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La proposition de loi portant réforme de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique est actuellement entre les mains de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale.
La société d’auteurs
dans les arts visuels ADAGP, qui vise à soutenir les artistes et défendre leurs
droits, fêtait en 2023 son soixante-dixième anniversaire. S’est tenu à cette
occasion le 30 novembre dernier à la Bibliothèque nationale de France un
colloque intitulé « PARCOURS – L’œuvre d’art à la trace », sous la
direction scientifique de Tristan Azzi, professeur à l’École de droit de la
Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Cinquième et dernière table
ronde de cette journée, « La lutte contre les faux et les
contrefaçons » a mis en lumière les témoignages de Hubert Percie du Sert,
colonel de la gendarmerie et chef de l’Office central de lutte contre le trafic
illicite des biens culturels (OCBC), et Hervé Di Rosa, artiste et président de
l’ADAGP.
Chargé de la
présentation de cette table ronde, Tristan Azzi a commencé par évoquer les deux
idées reçues qui empêchent, selon lui, de lutter comme il se devrait contre les
faux et les contrefaçons dans le milieu de l’art. D’une part les faussaires seraient
souvent présentés comme des personnages « sympathiques, hauts en
couleur ». D’autre part, le marché de l’art n’aurait pas bonne
presse : il serait « un marché de niche, un marché de
riche » et ne mériterait pas, à ce titre, l’attention que l’on porte à
d’autres secteurs de l’économie.
Pour se défaire de
ces images trompeuses, le professeur a rappelé que les faussaires se livrent en
réalité à des activités hautement répréhensibles qui polluent non seulement le
marché de l’art, mais aussi et surtout l’art en tant que tel. Car par ces
activités illicites, les intérêts de nombreux acteurs se trouvent
spoliés : des artistes et de leurs ayants droit aux vendeurs et aux
acheteurs, en passant par les professionnels et les institutions publiques –
dont les musées –, le grand public, et bien sûr l’État. Au-delà des intérêts
privés, les faux et les contrefaçons représentent donc une menace pour
l’intérêt général.
Le système juridique
offre néanmoins les moyens de combattre ces difficultés, par le biais des
droits d’auteur et des contrats – qui permet l’annulation d’un contrat de vente
dans le cas d’une erreur sur l’authenticité ou sur toute autre qualité
essentielle de l’objet –, et par le droit pénal, qui condamne toute forme
d’escroquerie et de tromperie. Tristan Azzi a surtout rappelé l’existence de la
loi Bardoux du 9 février 1895 qui se donne précisément pour but de lutter
contre toutes les fraudes en matière artistique. Cette loi manque pourtant, en
son état actuel, son objectif : critiquée dès son adoption, elle se trouve
de surcroit rarement appliquée.
C’est pourquoi en
2017, à la suite d'un colloque organisé par le parquet de la Cour de cassation, la
décision est prise de la modifier en profondeur. L’institut Art & Droit et
le ministère de la Culture, par le biais du Conseil supérieur de la propriété
littéraire et artistique (CSPLA), se sont alors emparés du projet de réforme de
cette loi. Deux membres de l’institut Art & Droit ont par la suite publié
une offre de loi à destination des pouvoirs publics ; et ce texte a trouvé
un relai auprès du Sénat en la personne de Bernard Fialaire. Le 16 mars 2023,
une version assez largement modifiée de cette « petite loi » a
été adoptée par le Sénat et se trouve désormais soumise aux modifications en
vue de sa proposition à l’Assemblée nationale.
Cette table ronde sur
« La lutte contre les faux et les contrefaçons » s’est donc tenue
alors que le texte de cette loi relevait encore du « work in
progress », puisque le rapport du CSPLA était encore en cours de
rédaction. Tristan Azzi s’est ainsi attaché à décrire quatre points saillants
du « texte ambitieux » proposé par le Sénat qui vise à
remédier aux « défauts criants » de la loi Bardoux, en
précisant qu’il avait reçu un accueil « globalement favorable »
des milieux concernés.
Premièrement, la loi
de 1895 sanctionne l’imitation ou le remplacement d’une signature, mais ne
s’attache pas aux autres formes de fraudes (fausse datation, fausse provenance,
etc.). La « petite loi » se propose de sanctionner, plus largement, « le
fait de tromper autrui par quelque moyen que ce soit, sur l’identité du
créateur, l’origine de l’œuvre, sa datation, sa nature, sa composition ou sa
provenance ». Par ailleurs, la loi Bardoux ne couvre pas les
photographies et les œuvres de design ; ce que corrige la « petite loi » en
visant toutes les œuvres d’art et objets de collection. Deuxièmement, la loi
Bardoux ne sanctionne que les fraudes sur des œuvres qui ne sont pas encore
tombées dans le domaine public, tandis que le nouveau texte supprime cette
restriction. Troisièmement, la loi de 1895 ne permet de poursuivre que les
faussaires, marchands et intermédiaires, tandis que la « petite loi » s’attaque à
toutes les personnes réalisant des faux, modifiant des œuvres, présentant ou
diffusant ces objets. Enfin, le quantum de la peine de la loi Bardoux
représente deux ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende ; mais en
s’alignant sur le régime de l’escroquerie, la « petite loi » augmente ces peines à
cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende.
La proposition que
formule le CSPLA pour compléter cette loi soumet, entre autres, l’idée de créer
non pas une amende fixe mais une amende proportionnelle au caractère plus ou
moins lucratif de la fraude. Le texte proposé par le Sénat autorise aussi le juge
à ordonner la destruction du faux et à prononcer une peine complémentaire
d’interdiction d’exercer certaines professions.
Ces rappels de
l’actualité judiciaire par Tristan Azzi ont été suivis de l’intervention de Hubert
Percie du Sert. Ce dernier a
immédiatement précisé que le travail en cours sur la loi Bardoux matérialisait « le
nécessaire partenariat entre tous les acteurs du monde de l’art, du marché de
l’art, dans la lutte contre les trafics de biens culturels », compte
tenu de la pluralité des infractions et de leurs auteurs.
Le colonel de la gendarmerie a ensuite brièvement présenté les missions du « chef de file de la
lutte contre les trafics au niveau national », l’OCBC. Au niveau
national, l’office anime et coordonne la lutte par son réseau de correspondants
et de partenaires, et avec l’aide des forces opérationnelles que représentent
la gendarmerie, la police, les services de douane et de renseignements. Mais il
travaille aussi avec les ministères de l’Économie et des Finances, de la
Justice, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, des Armées et de la
Culture. Quant au niveau international, l’OCBC travaille en étroit partenariat
avec l’UNICOM, UNIDROIT, Europol, INTERPOL, ainsi que les polices européennes
et internationales. Car si les trafics de biens culturels démarrent souvent à
l’échelle locale, Hubert Percie du Sert a précisé que les objets contrefaits se
retrouvaient, la plupart du temps, mis en vente sur des places étrangères.
Le chef de l’OCBC a
ensuite rappelé le sens et l’objectif de ces nombreux partenariats :
mettre en place les moyens suffisants pour défendre le marché de l’art en
assurant l’authenticité et la provenance des objets mis en vente et présentés
dans les musées. Particulièrement attractif pour les organisations criminelles,
en particulier parce qu’il peut devenir vecteur de blanchiment, le principal
risque pour le marché reste bien de se voir submergé par les copies et ainsi ne
plus susciter la confiance des acheteurs. Dans ces conditions, on finirait par
assister à son effondrement.
C’est pourquoi pour
l’OCBC, la lutte contre les faux représente un élément central de leur
action ; car préserver l’authenticité des pièces permet d’assurer la
sécurité du marché. En ce sens, le projet de loi exposé auparavant par Tristan
Azzi représente pour Hubert Percie du Sert une « formidable
opportunité » qui sera, à n’en pas douter, au service de sa « pratique
judiciaire quotidienne ». Compte tenu de l’attractivité du marché de
l’art pour les organisations criminelles, il a rappelé la nécessité de mettre
en place un élément suffisamment dissuasif pour éviter les fraudes – d’où
l’intérêt d’un quantum de peine plus sévère.
Enfin, la parole est revenue à Hervé Di Rosa, artiste et président de l’ADAGP. En tant que président de cette association et au nom des artistes qu’il représente, il a commencé par remercier chaleureusement le colonel de gendarmerie et chef de l’OCBC pour sa lutte contre les faux et les contrefaçons. Car lui-même artiste, Hervé Di Rosa en a subi les conséquences directes. Et il l’a affirmé : « sans ces lois, on ne peut rien faire ». S’il a d’abord trouvé flatteur et amusant que ses œuvres commencent à se voir copiées ou falsifiées, il a rapidement considéré l’ampleur de ce « problème terrifiant ». Il a par exemple raconté que, confronté à un faux de l’une de ses œuvres, il s’est trouvé dans l’incapacité de le récupérer. Revenant sur les propos de Tristan Azzi au début de la table ronde, il a confirmé le rôle délétère des médias qui consacrent parfois plus de pages aux faussaires qu’aux artistes eux-mêmes, faisant ainsi d’eux des personnages sympathiques.
Au-delà des faux
et des contrefaçons exposés dans les musées – Hervé Di Rossa reste persuadé
qu’il en existe –, l’artiste a rappelé que ces objets finissent par avoir une
grave incidence sur la perception de l’œuvre authentique sur les marchés, ce
qui représente évidemment un fort préjudice pour l’artiste. Sans compter que
les artistes les plus visés par les faussaires se voient délaissés par les
collectionneurs, qui préfèrent éviter les risques et se tourner vers d’autres
œuvres. Après les évocations des menaces que font courir les faussaires à
l’intérêt général, Hervé Di Rossa a donc rappelé que les intérêts des artistes
restaient, bien évidemment, les plus durement mis à mal par ces trafics
criminels.
Sophie Benard
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