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Le recours à une égérie de mode est devenu un passage quasi indispensable pour les grandes marques qui doivent à la fois se distinguer et inciter le public à adopter un style et un mode de vie que cette égérie incarne. Outre les tops modèles, les grandes marques ont de plus en plus recours aux comédiens et sportifs de renommée internationale avec lesquels le consommateur s’identifie plus facilement. Les revenus perçus par les comédiens étrangers ayant fait la promotion d’une marque en France soulèvent plusieurs difficultés quant à leur traitement fiscal au regard du droit interne et international.
Dans le cadre de la promotion de la marque, les comédiens sont amenés à rendre différents services de promotion : participation à des tournages de films publicitaires, des séances photos, des apparitions publiques lors de festivals ou à des événements culturels internationaux. Ces contrats prévoient également la concession du droit à l’image du comédien ainsi que son utilisation exclusive par la marque lors de sa reproduction et diffusion.
La majorité des contrats prévoient deux rémunérations distinctes : une première rémunération accordée au titre des « services » rendus (tournage, séance, apparitions publiques), et une seconde, en compensation de la concession de son droit à l’image. Cette répartition de la rémunération qui est souvent inégale et compense de manière très importante la concession de son droit à l’image soulève ainsi des problématiques sur le traitement fiscal des sommes perçues, notamment celles liées aux droits à l’image.
Les dispositions de l’article 164 B II-c du CGI prévoient que sont imposables en France « Les sommes payées en rémunération des prestations de toute nature fournies ou utilisées en France ». Ces dispositions s’appliquent toutefois sous réserve des dispositions des conventions internationales. En revanche, les dispositions du CGI ne donnent aucune indication sur le traitement fiscal des sommes perçues en contrepartie de la concession du droit à l’image. Ce traitement dépend de la nature de la prestation effectuée par le comédien. Il convient en conséquence de s’interroger sur l’activité exercée par le comédien et de qualifier, par la suite, le revenu qui y découle.
Le comédien étranger égérie d’une marque exerce-t-il une activité d’artiste ou de mannequin lorsqu’il fait la promotion d’une marque ?
L’enjeu de la qualification exacte de la nature de la prestation rendue est crucial : dans l’hypothèse où cette prestation serait qualifiée de prestation artistique, elle tomberait alors sous l’article 17 du modèle OCDE (revenus artistiques ou sportifs). En conséquence, toutes les sommes perçues en relation directe avec la prestation artistique principale (y compris les droits à l’image) devraient en principe faire l’objet d’imposition dans le pays dans lequel la prestation s’est déroulée (notamment la France). En revanche, si la qualification de mannequin est retenue, le sort des droits à l’image est beaucoup plus favorable : ceux-ci sont alors imposés en tant qu’autres revenus (article 21 du modèle OCDE) et leur imposition est accordée exclusivement au pays de résidence du bénéficiaire. Ils échappent ainsi à une imposition en France.
Cette qualification aura également une conséquence directe sur les artistes ressortissants communautaires qui viennent tourner des publicités en France : si la qualification de mannequin est retenue et compte tenu de l’absence de présomption de salariat, l’ensemble de la rémunération qui leur est versée (tant en contrepartie de services rendus que celle rémunérant la concession de leur droit à l’image) devrait en principe échapper à une imposition en France en application des articles 7 et 21 du modèle de la Convention OCDE.
Dans ce contexte, quelques rappels sur la notion de mannequin et d’artiste s’imposent…
Le statut de mannequin est défini par l’article L. 7123-2 du Code du travail de la manière suivante :
« Est considérée comme exerçant une activité de mannequin, même si cette activité n'est exercée qu'à titre occasionnel, toute personne qui est chargée :
1° Soit de présenter au public, directement ou indirectement par reproduction de son image sur tout support visuel ou audiovisuel, un produit, un service ou un message publicitaire ;
2° Soit de poser comme modèle, avec ou sans utilisation ultérieure de son image. »
Quant au statut de l’artiste-interprète, il est défini par l’article L. 212-1 du Code de la propriété intellectuelle de la manière suivante :
« À l'exclusion de l'artiste de complément, considéré comme tel par les usages professionnels, l'artiste-interprète ou exécutant est la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une œuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes. »
Les juridictions civiles et administratives de tout degré ont eu l’occasion de se prononcer à plusieurs reprises sur le statut des comédiens à l’occasion de leur participation dans des films publicitaires.
Il ressort de l’analyse des différentes décisions que le critère retenu par les juges est la finalité du film publicitaire, à savoir la présentation d’un produit à des fins commerciales, qui prime sur l’appréciation de la prestation du comédien qui doit dès lors être qualifié de mannequin.
Dans la plupart des cas, les juridictions civiles sont saisies par des comédiens ayant participé au tournage d’un film publicitaire et qui demandent que leur statut d’artiste-interprète soit reconnu afin de bénéficier, à ce titre, de la protection de leurs droits de propriété intellectuelle prévue à l’article L. 212-4 du Code de la propriété intellectuelle ainsi que de la rémunération y afférente.
Il ressort des décisions rendues dans ces affaires que « la distinction des fonctions de mannequin et d’artiste passe par la notion d’interprétation qui caractérise l’artiste à la différence du mannequin » (cour d’appel de Paris, 25 janvier 1995, n° 34042/93, Coccinelle).
La cour a ainsi retenu que « l’objet de la publicité est utilisé comme un élément de la scène et non pas présenté pour lui-même ; que l’action de Mademoiselle Chaudat appartient au registre du théâtre et du cinéma, avec déplacement, jeu de physionomie, jeu entre partenaires, selon des techniques scéniques qui caractérisent une véritable interprétation ».
Cet arrêt énonce clairement la méthode à retenir pour opérer la distinction entre l’artiste et le mannequin et propose une grille d’analyse afin d’apprécier le statut du comédien qui participe à un film publicitaire : l’artiste a été considérée comme ayant exercé l’activité de mannequin dès lors que sa prestation a essentiellement pour objet la présentation d’un produit à des fins commerciales.
La jurisprudence administrative retient une approche similaire.
Ainsi, dans un arrêt du 21 décembre 2012 (n° 11PA04160), la cour administrative d’appel de Paris a été amenée à se prononcer sur l’application des dispositions de l’article 100 bis du CGI qui prévoit une option pour l’imposition sur la base du revenu moyen de l’artiste des trois ou cinq années aux revenus perçus par une comédienne pour le tournage d’un film publicitaire. Elle a refusé l’application de cette option au motif que : « il ressort en l'espèce des films publicitaires versés au dossier par Mlle A. que la prestation qu'elle y assure, nonobstant la circonstance qu'elle inclut la déclamation de courts textes scénarisés, se caractérise essentiellement par la présentation de produits à des fins commerciales ; que, par suite, et sans que Mlle A ne puisse utilement faire valoir que son activité correspondrait à la définition de l'artiste-interprète donnée par l'article L. 212-1 du Code de la propriété intellectuelle, c'est à bon droit que l'administration fiscale, qui a valablement considéré que les prestations de Mlle A. n'étaient pas constitutives d'une production artistique au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'article 100 bis du Code général des impôts, lui a refusé le bénéfice de ces dispositions et a, en conséquence, rectifié son bénéfice non commercial au titre des années 2006 et 2007 ».
Il convient également de revenir sur la position du juge fiscal dans une affaire s’agissant de la qualification de la rémunération perçue par un sportif au titre de l’exploitation d’un film publicitaire. Même s’il ne s’agit pas d’un comédien, l’analyse du tribunal sur la dissociation du statut de sportif et celui de mannequin apporte un éclairage intéressant.
Ainsi, dans une décision du 1er décembre 2015 (n° 1402070), le tribunal administratif de Montreuil a jugé dans une affaire opposant l’administration fiscale à un sportif professionnel s’agissant de la rémunération perçue au titre de l’exploitation de son image dans le cadre de la promotion en France d’un shampoing que :
« (...) cette activité publicitaire est sans lien direct avec les activités sportives du requérant ; que, dès lors, les revenus tirés de cette activité n'ont pas été perçus par Monsieur X. en tant que sportif, et ne peuvent de ce fait relever des stipulations de l'article 19 [Clause de la convention franco-suisse relative à l’imposition des artistes] de la convention fiscale précitée ; qu'il y a lieu de se fonder sur les stipulations conventionnelles relatives aux autres revenus, prévues à l'article 23, en l'absence de stipulations particulières applicables aux redevances issues de l'exploitation du nom et de l'image d'un contribuable ; qu'à cet égard, de tels revenus ne sont imposables que dans l'État de résidence de Monsieur X., soit la Suisse ».
En l’espèce, le sportif apparaissait dans un film publicitaire de 21 secondes, lors desquelles, il était mis en scène alors qu’il jouait au tennis, au football et à la console vidéo avec d’autres personnages.
Il est intéressant de relever dans cette affaire que :
l’administration fiscale n’a à aucun moment considéré que la prestation de Monsieur X. dans le film publicitaire relevait d’un travail d’acteur ;
l’administration fiscale a dissocié la performance du sportif dans le cadre de ses activités professionnelles en tant que sportif de la prestation de mannequin au titre de la promotion d’un produit ou d’une marque.
Si une telle dissociation doit être faite dans le cas d’un sportif, il serait incohérent de ne pas suivre le même raisonnement pour un comédien qui participe à un film publicitaire dont la finalité est de promouvoir la vente d’un produit. En quoi la prestation de ce dernier est-elle différente de celle d’un mannequin ou de toute autre personne qui est rémunérée en contrepartie de la promotion d’une marque ou d’un produit ?
En tout état de cause, la qualification ne doit en aucun cas être liée aux activités qu’exercent par ailleurs les égéries de marques dès lors que l’image de l’artiste, égérie de la marque, ainsi que son apparence sont mises en avant plutôt que sa performance artistique. Son activité devra ainsi relever du mannequinat et non de celle de l’artiste-interprète. En conséquence, les revenus autres que ceux perçus en contrepartie de la présence physique de l’artiste devront relever de l’article 21 de la Convention OCDE et être imposés uniquement dans le pays de résidence du bénéficiaire. Il n’en reste pas moins que cette position, qui permet d’imposer en France uniquement les rémunérations versées en contrepartie de la présence physique de l’artiste sur le territoire français (article 15 de modèle OCDE), reste difficile à expliquer aux égéries qui ne conçoivent pas la relation les liant avec la marque comme une relation de travail (avec un lien de subordination) mais comme une relation de partenariat dans laquelle les parties traitent sur un plan d’égalité.
Laurence Bois
Avocat à la Cour,
Associée,
Véra Dotseva,
Avocat à la Cour,
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