Mais d’où viennent donc les histoires de fantômes dans les vieux châteaux ?


dimanche 31 octobre 202110 min
Écouter l'article

Fantômes… Spectres… Ombres fugitives… Revenants… Squelettes… Craquements… Claquements de porte… Brumes épaisses… Nuits noires… Éclairs !

Angoisses… Ombres suspectes… Spectres et ectoplasmes…

Tables qui tournent, esprits qui se retournent, frileux qui se détournent…

Donjons aux mâchicoulis redoutables, pont-levis surplombant des douves profondes, grilles de culs-de-basse-fosse lourdes et rouillées, souterrains sombres et humides, courtines impressionnantes… autant de décors qui permettent la recherche de frissons, surtout quand des légendes tenaces les habillent de phénomènes paranormaux, inexpliqués ou inexplicables.

Début septembre 2020, le rédacteur en chef du JSS m’indique qu’il va publier fin octobre un numéro spécial sur les phénomènes surnaturels et paranormaux et me propose d’aller à la recherche d’un vrai fantôme pour rédiger ma chronique historique hebdomadaire figurant dans ce numéro.

Excellente idée ! Bien séduisante pour qui aime découvrir les richesses et les secrets de son pays !

Mais… trouver de vrais fantômes dans de vrais châteaux pour alimenter une chronique semble aussi compliqué que d’aller chatouiller les oreilles de Nessie, le monstre dit du Loch Ness se prélassant dans les profondeurs d’un lac écossais des Highlands, ou d’aller photographier à Lassa un moine tibétain en pleine lévitation, ou d’aller interviewer un mariglobuphile à l’Île de Pâques, ou encore de trouver aux Archives nationales des documents anciens relatant la présence au palais parisien de la Cité du fantôme du « boucher rouge » qui apparaissait dans les couloirs du palais la veille de la mort du roi de France… Une légende tenace (d’aucuns prétendant que le fantôme du boucher rouge sévissait en réalité aux Tuileries où il aurait été vu disparaissant dans les flammes de l’incendie de 1871) !

Pour commencer l’enquête, on rejoint dans le Maine-et-Loire, près d’Angers, le château de Brissac, l’un des plus hauts châteaux de France. Une légende veut que le fantôme de Charlotte, fille naturelle de la belle Agnès Sorel* et du roi Charles VII, erre dans le château les soirs d’orage. Charlotte de Valois a été assassinée en 1477 par son mari jaloux, Jacques de Brézé, bien avant d’avoir pu connaître sa future belle-fille, Diane de Poitiers, favorite du roi Henri II.

L’idée est de photographier les lieux hantés par ce fantôme et de recueillir des témoignages ! Hélas… Il nous faut rapidement déchanter ! Le marquis de Cossé-Brissac, dont la famille occupe le château depuis 1502, nous révèle qu’en réalité, c’est son grand-oncle, frère de son grand-père duc de Brissac, qui a inventé cette histoire de fantôme de toutes pièces, nous précisant que Charlotte avait été assassinée en Eure-et-Loir et non à Brissac dans le Maine-et-Loire ! Une légende totalement imaginée, bien contemporaine, qui a pu relancer en son temps l’attrait de la demeure historique !

Pas de fantôme de Charlotte donc… Mais un chercheur, surtout s’il publie dans le JSS, ne doit jamais se décourager !




Une gravure ancienne montrant le site de Blandy, deux vues du château et la porte médiévale menant à la prison du château



Blandy-les-Tours (Seine-et-Marne) présente alors bien de l’intérêt. Château-fort pendant la guerre de Cent Ans, château résidentiel pendant la Renaissance, ferme agricole au XVIIIe siècle, il a échappé aux destructions révolutionnaires.

Et la chaîne de télévision publique France 3 a réalisé en 2017 un reportage sur les fantômes du château de Blandy. Sur le site de la chaîne, l’annonce de cette émission est alléchante : « Pour Halloween, on continue de jouer à se faire peur avec notre série. L’épisode deux nous conduit en Seine-et-Marne, dans l’un des lieux les plus touristiques de l’Île-de-France, le château de Blandy-les-Tours, qui est aussi l’une des stars des amateurs de "paranormal"… l’un des lieux les plus touristiques d’Île-de-France… un château érigé pour partie dès le 13e siècle, témoin de la guerre de Cent Ans, et qui a ensuite une très longue histoire, jusqu’à la fin du 18e siècle, où il a sombré dans deux siècles d’oubli et de ruine. Une histoire suffisamment mouvementée pour en faire aujourd’hui l’une des stars des lieux de fantasmes, d’histoires de fantômes et de revenants, un lieu vedette… pour les amateurs de frissons. Blandy-les-Tours est un château hanté aux multiples fantômes avec chacun leur légende et leur moment pour se manifester ».

Dans le reportage, une médiatrice culturelle et un écrivain semblent conforter la légende.

Direction Blandy-les-Tours donc, un jour de pluie évidemment. Les tours des gardes, des archives et de la justice dominent le village et impressionnent tous les amateurs de patrimoine... Sur place, on apprend d’emblée que le Département de Seine-et-Marne, propriétaire de l’édifice qui reçoit 60 000 visiteurs par an, a décidé de ne plus mettre en avant ces histoires de fantômes, alors que le lieu passe pour l’un des plus hantés de France. Vraie histoire et vrai patrimoine d’abord ! Difficile dès lors d’en apprendre plus au cœur de la citadelle !

Pour bien s’imprégner de l’ambiance particulière de la forteresse médiévale, pendant quelques heures, on gravit lentement les escaliers des tours, on étudie les ferrures de la porte de la minuscule prison, on s’attarde devant le cul-de-basse-fosse, on écoute tous les bruits, on s’intéresse dans le détail à la riche histoire du lieu.

La forteresse appartint à plusieurs familles célèbres : de Melun, d’Harcourt, d’Orléans-Longueville, de Bourbon-Soissons, de Villars, de Choiseul-Praslin. Olympe Mancini, nièce du cardinal Mazarin, un temps courtisée par le jeune Louis XIV avant que ce dernier ne lui préfère sa sœur Marie, y passa peut-être.

Au XVe siècle, Marie d’Harcourt, dernière fille du comte de Blandy, jolie jeune femme âgée de 18 ans aux magnifiques yeux noirs et à la chevelure de jais, se trouvait en compagnie d’Esmangard, prieur de l’Ordre teutonique, au château lorsque ce dernier fut assiégé par Érard de Montargis. Voulant échapper aux agressives sollicitations de celui-ci, elle se jeta du haut d’une tour, mais survécut à sa chute, avant d’être sauvée puis épousée par Dunois, surnommé « le bâtard d’Orléans », compagnon de Jeanne d’Arc**.

Le souvenir de Dunois, grand chambellan de France, qui délivra une grande partie du royaume de l’occupation anglaise, est très fort à Blandy.

Quand on se promène tard dans les couloirs du château, il arrive qu’on entende des craquements et des coups répétés. Le travail du vieux bois et le vent sont à l’origine de ces bruits.

D’où viennent alors les légendes de Blandy ? On pense tout de suite à l’imagination débordante des romantiques du XIXe siècle.

Un ouvrage de 1865 nous apporte des précisions. Cette année-là, une société d’archivistes publie, sous la direction d’A.B. Le François, dans le cadre de la série « Les mystères des vieux châteaux de France », un texte sur le château de Blandy :

« Le château de Blandy est surtout célèbre par les apparitions de toute espèce qui effrayèrent bien souvent les habitants... Si la tradition est vraie, on aurait vu longtemps, vers minuit, le jour de la Toussaint, une troupe de fantômes traverser les airs, parcourir plusieurs fois l’enceinte des murailles du château, et s’arrêter enfin sur la tour ronde qui protégeait l’entrée de la forteresse. Que de fois les nobles châtelains n’ont-ils pas été saisis d’épouvante en entendant des bruits de chaînes en mouvement, ou des cris perçants et lamentables sortir du fond d’un souterrain que l’on voit encore aujourd’hui, et où personne qui vive ne pénétrait jamais ! Que de fois les malades qui reposaient dans les appartements du vieux manoir n’ont-ils pas cru voir apparaître à leurs yeux les ombres de leurs parents, qui, dans leur imagination troublée, s’offraient à eux pour… leur rappeler quelque promesse qui n’avait point été accomplie ! De toutes les apparitions du château de Blandy, celle qui eut le plus de retentissement dans la contrée…, ce fut celle du comte Dunois, qui… venait chaque année, le jour des Rois, à l’heure de minuit, se poster devant la porte de l’antique castel, armé de pied en cap, accompagné de son cheval et de ses écuyers, et suivi de tout l’attirail d’une armée en campagne. On disait même qu’on entendait en ce moment le son de clairons, le cliquetis des armes, et tout le tumulte d’une foule nombreuse qui se remue… » Il a suffi que par la suite, la croyance populaire ait considéré comme établie et sérieusement historique un ensemble de légendes… imaginaires... simplement rapportées dans un livre du XIXe siècle, des légendes permettant de mettre en valeur le célèbre Dunois.

De génération en génération, on reproduit, on amplifie, on enjolive la légende mais… personne ne peut attester avoir été témoin d’un quelconque phénomène paranormal.

Nous ne désespérons pas de découvrir un jour un vrai fantôme ! Mais pour le moment, l’histoire des fantômes dans les châteaux nous semble tout simplement… plutôt fantomatique !

 

* Concernant Agnès Sorel, Dame de Beauté, voir notre 135e chronique dans le JSS n° 5 du 18 janvier 2020.

** Concernant Jeanne d’Arc et le miracle de Lagny, voir notre 72e chronique dans le JSS n° 2 du 9 janvier 2019.

 

étienne Madranges,

Avocat à la cour,

Magistrat honoraire


Cette chronique n° 173 est paru dans le JSS n° 68 du 31/10/2020 - lire un extrait ici.

 

Partager l'article


0 Commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Abonnez-vous à la Newsletter !

Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.