Michèle Bernard-Requin, première magistrate filmée - Une femme juge sur pellicule


vendredi 17 décembre 20214 min
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À l’heure où la loi projette de filmer les audiences, le grand public comme les juges se souviennent de la première magistrate à avoir réalisé cet exercice dans deux films restés dans les mémoires pour leur pédagogie de la vie judiciaire.

 

 

Le goût du verbe

Michèle Bernard naît le 7 mai 1943 à Vittel (Vosges). Suzanne, sa mère, aide son propre père à gérer son garage, et épouse Georges Bernard, pharmacien à Vittel, mais aussi adjoint au maire de sa commune et président du tribunal de commerce. Michèle grandit avec ses sœurs et elle seule se tourne vers le droit, qu’elle étudie à Nancy puis à Paris. Elle dévore la littérature classique et se plaît à exercer le théâtre en amatrice. Aimant prendre la parole, elle remporte un concours d’éloquence à 17 ans.

Avocate en 1966, Michèle Bernard s’inscrit au barreau de Paris. En 1968 elle se marie avec Henri Requin (1), et en 1969, devient secrétaire de la Conférence du stage.

Elle exerce en cabinet jusqu’en 1980, période à laquelle elle prend la décision de devenir magistrate. Frustrée dans la position de sollicitation, elle explique avoir eu « envie de décider (2) ».

 

 

1981 – L'intégration dans une magistrature en cours de féminisation

À 38 ans, en 1981, elle achève son parcours d’intégration et rejoint un corps en cours de féminisation avec 30 % de juges femmes et une promotion de 55 % d’auditrices de justice à l’École Nationale de la Magistrature.

Ses premiers postes se succèdent au parquet, à Rouen, Nanterre et Paris, où elle manifeste toujours un souci particulier pour les victimes. À Rouen, elle participe dès 1982 à la création des premiers bureaux d'accueil. À Nanterre, en 1984, Michèle Bernard-Requin crée l’association d’aide aux victimes et préside Paris Aide aux Victimes de 1999 à 2002.

Elle s'intéresse très tôt aux femmes victimes de violences conjugales. Elle est l’une des premières au parquet à poursuivre les auteurs lorsque la plainte est retirée, et à requérir l’éloignement du conjoint violent.

Elle explique : « Dès 1984, j'ai commencé avec l'accord de ma hiérarchie à mettre en place une politique pénale nouvelle. Cela commençait par un discours simple aux policiers : “Si vous prenez en flagrant délit un homme qui fracture une voiture, vous n'attendrez pas la plainte du propriétaire pour l'arrêter. Mais si vous avez connaissance qu'une femme a été gravement frappée par une personne identifiée, vous ne faites rien !” Réponse : “Elles retirent toutes leurs plaintes”. Et alors ? Sauf en matière de diffamation ou de dénonciation calomnieuse, nous n'avons pas besoin de la plainte de la victime. Ma position de substitut me permettait de convaincre et d'ordonner. Convaincre : les retraits de plaintes s'expliquent. Dépendance affective, dépendance économique, présence des enfants, et peur, surtout, donc les retraits de plaintes ne changeaient rien au fait que M. X avait porté des coups à Mme Y ayant entraîné une incapacité temporaire de tant de jours. Au contraire, ils étaient révélateurs généralement d'un autre délit commis par le mari ou compagnon violent, à savoir la menace faite à une victime en raison de la plainte qu'elle a osé déposer ! (3) »

Le passage du barreau à la magistrature n’est pas aussi fréquent qu’aujourd’hui, et Michèle Bernard-Requin sent qu’il faut qu’elle prouve sa légitimité. Elle en aura l’occasion en requérant dans une affaire emblématique, celle du sang contaminé. Les débats sont tendus.

Le 31 juillet 1992, elle débute son réquisitoire en citant le chancelier Henri-François d'Aguesseau, juriste du siècle des Lumières, qui, s'adressant à des magistrats, les avait avertis : « Vous jugez les hommes, mais les hommes jugent la justice. » Sa prestation est remarquée.

 

 

1994 – premier film : Délits flagrants

Est-ce pour cette raison que Michèle Bernard-Requin est retenue, deux ans plus tard, pour figurer au casting du film que souhaite réaliser Raymond Depardon sur la justice ?

Il s’agit du premier documentaire tourné dans l’enceinte du palais de justice de Paris. Trois magistrats de la 8e section du parquet de Paris sont choisis pour être suivis dans leur activité du quotidien : elle est la seule femme4, et sa personnalité imprime sur l’écran. 14 personnes, prévenues d’un vol d’un portefeuille, d’une escroquerie au bonneteau, d’un tag sur un wagon de métro, ou d’une agression d’un agent de la RATP, sont présentées au parquet dans le cadre de la procédure de flagrants délits. Après avoir traversé les couloirs souterrains qui séparent la Préfecture de police du palais de justice, talonnant la personne déférée menottes aux poignets et accompagnée chacune par un policier, l'objectif pénètre dans le bureau de la magistrate. Devant la caméra, le plus souvent fixe, certains reconnaissent les faits, d’autres tentent des explications, certains expriment leur révolte.

 

 

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