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À l’heure où la loi projette de filmer les audiences, le grand
public comme les juges se souviennent de la première magistrate à avoir réalisé
cet exercice dans deux films restés dans les mémoires pour leur pédagogie de la
vie judiciaire.
Le goût du verbe
Michèle Bernard naît le 7 mai 1943 à Vittel (Vosges). Suzanne,
sa mère, aide son propre père à gérer son garage, et épouse Georges Bernard,
pharmacien à Vittel, mais aussi adjoint au maire de sa commune et président du
tribunal de commerce. Michèle grandit avec ses sœurs et elle seule se tourne
vers le droit, qu’elle étudie à Nancy puis à Paris. Elle dévore la littérature
classique et se plaît à exercer le théâtre en amatrice. Aimant prendre la
parole, elle remporte un concours d’éloquence à 17 ans.
Avocate en
1966, Michèle Bernard s’inscrit au barreau de Paris. En 1968 elle se marie avec
Henri Requin (1),
et en 1969, devient secrétaire de la Conférence du stage.
Elle exerce en
cabinet jusqu’en 1980, période à laquelle elle prend la décision de devenir magistrate.
Frustrée dans la position de sollicitation, elle explique avoir eu « envie
de décider (2) ».
1981 – L'intégration dans une magistrature
en cours de féminisation
À 38 ans, en
1981, elle achève son parcours d’intégration et rejoint un corps en cours de
féminisation avec 30 % de juges femmes et une promotion de 55 %
d’auditrices de justice à l’École Nationale de la Magistrature.
Ses premiers
postes se succèdent au parquet, à Rouen, Nanterre et Paris, où elle manifeste
toujours un souci particulier pour les victimes. À Rouen, elle participe dès
1982 à la création des premiers bureaux d'accueil. À Nanterre, en 1984, Michèle
Bernard-Requin crée l’association d’aide aux victimes et préside Paris Aide aux
Victimes de 1999 à 2002.
Elle
s'intéresse très tôt aux femmes victimes de violences conjugales. Elle est
l’une des premières au parquet à poursuivre les auteurs lorsque la plainte est
retirée, et à requérir l’éloignement du conjoint violent.
Elle
explique : « Dès 1984, j'ai commencé avec l'accord de ma hiérarchie
à mettre en place une politique pénale nouvelle. Cela commençait par un
discours simple aux policiers : “Si vous prenez en flagrant délit un
homme qui fracture une voiture, vous n'attendrez pas la plainte du propriétaire
pour l'arrêter. Mais si vous avez connaissance qu'une femme a été gravement
frappée par une personne identifiée, vous ne faites rien !” Réponse :
“Elles retirent toutes leurs plaintes”. Et alors ? Sauf
en matière de diffamation ou de dénonciation calomnieuse, nous n'avons pas besoin
de la plainte de la victime. Ma position de substitut me permettait de
convaincre et d'ordonner. Convaincre : les retraits de plaintes
s'expliquent. Dépendance affective, dépendance économique, présence des
enfants, et peur, surtout, donc les retraits de plaintes ne changeaient rien au
fait que M. X avait porté des coups à Mme Y ayant entraîné une
incapacité temporaire de tant de jours. Au contraire, ils étaient révélateurs
généralement d'un autre délit commis par le mari ou compagnon violent, à savoir
la menace faite à une victime en raison de la plainte qu'elle a osé
déposer ! (3) »
Le passage du
barreau à la magistrature n’est pas aussi fréquent qu’aujourd’hui, et Michèle
Bernard-Requin sent qu’il faut qu’elle prouve sa légitimité. Elle en aura
l’occasion en requérant dans une affaire emblématique, celle du sang contaminé.
Les débats sont tendus.
Le 31 juillet
1992, elle débute son réquisitoire en citant le chancelier Henri-François
d'Aguesseau, juriste du siècle des Lumières, qui, s'adressant à des magistrats,
les avait avertis : « Vous jugez les hommes, mais les hommes
jugent la justice. » Sa prestation est remarquée.
1994 – premier film : Délits
flagrants
Est-ce pour cette raison que Michèle Bernard-Requin est retenue, deux
ans plus tard, pour figurer au casting du film que souhaite réaliser Raymond
Depardon sur la justice ?
Il s’agit du premier documentaire tourné dans l’enceinte du palais de
justice de Paris. Trois magistrats de la 8e section du parquet
de Paris sont choisis pour être suivis dans leur activité du quotidien :
elle est la seule femme4, et sa personnalité imprime sur l’écran.
14 personnes, prévenues d’un vol d’un portefeuille, d’une escroquerie au
bonneteau, d’un tag sur un wagon de métro, ou d’une agression d’un agent de la
RATP, sont présentées au parquet dans le cadre de la procédure de flagrants
délits. Après avoir traversé les couloirs souterrains qui séparent la
Préfecture de police du palais de justice, talonnant la personne déférée
menottes aux poignets et accompagnée chacune par un policier, l'objectif
pénètre dans le bureau de la magistrate. Devant la caméra, le plus souvent
fixe, certains reconnaissent les faits, d’autres tentent des explications,
certains expriment leur révolte.
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