Les plateformes de streaming, la révolution de l’industrie musicale


jeudi 23 juin 20225 min
Écouter l'article

Le 15 mars 2022, à l'occasion de la publication de son bilan annuel du marché de la musique enregistrée, le Syndicat national de l’édition phonographique révèle un chiffre d’affaires en 2021 de la musique enregistrée en France de 861 millions d’euros, soit une hausse de 14,3 % par rapport à l’année précédente. Un record dû essentiellement à une augmentation continue des revenus générés par le streaming. En 2021, le segment du numérique atteint en effet 70 % du chiffre d’affaires global, avec pas moins de 506 millions d’euros de revenus. Le numérique franchit ainsi le seuil symbolique de 500 millions d’euros, qui relègue au rang de mauvais souvenir la traversée du désert dont l’industrie musicale était encore victime à peine dix ans plus tôt.

Ces chiffres historiques s’inscrivent dans la tendance mondiale confirmée le 22 mars suivant par le rapport annuel de la Fédération internationale de l’industrie phonographique, qui annonce une progression du marché mondial en 2021 de 18,5 %, avec un résultat total de 25,9 milliards de dollars.

Le marché du streaming porte pratiquement à lui seul le secteur musical et permet même au marché du CD et du vinyle de résister.

En à peine 15 ans, les géants du streaming – Spotify, Amazon Music, Apple Music, Deezer, etc. – ont réussi à rassembler près d’un demi-milliard d’utilisateurs et révolutionner l’industrie musicale. En lançant un nouveau modèle économique de consommation musicale, les plateformes ont également fait bouger les lignes de front des droits des artistes. Si les consommateurs sont les premiers bénéficiaires de l’effet d’aubaine, un abonnement mensuel de moins de dix euros leur permettant d’avoir accès à un large catalogue musical, la gestion de la transition digitale a été plus difficile pour les artistes. Non seulement les revenus que les plateformes de streaming leur versent sont très inégalitaires, car les sommes perçues, qui varient en fonction du nombre d’écoutes, diffèrent largement d’une plateforme à l’autre, mais l’augmentation exponentielle de la consommation musicale va de pair avec celle du plagiat.

 

 


Lire aussi : Le statut juridique de la bande originale 




Un nouveau modèle de consommation musicale…

Le terme anglais « streaming » signifie « flux de données ». Le streaming désigne un mode de diffusion par Internet qui permet aux internautes de lire en direct un flux de données audio ou vidéo. En pratique, le streaming permet à un ordinateur ou smartphone de lire un fichier à distance, sans avoir à le télécharger, et donc le stocker dans la mémoire de son appareil, ce qui le différencie du téléchargement.

L’envolée de la consommation digitale de musique et l’avènement des grandes plateformes de streaming va de pair avec une baisse de la rémunération des artistes.

Certaines grandes stars américaines, comme la star de pop music Taylor Swift, se sont servies de leur poids dans l’industrie musicale pour peser sur les géants du streaming. En 2014, alors que les plateformes sont en pleine montée en puissance, elle décide de les boycotter. À Spotify, elle reprochera de ne pas payer « à sa juste valeur les paroliers, les producteurs, les artistes et les créateurs de musique ».

Dès l’année suivante, elle fait plier le géant Apple qui accepte de revoir sa politique tarifaire, obtenant même qu’il paie les artistes pendant les trois mois d’essai gratuit de son service de musique illimitée en streaming, Apple Music, ce qu’il n’avait jamais fait jusqu’à présent. Elle y fait alors son grand retour.

Il faut attendre le 9 juin 2017 pour que le back catalogue de l’artiste (anciens morceaux) réapparaisse sur les plateformes, qui ont accordé des conditions plus avantageuses aux artistes.

L’artiste américaine a ouvert la voie à d’autres, qui vont à leur tour dicter leurs conditions aux plateformes. En 2021, la chanteuse britannique Adèle fait ainsi désactiver à Spotify la lecture aléatoire de ses albums. Un album « raconte une histoire », explique-t-elle, et doit donc être écouté dans le bon ordre. En France, un artiste se serait fondé sur l’atteinte au droit moral de son œuvre pour légitimer pareille revendication.

Le poids des artistes étrangers sur l’industrie mondiale de la musique est tel qu’ils parviennent à faire bouger les lignes de front. Les artistes français n’ont jamais eu la même marge de manœuvre que leurs homologues anglo-saxons. Toutefois, la notoriété de certains leur a permis de résister aux plateformes. Il faudra ainsi attendre 2017 pour que Francis Cabrel accepte de mettre en ligne son catalogue, alors que ce n’est que deux ans plus tard que Jean-Jacques Goldman suivra son exemple. L’auteur-compositeur aurait obtenu un droit de perception des gains sur chaque album vendu quatre fois supérieur à celui de certains jeunes artistes.

Un changement s’imposait face à la paupérisation de la majorité des artistes en dépit parfois de forte écoute de leur musique. En novembre 2021, l’ADAMI, la société de gestion collective des droits des artistes et musiciens, pointe du doigt un « partage inéquitable » des revenus des plateformes de streaming. Sur un abonnement mensuel à 9,99 euros, les artistes écoutés se partageraient 0,46 centimes d’euro, le delta étant réparti entre l’État, la gestion collective des droits d’auteur et différents intermédiaires.

Le 12 mai 2021, le gouvernement donne 12 mois aux organisations françaises des artistes-interprètes et producteurs phonographiques pour trouver un accord qui garantira une rémunération minimale appropriée et proportionnelle aux artistes diffusés en streaming1.

In extremis, le 13 mai 2022, un accord qualifié d’ « historique » est signé pour cinq ans, dans la lignée de la directive européenne sur les droits d’auteur votée en 2019. La première grande mesure consiste à instaurer, en faveur des artistes, un taux minimum de royalties fixé entre 10 et 11 % de la somme versée par les plateformes aux producteurs en rémunération de la diffusion de leurs titres en streaming. Une autre grande avancée consiste en la mise en place d’une avance sur rémunération des artistes, déduite là aussi des sommes versées par les plateformes aux producteurs, pour favoriser des genres musicaux qui manquent parfois de moyens (jazz, musique classique, etc.). L’accord englobe aussi les choristes et les musiciens qui participent à un album, qui toucheront un cachet supplémentaire lors de la mise en ligne sur une plateforme, puis des rémunérations complémentaires par pallier. Seule ombre au tableau, l’absence des plateformes à la table des négociations qui interroge sur la bonne volonté qu’elles mettront à appliquer un accord dont les syndicats se félicitent unanimement de la signature.

 

 


Partager l'article


0 Commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Abonnez-vous à la Newsletter !

Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.