclus dans un ensemble de textes insuffisamment liés les uns aux autres (ce qui constitue le cavalier législatif), dans une loi de programmation faisant suite au chantier de la justice, le tout en un seul bloc.

Antonio Desserre


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