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Les fictions du réel à l’épreuve de la balance des intérêts fondamentaux


lundi 30 avril 20188 min
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30/04/2018 11:37:28 1 1 1254 10 0 18120 1207 1248 Les implications sociales et fiscales du tournage en France d’un comédien étranger

Depuis la revalorisation des trois avantages fiscaux au 1er janvier 2016 - le crédit d'impôt international, le crédit d'impôt cinéma et le crédit d'impôt audiovisuel, la France apparaît comme une terre promise pour les producteurs tant français qu’étrangers. L’envers du décor de ce « paradis fiscal » ne doit cependant pas être négligé : la complexité des situations des comédiens étrangers et leurs implications en matière sociale et fiscale doivent faire l’objet d’une analyse approfondie en amont afin d’éviter un sad ending, tant pour les comédiens que pour les producteurs.

 


Les implications sociales : Il était une fois… un principe assorti de multiples exceptions


 

Les comédiens étrangers (ressortissants étrangers ou résidents à l’étranger) qui tournent en France ont en principe un statut de salarié et sont engagés par contrat de travail à durée déterminée. Les rémunérations qu’ils perçoivent en contrepartie du tournage en France sont généralement soumises aux cotisations de sécurité sociales françaises. Cependant, ces principes sont assortis de nombreuses exceptions qui dépendent à la fois du statut du comédien dans son pays d’origine et des divers accords internationaux liant la France avec ledit pays. Il est donc crucial d’en faire l’analyse afin que le budget du film soit correctement calibré par le producteur.

L'article L. 7121-3 du Code du travail pose une présomption de salariat pour les artistes quels que soient la nationalité de l’artiste, le type de spectacle (vivant ou enregistré) et la qualification juridique donnée par les parties au contrat. Depuis la condamnation de la France par la Cour de justice de l’Union Européenne, cette présomption ne s’applique cependant plus aux artistes reconnus comme prestataires de services établis dans un Etat membre de la Communauté européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen où ils fournissent habituellement des services analogues (article L. 7121-5 du Code du travail). Pour pouvoir bénéficier de cette « non-présomption », il faut s’assurer que l’artiste communautaire ait bien la qualité « d’indépendant » dans son pays d’établissement (immatriculation en qualité d’artiste, fourniture d’un numéro de TVA, etc.).



Une fois la forme juridique du contrat d’engagement arrêtée (contrat de travail ou contrat de prestation de services), se pose souvent la question des éventuelles charges sociales qui doivent être prélevées sur la rémunération artistique.


 

En vertu du principe de territorialité visé à l’article L. 111-2-2 du Code de sécurité sociale, les personnes qui travaillent en France sont obligatoirement affiliées à un régime français de sécurité sociale. Ce principe s’applique sous réserve des accords internationaux de sécurité sociale conclus par la France.


 

Dans la plupart des cas, le producteur peut ainsi faire face à trois types de schémas distincts : les artistes communautaires (ceux établis dans un Etat de l’UE ou dans un Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen), les artistes établis dans un Etat ayant conclu un accord bilatéral de sécurité sociale avec la France et ceux établis dans un Etat avec lequel la France n’a pas conclu d’accord de sécurité sociale.



Pour les artistes communautaires, la législation de sécurité sociale applicable est déterminée par les dispositions des règlements (CE) n° 883/2004 et (CE) n° 987/2009 (règlement d’application). La situation des artistes établis dans un Etat avec lequel la France a conclu un accord bilatéral de sécurité sociale est organisée selon les dispositions propres de l’accord en question. Enfin, les artistes qui ne peuvent bénéficier ni des dispositions des règlements européens ni d’un accord bilatéral de sécurité sociale relèvent du droit commun (article L. 111-2-2 du Code de la sécurité sociale).

Les artistes communautaires restent assujettis au régime de sécurité sociale de leur pays d’origine lorsqu’ils fournissent, avant leur arrivée en France, un certificat A1 établi par l’autorité compétente du pays d’origine eu égard aux dispositions des règlements européens (artistes détachés, artistes auto-détachés ou artistes indépendants) (1).


Les artistes non-communautaires peuvent également être exonérés de la plupart des cotisations sociales en France en présence d’un accord bilatéral de sécurité sociale. Les cotisations qui ne sont pas couvertes par l’accord doivent en revanche être payées par le producteur (il s’agit principalement de l’assurance chômage, des congés spectacle et de la formation professionnelle). La plupart des accords bilatéraux s’appliquent aussi bien aux artistes salariés qu’aux artistes non-salariés. Ainsi, un artiste qui a un statut d’indépendant dans son pays d’origine et qui est engagé par contrat de travail en France du fait de la présomption de salariat peut obtenir un certificat de couverture sociale lui permettant de rester affilié au régime en vigueur dans son pays d’origine (par exemple, les artistes établis aux États-Unis se voient délivré le certificat TAJ A1 ou SE 404-02 si la durée du tournage est supérieure à 3 mois).

 

Les artistes non-communautaires non-couverts (par un accord bilatéral) relèvent obligatoirement du régime français de sécurité sociale. Le producteur doit ainsi s’acquitter de l’ensemble des cotisations sociales y afférentes. Dans l’hypothèse d’un producteur étranger sans établissement en France, celui-ci doit obligatoirement s’immatriculer à l’URSSAF du Bas-Rhin (seule compétente au plan national).


Enfin, à noter qu’une pratique répandue par le passé qui consistait pour certains pays de l’UE à délivrer des certificats A1 à des ressortissants de pays tiers n’ayant conclu aucun accord bilatéral de sécurité sociale avec la France (par exemple, une société de production anglaise qui salarie des artistes indiens pour le tournage d’un film en France) n’est plus d’actualité. La société de production qui embauche ces artistes doit ainsi s’acquitter de la totalité des cotisations sociales en France dans ce cas de figure.




Les implications fiscales : Million Dollar…ou comment bien les taxer



Les artistes peuvent percevoir différentes rémunérations : par exemple, une rémunération au titre des prestations effectuées pendant la durée de l’engagement (un « cachet ») et une rémunération liée à la cession ou à l’exploitation de l’enregistrement de leur prestation. Cette seconde rémunération peut éventuellement être versée par le biais d’une avance censée se recouper à termes avec l’intéressement de l’artiste sur les produits d’exploitation du film tel que prévu au contrat. Ce schéma est bien connu en France pour des artistes résident fiscaux français (on parle alors de « BNC » dans le langage courant). A l’égard des artistes étrangers, se posent plusieurs questions quant au traitement fiscal de ces rémunérations : Que doit-on imposer ? Toute la rémunération est-elle imposable ? Comment doit-elle être imposée ?



  • Que doit-on imposer ?

     

Les artistes non-résidents français sont imposables en France uniquement sur leurs revenus de source française (article 4 A du CGI (2)). Ainsi, lorsqu’un tournage a lieu en France et dans un autre pays, le producteur doit déterminer la quote-part de rémunération de source française en proportion du nombre de jours de tournage en France qui elle seule fait l’objet d’une imposition.



  • Toute la rémunération est-elle imposable ?

     

En application de l’article 164 B du CGI, « Sont considérés comme revenus de source française [...] les sommes, y compris les salaires [...] correspondant à des prestations artistiques ou sportives fournies ou utilisées en France ».


Cet article pose donc comme principe que toutes les sommes (quelle que soit leur nature, salaire ou autres) rémunérant une prestation artistique sont imposables en France.


La plupart des conventions fiscales conclues par la France reprennent le modèle élaboré par l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE), selon lequel le droit d’imposer les rémunérations artistiques doit être attribué à l’Etat dans lequel l’activité en question est exercée (article 17). Les revenus artistiques de source française sont donc généralement imposables en France.


Si l’imposition des « cachets » dans la catégorie des revenus d’artiste ne fait pas de doute, celle des autres revenus, notamment la rémunération versée à l'artiste à l'occasion de la vente ou de l'exploitation de l'enregistrement de son interprétation ou de sa prestation, est souvent sujette à caution. Ainsi, les sociétés de production sont-elles parfois tentées de transposer en matière fiscale la circulaire DSS/5B/2012/161 du 20 avril 2012 relative au régime social des redevances et avances sur redevances qui permet, sous conditions, une répartition entre redevances (y compris l’avance) et salaires dans une proportion 2/3 - 1/3. La redevance, qui la plupart du temps n’est pas prévue par la convention fiscale applicable, est alors considérée comme un revenu uniquement imposable dans l’Etat dont l’artiste est résident (article 21 de la convention modèle OCDE). La France étant alors privée du droit d’imposer.



Une telle lecture nous semble cependant risquée. D’une part, cette circulaire régit la répartition de la rémunération en matière sociale et non en matière fiscale. D’autre part, les commentaires de l’OCDE envisagent bien les situations dans lesquelles les artistes perçoivent d’autres revenus et notamment des redevances. Ils précisent ainsi que « d’autres articles sont applicables chaque fois qu’il n’y a pas de relation étroite entre les revenus et l’exercice d’activités dans le pays intéressé ». Ils ajoutent ensuite que « cette relation étroite existe généralement lorsqu’on ne peut pas considérer raisonnablement que le revenu aurait été obtenu si les activités n’avaient pas été exercées ». En somme, les redevances rémunérant la vente ou l’exploitation de l’enregistrement de l’interprétation de l’artiste doivent en principe être imposées au même titre que les cachets conformément à l’article 17 de la convention fiscale modèle OCDE dès qu’il existe une relation directe avec la prestation artistique principale.


Une exception pourrait cependant être envisagée concernant la convention fiscale franco-américaine du 31 août 1994. A la différence des autres conventions, celle-ci vise expressément dans son article 12 relatif aux redevances, les droits voisins (y compris les droits de reproduction et de représentation). Cette « brèche » n’a pas encore été confirmée par la jurisprudence ; il convient par conséquent de l’exploiter avec précaution en évitant notamment de surrémunérer les artistes américains sous forme de redevances de droits voisins.


  • Comment l’imposer ?


 Les rémunérations versées aux artistes doivent faire l’objet d’une retenue à la source acquittée par le producteur au taux de 15 % après abattement de 10 % appliqué sur la rémunération imposable (article 182 A bis du CGI).



Cette retenue à la source n’est cependant pas systématiquement libératoire de l’impôt sur le revenu. Lorsque les revenus sont supérieurs à un certain seuil actualisé tous les ans, l’artiste non-résident doit en outre déposer une déclaration de revenus l’année suivante. Une vigilance particulière s’impose quant à l’information communiquée aux artistes sur leurs obligations fiscales compte tenu du décalage entre la perception des revenus et leur déclaration. Un « oubli » peut être très dommageable étant donné que l’administration fiscale a connaissance des revenus soumis à la retenue à la source et ne fait généralement pas l’économie d’appliquer des pénalités allant jusqu’à 40 % en cas d’absence de dépôt de déclaration.


Frédéric Gorce,

Avocat à la Cour,

Associé,

Véra Dotseva,

Avocat à la Cour,

Intervista




1) Il convient sur cette question d’être vigilant en présence d’artistes communautaires qui fournissent un certificat A1 et qui ont le statut de salariés au sein d’une loan-out (typiquement le gérant d’une Private Limited Company établie au Royaume-Uni). Selon les circonstances, le producteur peut ainsi se retrouver redevable de cotisations de sécurité sociales dans le pays de résidence de l’artiste alors même que le tournage a lieu sur le territoire français (situation dite de « pluriactivité », qui rend la lecture et l’application des règlements plus complexe).

2) Code général des impôts.


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