Marché de l'art : durcir la lutte contre les faussaires


lundi 15 janvier 20247 min
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La proposition de loi portant réforme de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique est actuellement entre les mains de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale.

La société d’auteurs dans les arts visuels ADAGP, qui vise à soutenir les artistes et défendre leurs droits, fêtait en 2023 son soixante-dixième anniversaire. S’est tenu à cette occasion le 30 novembre dernier à la Bibliothèque nationale de France un colloque intitulé « PARCOURS – L’œuvre d’art à la trace », sous la direction scientifique de Tristan Azzi, professeur à l’École de droit de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Cinquième et dernière table ronde de cette journée, « La lutte contre les faux et les contrefaçons » a mis en lumière les témoignages de Hubert Percie du Sert, colonel de la gendarmerie et chef de l’Office central de lutte contre le trafic illicite des biens culturels (OCBC), et Hervé Di Rosa, artiste et président de l’ADAGP.

Chargé de la présentation de cette table ronde, Tristan Azzi a commencé par évoquer les deux idées reçues qui empêchent, selon lui, de lutter comme il se devrait contre les faux et les contrefaçons dans le milieu de l’art. D’une part les faussaires seraient souvent présentés comme des personnages « sympathiques, hauts en couleur ». D’autre part, le marché de l’art n’aurait pas bonne presse : il serait « un marché de niche, un marché de riche » et ne mériterait pas, à ce titre, l’attention que l’on porte à d’autres secteurs de l’économie.

Pour se défaire de ces images trompeuses, le professeur a rappelé que les faussaires se livrent en réalité à des activités hautement répréhensibles qui polluent non seulement le marché de l’art, mais aussi et surtout l’art en tant que tel. Car par ces activités illicites, les intérêts de nombreux acteurs se trouvent spoliés : des artistes et de leurs ayants droit aux vendeurs et aux acheteurs, en passant par les professionnels et les institutions publiques – dont les musées –, le grand public, et bien sûr l’État. Au-delà des intérêts privés, les faux et les contrefaçons représentent donc une menace pour l’intérêt général.

La « petite loi » en construction intensifie la répression

Le système juridique offre néanmoins les moyens de combattre ces difficultés, par le biais des droits d’auteur et des contrats – qui permet l’annulation d’un contrat de vente dans le cas d’une erreur sur l’authenticité ou sur toute autre qualité essentielle de l’objet –, et par le droit pénal, qui condamne toute forme d’escroquerie et de tromperie. Tristan Azzi a surtout rappelé l’existence de la loi Bardoux du 9 février 1895 qui se donne précisément pour but de lutter contre toutes les fraudes en matière artistique. Cette loi manque pourtant, en son état actuel, son objectif : critiquée dès son adoption, elle se trouve de surcroit rarement appliquée.

C’est pourquoi en 2017, à la suite d'un colloque organisé par le parquet de la Cour de cassation, la décision est prise de la modifier en profondeur. L’institut Art & Droit et le ministère de la Culture, par le biais du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), se sont alors emparés du projet de réforme de cette loi. Deux membres de l’institut Art & Droit ont par la suite publié une offre de loi à destination des pouvoirs publics ; et ce texte a trouvé un relai auprès du Sénat en la personne de Bernard Fialaire. Le 16 mars 2023, une version assez largement modifiée de cette « petite loi » a été adoptée par le Sénat et se trouve désormais soumise aux modifications en vue de sa proposition à l’Assemblée nationale.

Cette table ronde sur « La lutte contre les faux et les contrefaçons » s’est donc tenue alors que le texte de cette loi relevait encore du « work in progress », puisque le rapport du CSPLA était encore en cours de rédaction. Tristan Azzi s’est ainsi attaché à décrire quatre points saillants du « texte ambitieux » proposé par le Sénat qui vise à remédier aux « défauts criants » de la loi Bardoux, en précisant qu’il avait reçu un accueil « globalement favorable » des milieux concernés.

Premièrement, la loi de 1895 sanctionne l’imitation ou le remplacement d’une signature, mais ne s’attache pas aux autres formes de fraudes (fausse datation, fausse provenance, etc.). La « petite loi » se propose de sanctionner, plus largement, « le fait de tromper autrui par quelque moyen que ce soit, sur l’identité du créateur, l’origine de l’œuvre, sa datation, sa nature, sa composition ou sa provenance ». Par ailleurs, la loi Bardoux ne couvre pas les photographies et les œuvres de design ; ce que corrige la « petite loi » en visant toutes les œuvres d’art et objets de collection. Deuxièmement, la loi Bardoux ne sanctionne que les fraudes sur des œuvres qui ne sont pas encore tombées dans le domaine public, tandis que le nouveau texte supprime cette restriction. Troisièmement, la loi de 1895 ne permet de poursuivre que les faussaires, marchands et intermédiaires, tandis que la « petite loi » s’attaque à toutes les personnes réalisant des faux, modifiant des œuvres, présentant ou diffusant ces objets. Enfin, le quantum de la peine de la loi Bardoux représente deux ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende ; mais en s’alignant sur le régime de l’escroquerie, la « petite loi » augmente ces peines à cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende.

La proposition que formule le CSPLA pour compléter cette loi soumet, entre autres, l’idée de créer non pas une amende fixe mais une amende proportionnelle au caractère plus ou moins lucratif de la fraude. Le texte proposé par le Sénat autorise aussi le juge à ordonner la destruction du faux et à prononcer une peine complémentaire d’interdiction d’exercer certaines professions.

Le trafic de faux naît à l’échelle nationale avant de passer les frontières

Ces rappels de l’actualité judiciaire par Tristan Azzi ont été suivis de l’intervention de Hubert Percie du Sert. Ce dernier a immédiatement précisé que le travail en cours sur la loi Bardoux matérialisait « le nécessaire partenariat entre tous les acteurs du monde de l’art, du marché de l’art, dans la lutte contre les trafics de biens culturels », compte tenu de la pluralité des infractions et de leurs auteurs.

Le colonel de la gendarmerie a ensuite brièvement présenté les missions du « chef de file de la lutte contre les trafics au niveau national », l’OCBC. Au niveau national, l’office anime et coordonne la lutte par son réseau de correspondants et de partenaires, et avec l’aide des forces opérationnelles que représentent la gendarmerie, la police, les services de douane et de renseignements. Mais il travaille aussi avec les ministères de l’Économie et des Finances, de la Justice, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, des Armées et de la Culture. Quant au niveau international, l’OCBC travaille en étroit partenariat avec l’UNICOM, UNIDROIT, Europol, INTERPOL, ainsi que les polices européennes et internationales. Car si les trafics de biens culturels démarrent souvent à l’échelle locale, Hubert Percie du Sert a précisé que les objets contrefaits se retrouvaient, la plupart du temps, mis en vente sur des places étrangères.

Le chef de l’OCBC a ensuite rappelé le sens et l’objectif de ces nombreux partenariats : mettre en place les moyens suffisants pour défendre le marché de l’art en assurant l’authenticité et la provenance des objets mis en vente et présentés dans les musées. Particulièrement attractif pour les organisations criminelles, en particulier parce qu’il peut devenir vecteur de blanchiment, le principal risque pour le marché reste bien de se voir submergé par les copies et ainsi ne plus susciter la confiance des acheteurs. Dans ces conditions, on finirait par assister à son effondrement.

C’est pourquoi pour l’OCBC, la lutte contre les faux représente un élément central de leur action ; car préserver l’authenticité des pièces permet d’assurer la sécurité du marché. En ce sens, le projet de loi exposé auparavant par Tristan Azzi représente pour Hubert Percie du Sert une « formidable opportunité » qui sera, à n’en pas douter, au service de sa « pratique judiciaire quotidienne ». Compte tenu de l’attractivité du marché de l’art pour les organisations criminelles, il a rappelé la nécessité de mettre en place un élément suffisamment dissuasif pour éviter les fraudes – d’où l’intérêt d’un quantum de peine plus sévère.

Des nuisances directes et indirectes pour les artistes copiés

Enfin, la parole est revenue à Hervé Di Rosa, artiste et président de l’ADAGP. En tant que président de cette association et au nom des artistes qu’il représente, il a commencé par remercier chaleureusement le colonel de gendarmerie et chef de l’OCBC pour sa lutte contre les faux et les contrefaçons. Car lui-même artiste, Hervé Di Rosa en a subi les conséquences directes. Et il l’a affirmé : « sans ces lois, on ne peut rien faire ». S’il a d’abord trouvé flatteur et amusant que ses œuvres commencent à se voir copiées ou falsifiées, il a rapidement considéré l’ampleur de ce « problème terrifiant ». Il a par exemple raconté que, confronté à un faux de l’une de ses œuvres, il s’est trouvé dans l’incapacité de le récupérer. Revenant sur les propos de Tristan Azzi au début de la table ronde, il a confirmé le rôle délétère des médias qui consacrent parfois plus de pages aux faussaires qu’aux artistes eux-mêmes, faisant ainsi d’eux des personnages sympathiques. 

Au-delà des faux et des contrefaçons exposés dans les musées – Hervé Di Rossa reste persuadé qu’il en existe –, l’artiste a rappelé que ces objets finissent par avoir une grave incidence sur la perception de l’œuvre authentique sur les marchés, ce qui représente évidemment un fort préjudice pour l’artiste. Sans compter que les artistes les plus visés par les faussaires se voient délaissés par les collectionneurs, qui préfèrent éviter les risques et se tourner vers d’autres œuvres. Après les évocations des menaces que font courir les faussaires à l’intérêt général, Hervé Di Rossa a donc rappelé que les intérêts des artistes restaient, bien évidemment, les plus durement mis à mal par ces trafics criminels.

Sophie Benard

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