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Lorsqu’il s’agit d’accompagner les entrepreneurs,
greffiers et experts-comptables sont essentiels. En s’appuyant sur des outils
numériques de plus en plus performants, chaque profession agit dans son rôle de
prévention et dans la lutte contre le blanchiment.
On ne le dira
jamais assez : en ce qui concerne les services alloués aux entreprises,
greffier et expert-comptable sont complémentaires. C’est justement pour mettre
en avant ce binôme que le 21 avril dernier, « Au
cœur de la profession », l’émission du Conseil national de l’ordre des
experts-comptables (CNOEC), accueillait Thomas Denfer, président du Conseil
national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC), et Jean-Luc Flabeau,
vice-président de l’Ordre des experts-comptables.
Une
complémentarité entre les deux professions qui s’est matérialisée en 2021 par
la signature d’une convention, organisée autour de trois axes majeurs :
continuer à progresser sur l’anticipation des difficultés de prévention auprès
des entreprises en difficulté, assurer une meilleure transparence de la vie des
entreprises, et continuer à accentuer la lutte contre le
blanchiment, « sujet sociétal important » , souligne Jean-Luc Flabeau.
Développés
depuis plus de dix ans, les centres d’information sur la prévention (CIP) sont
des plateformes d’accueil et d’écoute des chefs d’entreprise, présentes sur tout
le territoire. Les experts-comptables, aux côtés des
avocats, des greffiers, ou encore d’anciens juges du tribunal de commerce,
conseillent et accompagnent, de façon bénévole, les dirigeants d’entreprise en
difficulté. Pour Jean-Luc Flabeau, la première étape de la prévention consiste
à « combattre le déni du chef d’entreprise » en difficulté
: « c’est le travail de plusieurs années, de plusieurs dizaines
d’années voire de toute une vie, et il a du mal à analyser les difficultés
de son entreprise », constate l’expert-comptable et commissaire aux
comptes. Une fois ce déni dépassé, il sera ensuite question d’effectuer un
audit, mené par plusieurs professions.
Dans les CIP, au cours des « Entretiens
du jeudi » menés anonymement et confidentiellement, un
expert-comptable, un avocat et un juge consulaire accueillent le dirigeant. Le
but : dédramatiser la situation. « Le tribunal de commerce fait peur »,
remarque Jean-Luc Flabeau, il faut dans ce contexte expliquer au dirigeant que
« le tribunal est aussi là pour protéger le chef d’entreprise ».
Car dans ces démarches, il y a un volet judiciaire, certes, mais il y a aussi
tout un volet amiable, rappelle-t-il.
Face aux
difficultés des entreprises, et toujours dans un souci de prévention, l’Ordre
des experts-comptables a débuté un partenariat avec l’université de la Sorbonne
sur un cursus diplômant de redressement des entreprises.
Pour faciliter
ces démarches, le digital, en complément de l’humain, vise à améliorer
l’accompagnement du dirigeant. Il faut dire que les greffiers des tribunaux de
commerce sont précurseurs en termes de technologie. « Notre profession est
empreinte d’une vraie capacité d’innovation et d’une culture numérique », se
félicite Thomas Denfer. Infogreffe a par exemple fêté l’année dernière ses 35
ans, « c’est la première legal tech française qui survit aux années
», se réjouit le représentant des greffiers. Innovante, la profession
se dote ainsi d’outils qui apparaissent bien utiles pour l’entrepreneur en
difficulté. « À travers les outils numériques, dans un complément
d’information vers le chef d’entreprise, pour l’aider à se saisir de sa propre
situation, la profession a mis en place un indicateur de performance,
accessible uniquement au chef d’entreprise, pour connaître la tendance de son
entreprise », explique Thomas Denfer. Ainsi, via un algorithme qui
utilise l’information existante certifiée par les greffiers, le dirigeant peut
de façon autonome réaliser son propre audit et disposer d’un état des lieux de
la situation de son entreprise à l’instant T.
Un fois que
l’entrepreneur s’est saisi de cette information, que faire ? Pour le
greffier, il faut l’orienter. Et dans un souci de complémentarité, Thomas
Denfer l’assure : « nous avons tendance à l’orienter vers un
expert-comptable », professionnel du chiffre et du conseil, pour
recevoir un accompagnement adapté à sa situation.
Rebondissant sur cette peur du tribunal évoquée
plus haut par l’expert-comptable, le président du CNGTC le reconnaît lui aussi
: malgré ce travail de prévention, franchir physiquement les portes d’un
tribunal peut terrifier. « L’intérêt d’avoir des outils numériques en
complément de ce qui existe en présentiel », précise Thomas Denfer,
c’est aussi de permettre au dirigeant de « franchir cette porte en ligne » via
le Tribunal digital. Cet espace dématérialisé, véritable porte d’accès en ligne
aux 141 tribunaux de commerce français, rend la justice commerciale accessible
à tous, à tout moment, et permet par exemple à l’entrepreneur d’utiliser les
mécanismes de prévention des difficultés directement en ligne, de saisir le
président du tribunal ou encore de réaliser une demande de rendez-vous. Une
voie parallèle moins traumatisante, reconnaît Thomas Denfer.
Dans le
prolongement, les experts-comptables développent eux aussi des outils
numériques. Il y a par exemple Business Story prévention, un dispositif de
pré-diagnostic des difficultés des entreprises, conçu par le CNOEC et mis à la
disposition de l’ensemble des cabinets d’expertise-comptable.
Quand il
s’agit de prévention, « le plus important, c’est la fraicheur de
l’information », pointe Jean-Luc Flabeau. Mut but est de travailler avec
les données les plus récentes permettant d’avoir une vision actuelle de la
situation de l’entreprise et potentiellement d’anticiper les actions, l’Ordre
travaille actuellement sur de nouveaux outils plus prédictifs, basés sur la data,
offrant ainsi la possibilité de croiser un maximum d’informations. Un
dispositif qui fait assurément écho à l’une des missions premières des
greffiers, à savoir la sécurisation juridique de l’économie, à travers la tenue
de différents registres de publicité légale, et la mise à disposition du public
d’une information fraiche et certifiée.
Thomas Denfer
et Jean-Luc Flabeau, sur le plateau d' "Au
cœur de la profession", le 21 avril 2022
Outre leur mission de prévention et
d’accompagnement des entreprises en difficulté, les 232 greffiers sont aussi
présents pour faciliter la vie du chef d’entreprise, que ce soit lors de la
création de l’entreprise, sa modification, ou même sa fermeture, quand cela est nécessaire. Pour
cela, depuis dix ans, des services dématérialisés, permettent à l’entrepreneur
de réaliser ses formalités en ligne. En 2021, Infogreffe a ainsi reçu 2 millions de formalités
en ligne, vérifiées ensuite par les greffes.
Pour Jean-Luc Flabeau, le principal avantage
d’Infogreffe réside dans le fait qu’il s’agit de la seule plateforme qui
regroupe les informations d’un grand nombre de TPE PME, pour qui le défi de la
digitalisation est le plus complexe.
Afin de faciliter la vie des entrepreneurs, les
deux instances sont en lien pour envisager des améliorations numériques,
notamment en ce qui concerne le dépôt des fichiers. D’autres projets de
services additionnels sont également en cours de réflexion, toujours dans le but d’aider
les chefs d’entreprise dans leurs démarches du quotidien.
En 2021,
Infogreffe a reçu 750 000 dépôts des comptes en ligne, en grande
partie déposés par des experts-comptables. Et même si certaines entreprises
rechignent parfois, selon les deux intervenants, à le faire, cette obligation s’inscrit dans la
culture à la française, qui défend une transparence économique qui profite à
l’écosystème dans sa globalité, certifie Thomas Denfer.
Cette lutte
contre la fraude et le blanchiment est « dans l’ADN des greffiers »,
précise-t-il. « Cela reste des phénomènes sociaux sur lesquels on se
doit de s’investir », complète le président du CNGTC, notamment en
cette période, où la crise sanitaire s’est vu être le témoin d’une vague de
fraudes. « Même si nous disposons de dispositifs assez efficaces pour
lutter contre les fraudes, c’est l’expertise croisée avec des professionnels
qui nous permettent d’améliorer ce que l’on propose », considère
Thomas Denfer.
Pour répondre
à ce fléau, Guillaume Valette-Valla, directeur de Tracfin, et Thomas Denfer ont
d’ailleurs renouvelé, le 9 mai dernier, le partenariat entre les deux
institutions engagées dès 2015. Un renouvellement qui intervient après l’ordonnance numéro
2020-115 du 12 février 2020 marquant l’assujettissement des greffiers des
tribunaux de commerce aux obligations de LCB-FT au titre de l’article L. 561-2, 19° du Code monétaire et financier.
Même chose du
côté des experts-comptables, auxquels Tracfin impose des devoirs, qui peuvent
aussi parfois s’avérer être des contraintes pour les entreprises, nuance
Jean-Luc Flabeau. A son sens, cette lutte constitue « un vrai sujet
sociétal » : l’important est de « mettre le curseur au bon
niveau », commente-t-il.
Guillaume Fénelon, directeur d’Infogreffe,
revient quant à lui sur les nouveautés proposées par le GIE Infogreffe.
Il évoque notamment le partenariat passé avec la
licorne Qoton, qui permet désormais aux créateurs d’entreprise de déposer leur
capital en ligne. Grâce à ce nouveau service intégré au parcours de création de
l’entreprise d’Infogreffe, le certificat d’obtention de dépôt peut être délivré
en moins de 72 h, se réjouit le directeur.
Guillaume Fénelon présente également KYC
(pour know your customer), un nouveau service de surveillance,
d’information authentique et de preuve pour lutter contre la fraude et le
blanchiment. Celui-ci permet aux assujettis, aux exigences en matière de LCB-FT
(selon les articles L. 561 et suivants du Code monétaire et financier,
notamment les banques et établissements de crédit, les compagnies d’assurance,
mais aussi les notaires, les huissiers, les avocats ou encore les
experts-comptables) de mieux connaître leurs clients, prospects ou même
partenaires, sur la base de documents officiels certifiés par les greffiers des
tribunaux de commerce. Ce service leur offre également la possibilité de
disposer, en temps réel, de l’ensemble du dossier de leurs clients (Kbis,
compte annuel, registre des BE), explique le directeur d’Infogreffe, et ce dès
le début de leur collaboration, mais aussi tout au long de leur relation.
Infogreffe a également donné naissance à Monjuridique.fr,
solution développée pendant le confinement qui regroupe l’ensemble des
registres légaux dématérialisés.
Enfin, le dernier outil proposé par Infogreffe,
encore en cours de finalisation, est né d’un constat : les entreprises ont
régulièrement des difficultés à accéder à l’ensemble des aides publiques
existantes. Pour pallier ce manque d’informations, Infogreffe proposera
prochainement une base de données recensant l’ensemble de ces aides. Plus de 3
500 aides seront référencées sur cette plateforme. Un outil utile pour le
créateur d’entreprise, qui pourra ainsi facilement connaître les aides
auxquelles il est éligible, mais utile aussi aux experts-comptables, leur
permettant d’obtenir un rapport sur l’ensemble des aides auxquelles peuvent souscrire
leurs clients.
Un ensemble d’outils numériques indispensables,
commente Jean-Luc Flabeau, notamment en cette période de sortie de crise, où
les professionnels vont devoir faire preuve d’une vigilance accrue. En effet,
avec la fin du « quoi qu’il en coûte » et la situation internationale dominée
par la guerre en Ukraine, les entreprises françaises rencontrent aujourd’hui
des difficultés de recrutement et d’approvisionnement. Aussi, suite à la chute
du nombre de défaillances (de 55 000 par an, on est passé à 28 000 défaillances
en 2021), un risque de rebond reste à craindre. Les professionnels ont
assurément besoin de toutes ces connexions, aidées par la digitalisation, pour
accompagner au mieux les entreprises.
Constance Périn
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