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Échelons de base de notre organisation territoriale, les communes sont fortement touchées par la crise sanitaire que nous traversons.
Largement mis à contribution avec l’organisation (au demeurant très compliquée) du premier tour des élections municipales, les maires sont confrontés au Covid-19 depuis plusieurs semaines maintenant.
Le maire, interlocuteur privilégié, premier magistrat de la commune et détenteur de pouvoirs de police, est celui vers qui les regards (et les interrogations) se tournent naturellement. Si la crise a imposé une adaptation de l’organisation communale, elle s’est également accompagnée d’une indispensable adaptation des besoins de la commune : entre émergence de besoins nouveaux et nécessité de continuité du service public, la commande publique ne sait plus où donner de la tête.
I. Le rôle fondamental du maire dans la crise sanitaire
Les maires sont aujourd’hui en première ligne dans leur commune face à la crise sanitaire.
En tant que chef de service (il est celui qui nomme aux emplois publics), il est responsable de l’administration communale et doit organiser le quotidien des agents municipaux (A). En tant que premier magistrat, il est également doté de pouvoirs de police lui permettant de prendre les mesures complémentaires éventuelles qu’appelle la crise sanitaire à l’échelon local (B).
Deux rôles distincts, mais largement complémentaires.
A. Le maire, responsable de l’administration communale
Avec le confinement, les communes ont dû s’adapter très rapidement à la situation en organisant, de manière précipitée pour certaines, le recours au télétravail, à l’instar de bon nombre d’entreprises privées.
Le télétravail a été défini, pour la fonction publique, par les dispositions du décret n° 2016-151 du 11 février 2016. L’article 2 de ce texte définit le télétravail comme toute forme d’organisation du travail dans laquelle les fonctions qui auraient pu être exercées par un agent dans les locaux de son employeur sont réalisées hors de ces locaux, de façon régulière et volontaire, en utilisant les technologies de l'information et de la communication. Il peut se pratiquer au domicile de l’agent ou dans des locaux professionnels distincts de ceux de son employeur public et de son lieu d’affectation (télécentres).
Toutefois, le télétravail :
• ne peut être imposé à l’agent, mais relève en principe du volontariat ;
• se limite à un an ;
• ne peut être exercé toute la semaine afin d’éviter les phénomènes d’isolement, autrement dit, la présence sur site des agents ne peut être inférieure à deux jours par semaine.
À l’échelle communale, les principes de développement du télétravail sont normalement fixés par délibération du conseil municipal.
On rappellera également que l’ensemble des collectivités locales et de leurs établissements publics sont soumis au décret n° 85-603 du 10 juin 1985 modifié, relatif à l'hygiène et la sécurité du travail, ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive dans la Fonction Publique Territoriale. Les dispositions du décret ont vocation à s'appliquer à l'ensemble des personnels, qu'ils soient titulaires ou non, ainsi qu'aux apprentis et aux personnes recrutées sur contrats aidés au sein des collectivités et établissements publics locaux.
Le maire, en tant qu’employeur, doit ainsi veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous son autorité.
Il faut donc concilier les principes d’organisation du télétravail dans la fonction publique territoriale et les obligations du maire en tant qu’employeur public tout en maintenant les agents dont la présence est nécessaire à la continuité du service public.
Ainsi, depuis l’entrée en vigueur du confinement et à la double condition que les activités puissent être travaillées et que les agents ne soient pas concernés par un plan de continuité de l’activité, le télétravail constitue la modalité d’organisation du travail de droit commun.
L’agent utilise le matériel attribué par son employeur ou, le cas échéant, son matériel personnel.
En cas d’impossibilité de télétravailler, l’agent est placé par son employeur en autorisation spéciale d’absence.
En principe, seuls les agents publics participant aux plans de continuité de l’activité doivent effectivement se rendre sur leur lieu de travail.
Ces plans de continuité de l’activité sont mis en place dans chaque commune afin d’organiser la réaction opérationnelle et le maintien de la continuité du service public. Ces plans identifient les fonctions devant être assurées et une liste des agents dont la présence physique est nécessaire. En outre, une liste de 11 critères pathologiques a été définie par le Haut Conseil de la santé publique afin de protéger les agents les plus vulnérables.
Il suit de là que tout agent nominativement désigné par son supérieur hiérarchique comme relevant d’un tel plan est contraint de se rendre physiquement sur son lieu de travail.
Si un agent relevant d’un plan de continuité de l’action ne se présente pas, alors même que toutes les mesures sanitaires ont été prises pour le protéger, il peut être sanctionné pour service non fait. Cette absence implique une retenue d’1/30e de son salaire et des suites disciplinaires. Cependant, la vraie question est de savoir si toutes les communes de France ont réellement les moyens de prendre toutes les mesures nécessaires à la protection de leurs agents désignés ou d’astreinte qui seraient sur place.
Les communes ont-elles des masques, des gants, des solutions hydroalcooliques, bref, des moyens matériels et financiers leur permettant de garantir la sécurité des agents ? La réponse est bien évidemment négative, et pour certaines communes, la mise en télétravail de l’ensemble des agents s’est imposée, faute de moyens pour s’organiser autrement. Si à l’origine, le télétravail repose sur une démarche de volontariat, nous sommes aujourd’hui dans la situation totalement inverse.
Ainsi, en ce temps de crise sanitaire et de confinement, le télétravail est devenu le principe et la présence physique l’exception (imposée par un plan de continuité ou sur une base de volontariat). Il n’en demeure pas moins qu’il appartient à chaque commune de définir au plus tôt les modalités d’exercice des activités des agents, en liaison avec les services fonctionnels (ressources humaines, informatique et juridique) et la médecine du travail.
B. Les pouvoirs de police du maire et la crise sanitaire
Aux termes de l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales, « La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (…) 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser (…) les maladies épidémiques ou contagieuses. »
Il en résulte qu’il appartient également au maire d’user de ses pouvoirs de police administrative pour prendre les mesures qu’appelle, à son échelle, la crise sanitaire actuelle.
Il ne faut pas ignorer que le préfet, en tant que représentant de l’État, dispose également d’un pouvoir de police administrative spéciale dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire (article L. 3131-1 du Code de la santé publique).
Toutefois, il a été récemment jugé que cette circonstance ne privait nullement le maire de faire usage de ses pouvoirs de police administrative générale pour, le cas échéant, venir durcir les mesures de confinement sur le territoire de sa commune (TA Caen, Ord. Réf., 31 mars 2020, Préfet du Calvados, n° 2000711).
La légalité de ces mesures reposerait toutefois, d’après le juge des référés de Caen, sur l’existence au niveau local de circonstances particulières justifiant que les mesures de confinement prises au niveau national soient durcies à l’échelle de la commune (même décision).
L’état d’urgence sanitaire conduit à s’interroger quant à la référence aux circonstances locales particulières dans ce contexte. En effet, dès lors que l’existence d’un danger grave pour la santé publique est avérée au niveau de la commune, le maire est dans l’obligation d’intervenir puisqu’une carence de sa part serait susceptible d’être qualifiée de fautive et, partant, d’engager sa responsabilité.
Enfin, de manière corrélative, si le préfet est en droit de déférer les arrêtés des maires fixant des règles spécifiques venant durcir l’état d’urgence sanitaire dans leur commune, il ouvre par la même occasion la possibilité pour le maire et ses administrés d’exercer à son égard une action en responsabilité contre l’État dès lors que les mesures déférées ont précisément pour objet de prévenir les risques d’atteinte à la santé publique en période d’état d’urgence sanitaire.
Ainsi, de manière générale, si le maire a dû s’adapter à cette crise, les besoins communaux ont subi le même sort.
II. Les besoins communaux à l’épreuve du Covid-19
L’économiste Nicolas Bouzou estime que « la crise de santé publique que nous vivons évoque la tempête financière de 2008 par le risque de récession qu’elle fait peser ».
Une réalité économique qui ne doit pas être négligée et qui force à s’adapter, notamment en matière de commande publique, levier économique primordial en France, et au sein des collectivités territoriales.
En effet, le coronavirus et la crise sanitaire qui l’accompagne ont bien évidemment des conséquences sur la commande publique qui retranscrit les besoins communaux, que ce soit pour les marchés publics en cours d’exécution (A) ou pour les marchés à venir (B).
Les acheteurs et les entreprises titulaires de marchés publics doivent s’adapter.
La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 a autorisé le gouvernement à prendre, par voie d’ordonnance, toute mesure adaptant « les règles de passation, de délais de paiement, d’exécution et de résiliation, notamment celles relatives aux pénalités contractuelles, prévues par le Code de la commande publique, ainsi que les stipulations des contrats publics ayant un tel objet ».
C’est dans ce contexte que l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au Code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas, pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de Covid-19, vient dessiner les contours de l’adaptation du droit de la commande publique à la situation actuelle exceptionnelle que nous traversons.
Il sera d’emblée précisé que l’ordonnance, qui a un caractère rétroactif, s’applique aussi bien aux contrats en cours d’exécution à la date du 12 mars 2020, qu’à ceux qui sont arrivés à échéance ou ont été résiliés entre cette date et l’entrée en vigueur de l’ordonnance.
A. Covid-19 et contrats publics en cours d’exécution
Le décret du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19 empêche certaines entreprises de poursuivre leur activité et d’honorer leurs engagements contractuels.
Grand nombre de pouvoirs adjudicateurs y sera nécessairement confronté.
Mais alors, s’agit-il d’une faute ?
Il est bien évident que non, à condition que l’empêchement du titulaire du marché relève réellement du caractère exceptionnel de la situation et s’apparente alors à une situation de force majeure, remplissant ainsi trois conditions cumulatives :
• un évènement imprévisible ;
• un évènement extérieur ;
• une impossibilité absolue de poursuivre l’exécution de tout ou partie du marché.
En ce moment, nul doute que les deux premières conditions sont remplies.
Cependant, la dernière condition devra, quant à elle, être appréciée au cas par cas.
Il ne peut alors qu’être conseillé aux entreprises de prouver leur impossibilité à exécuter le contrat par tout moyen, afin d’éviter tout litige ou la mise en œuvre de pénalités, et de prendre au plus vite l’attache de leur cocontractant afin d’en conférer de manière transparente et constructive.
En cette période, le dialogue sera à privilégier en vue de trouver des solutions et d’avancer. La mise en œuvre de pénalités devra être utilisée avec parcimonie par les acheteurs publics ; en effet, les pénalités pourraient bien venir rendre encore plus précaire la situation financière des entreprises, largement impactées par la crise sanitaire sans précédent que traverse le monde et particulièrement la France.
À cet effet, la Direction des Affaires Juridiques de Bercy rappelle, dans une fiche publiée fin mars, que le gouvernement recommande aux acheteurs publics, eu égard au caractère exceptionnel de la crise, de ne pas hésiter à reconnaître que les difficultés rencontrées par leurs cocontractants sont imputables à un cas de force majeure. Cela restait toutefois plutôt abstrait…
De manière plus concrète alors, l’ordonnance prévoit, en son article 6, divers cas de difficultés d'exécution du contrat, et prévoit notamment que lorsque le titulaire ne peut pas respecter le délai d'exécution d'une ou plusieurs obligations du contrat ou que cette exécution en temps et en heure nécessiterait des moyens dont la mobilisation ferait peser sur le titulaire une charge manifestement excessive, ce délai est prolongé en ce temps de crise sanitaire, à condition que le titulaire en fasse la demande avant l'expiration du délai contractuel.
En parallèle, l’ordonnance prévoit que lorsque le titulaire est dans l'impossibilité d'exécuter tout ou partie d'un bon de commande ou d'un contrat, notamment lorsqu'il démontre qu'il ne dispose pas des moyens suffisants ou que leur mobilisation ferait peser sur lui une charge manifestement excessive, il ne peut pas être sanctionné, ni se voir appliquer les pénalités contractuelles, ni voir sa responsabilité contractuelle engagée pour ce motif. Mais là encore, comme exposé quelques lignes plus haut, le cocontractant devra prouver qu’il n’était pas en mesure d’exécuter le contrat sans en bouleverser l’économie générale ou mettre son entreprise en difficulté.
Enfin, si le contrat ne peut être exécuté et que le pouvoir adjudicateur est contraint de le résilier, alors « l'annulation d'un bon de commande ou la résiliation du marché par l'acheteur est la conséquence des mesures prises par les autorités administratives compétentes dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, le titulaire peut être indemnisé, par l'acheteur, des dépenses engagées lorsqu'elles sont directement imputables à l'exécution d'un bon de commande annulé ou d'un marché résilié ».
Une ordonnance favorable aux entreprises titulaires de contrats de la commande publique (aussi bien marchés publics que concessions).
Néanmoins, le but n’étant pas de laisser les communes avec des besoins non satisfaits, ladite ordonnance prévoit qu’un marché de substitution avec un tiers pourra être conclu afin de satisfaire les besoins qui ne peuvent souffrir aucun retard.
Une commande publique adaptée à une situation sans précédent.
Mais qu’en est-il alors des contrats qui arrivent à échéance pendant la crise ?
Les contrats arrivés à terme entre le 12 mars 2020 et la fin de l’état d’urgence sanitaire (fixée au 11 mai prochain au moins), une prolongation par voie d’avenant peut être envisagée, quand bien même la durée maximum serait atteinte. En d’autres termes et à titre d’illustration, bien que le Code de la commande publique prévoie une durée maximale de quatre ans pour les accords-cadres, un avenant pourra venir prolonger l’exécution du marché au-delà de cette durée. Naturellement, cet avenant devra prendre fin une fois l’état d’urgence sanitaire arrivé à terme et une nouvelle procédure devra être lancée ; il est d’ailleurs vivement conseillé aux pouvoirs adjudicateurs d’anticiper ce lancement de procédures et de se servir du temps de la crise pour redéfinir leurs plans d’action achats et notamment préparer les marchés à relancer.
B. L’impact de la crise sanitaire sur les marchés à venir
La période d’épidémie et de crise sanitaire implique que pour les contrats à venir et pour tous types d’achats (au sens large), les modalités de publicité et de mise en concurrence peuvent (voire doivent) être adaptées.
Tout d’abord, l’ordonnance prévoit que « les délais de réception des candidatures et des offres dans les procédures en cours sont prolongés d'une durée suffisante, fixée par l'autorité contractante, pour permettre aux opérateurs économiques de présenter leur candidature ou de soumissionner ».
Par ailleurs et aux termes de l’article R. 2122-1 du Code de la commande publique, l’acheteur peut passer un marché sans publicité ni mise en concurrence, lorsqu’une urgence impérieuse résultant de circonstances extérieures qu’il ne pouvait pas prévoir ne permet pas de respecter les délais minimum exigés. Cette dérogation au principe de publicité et de mise en concurrence est notamment possible en cas de danger ponctuel imminent pour la santé publique, ce qui trouve tout son sens en cette période particulière de crise sanitaire.
Des dispositions dérogatoires essentielles, notamment pour les centres hospitaliers qui souffrent cruellement d’un manque de matériel pour faire face à l’épidémie que nous connaissons et qui vont donc pouvoir passer des commandes en urgence avec les prestataires de leur choix.
Naturellement, la dérogation n’est pas sans garde-fou.
En cas de contentieux, l’acheteur devra être en mesure de prouver que l’achat effectué sans publicité ni mise en concurrence était urgent et impératif.
Il y a fort à parier que le contrôle juridictionnel sera réel sur ce point et que le juge administratif sera probablement confronté, dans les semaines à venir, à de nouveaux contentieux.
Benjamin Huglo, Docteur en droit, Huglo Lepage Avocats
Madeleine Babès, Avocate à la Cour, Huglo Lepage Avocats
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