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La nouvelle promotion de l’Ecole nationale de la magistrature a prêté serment, vendredi 21 février, à Bordeaux, en présence du ministre de la Justice, Gérald Darmanin. Émouvante et solennelle, la cérémonie a été marquée par des discours graves, rappelant les responsabilités lourdes auxquelles devront se soumettre les futurs magistrats.
Il règne une atmosphère d’exultation, ce vendredi 21 février 2025, dans la salle des pas perdus de la cour d’appel de Bordeaux. Et pour cause : 456 auditeurs de justice sur 468 s’apprêtent à y prêter serment, sous les yeux des statues de Montesquieu et Montaigne. Au cœur du Palais Thiac, une promotion qualifiée d’historique - tout comme celle de l’année dernière l’était [1] - va jurer « de garder le secret professionnel » et de tenir un comportement « digne et loyal ». La cérémonie doit se dérouler en présence des chefs de la Cour de cassation, Christophe Soulard et Rémy Heitz, ainsi que du garde des Sceaux, Gérald Darmanin.
Très attendu, le ministre de la Justice est arrivé en début d’après-midi et a partagé un déjeuner organisé avec des stagiaires de l’Ecole nationale de la magistrature, avant de rejoindre la cour d’appel. La veille, il a accordé une interview au Figaro annonçant son projet de « prison haute sécurité » réservée aux narcotrafiquants, en réaction, entre autres, à l’assassinat de deux surveillants pénitentiaires en mai 2024.
Un
métier d’humanité et de sensibilité
Dans la salle des pas perdus recouverte de chaises aux dossiers de velours rouge, la cour fait son entrée dans un silence solennel. Eric Corbaux, nouveau procureur général de Bordeaux depuis janvier, débute ses réquisitions. Il rappelle la force de cette promotion nombreuse, au plafond encore jamais atteint, et mentionne l’enrichissement du corps judiciaire « de profils pluriels et diversifiés ». Parmi le cru 2025, 111 personnes ont en effet été recrutées au titre de l’article 18-1 de l’ordonnance statutaire[2].
Le
procureur général n’hésite pas à s’accompagner de Jean Jaurès, qui, en 1903,
incitait la jeunesse « à tendre vers l’idéal et comprendre le réel »,
tout en rappelant la responsabilité que porteront ces nouveaux magistrats.
« Les citoyens attendent une rétribution qui passe par le respect,
l’attention et l’humanité (…). L’équilibre entre la rigueur de la loi et
l’écoute de la réalité humaine devra guider chaque décision que vous proposerez ».
Le discours met en avant la nécessité de faire preuve de « sensibilité »,
une valeur qui parle sans doute à cette promotion « nouvelle
génération ». L’injonction n’est pas sans rappeler Simone Rozes,
« première » première présidente de la Cour de cassation, qui, dans
un entretien donné à l’occasion de ses 101 ans soutenait : « Certains
soutiennent que la sensibilité est interdite aux magistrats. Eh bien moi, j’ai
exercé mes fonctions avec le plus de sensibilité possible. J’ai toujours été
une écorchée vive et je le revendique, car la vie de celui que vous jugez, vous
l’avez entre vos mains ».
Si la
compassion est donc prônée aux stagiaires de l’ENM, ceux-ci n’échappent pas à
l’évocation des responsabilités qui leur incombent désormais. « Celle
ou celui qui sera devant vous devra avoir confiance », alors même qu’à
travers le monde, « l’Etat de Droit que l’on pensait acquis ou en
progrès, est frappé par des coups de menton, des bruits de bottes, des coups de
canon, des régressions sociales ». D’un ton encourageant, le procureur
général distille ses derniers conseils avant le grand saut, une scolarité qui
durera 31 mois : « Préparez-vous à être ce magistrat ou cette
magistrate d’une probité absolue, délicat et humain, impartial mais jamais
indifférent, indépendant mais jamais isolé, réservé mais pas sans parole. Soyez
humble mais jamais humilié, digne mais ni triste ni désabusé, loyal mais
toujours droit ». Dans la salle, l’émotion est palpable. Eric
Corbaux a su trouver les mots pour évoquer, avec pudeur, une profession aux
allures d’équilibriste, aussi belle par les causes qu’elle défend
qu’effrayante, par la rigueur extrême qu’elle demande. A noter que
l’utilisation d’un langage épicène (« celle et celui »,
« ce magistrat ou cette magistrate ») dans son discours n’est
pas anodine, face à une promotion composée à 72% de femmes.
« On
ne naît pas juge, on le devient »
Qui t’a fait juge ? Impérieuse,
la question qu’Isabelle Gorce, première présidente de la cour d’appel de
Bordeaux, adresse à la salle des pas perdus, empruntée à Guy Canivet[3],
suspend le temps. Elle reprend. « Qui t’a fait juge ? Parce qu’il faut avoir
conscience qu’on ne naît pas juge, on le devient ». Drapée de son hermine
pour l’occasion, la magistrate ne manque pas, face à un public dont la moyenne
d’âge tourne autour de 28 ans, de marteler les grands principes d’une vocation exigente.
« Le juge n’est ni propriétaire de la loi, ni du pouvoir qu’il exerce.
Il est comptable de son savoir, de sa posture professionnelle, de son
impartialité (…) en permanence sur la corde raide ». De nouveau, la
magistrate cite Guy Canivet : « La marge de pertinence de sa décision
n’est pas large. »
Du
besoin d’humanité, on passe à l’exigence d’humilité, au centre d’une justice
« fortement critiquée, souvent injustement, mais pas toujours ».
Isabelle Gorce regrette que l’institution « ait été largement victime
de sa gestion managériale par la loi, avec des réformes incessantes, en silo,
tenant lieu de projet pour la justice quand elle en accélérait la
désorganisation ». La magistrate ne manque pas non plus d’énumérer le
nombre de défis impressionnants auxquels devra faire face cette promotion 2025
: « Favoriser un traitement judiciaire plus transversal, entre le pénal
et le civil mais aussi le siège et le parquet, traiter la situation de
personnes de façon plus globale, travailler avec plus de fluidité avec
le ministère de la Justice, les partenaires institutionnels ou associatifs…
» A l’évidence, la mission est de taille pour les nouveaux arrivants. Mais la
pression qui plane sur leurs épaules ne les empêche pas, quelques minutes plus
tard, de répondre à la seconde question - le serment officiel - main levée,
souffle court : « Je le jure ! ».
Entre
« noirceur et rayons de soleil »
L’audience
est levée mais laisse sa place à l’intervention du garde des Sceaux, qui a
suivi la cérémonie au premier rang. « Par le petit garçon qui meurt
près de sa mère, tandis que des enfants s'amusent au parterre, Par les gosses
battus, par l'ivrogne qui rentre, Par l'âne qui reçoit des coups de pied au
ventre… ». C’est une chanson de Brassens (La Prière) que le
ministre a choisi de réciter comme une poésie. Comme ses deux prédécesseurs, Gérald
Darmanin a opté pour de nombreuses citations dans son discours, en dotant les
siennes d’une étonnante hétérogénéité. De François Mitterrand à Michel de
Montaigne, en passant par Jean-Jacques Goldman, il n’y a visiblement qu’un pas
(perdu ?). S’il reste un message principal à retenir, pourtant, c’est que la
période actuelle oscille entre « noirceur et rayons de soleil »,
« la justice représentant l’espoir pour les Français ».
En
comparant les magistrats à des « chirurgiens qui opèrent à cœur
ouvert », le chef de la Chancellerie tient sa ligne littéraire pour
sensibiliser au rôle « essentiel et indispensable » que les
élèves tiendront bientôt dans la société française : « C’est une
violence immense que de se confier à quelqu’un qu’on ne connaît pas et qui
impressionne de son statut social (…). Vous allez tenir entre vos mains la vie
des autres. Vous aurez toujours sur la conscience la question de savoir si vous
avez bien fait (…). Vous vous engagez officiellement devant la
République, qui aujourd’hui est heureuse que ses enfants ne choisissent pas le
profit et la facilité tranquille, ceux-là dont 40 % sont boursiers. » Le
ministre conclut son allocution en rappelant également l’échange
« implicite » qui se cache derrière cette augmentation d’effectifs à
l’ENM : « Cette immense promotion, qui est le fruit d’un budget
extrêmement important accordé au ministère de la Justice en des temps si
difficiles pour les finances publiques, vous oblige collectivement. »
Des élèves émus mais lucides
Fin des
discours. Les magistrats en devenir sont priés de rejoindre leur école, pour un
échange informel avec Gérald Darmanin. Petit à petit, la cour d’appel de
Bordeaux se vide. A quelques pas, la place de la République se remplit de
presque 500 élèves joyeux, vêtus de leur tenue d’apparat : robe
noire à grandes manches, ceinture moirée de soie bleu-clair et toque noire.
L’ENM n’est qu’à 300 mètres à pied et un cortège improvisé, ministre de la
Justice en tête, dévale un bout de la rue du Maréchal Joffre sous les yeux
étonnés des passants. Les applaudissements et les « bravos » fusent,
tandis que, heureux hasard, le flot en marche croise l’école des avocats sur
son passage. Perchés sur le balcon, les jeunes élèves acclament les auditeurs
de justice, ravis, dans un tableau des plus émouvants.
Sur le
parvis de l’ENM, des parents attendent impatiemment de pouvoir féliciter leurs
enfants (il eût fallu pousser les murs de cour d’appel pour pouvoir faire rentrer
tout le monde), un père a prévu un bouquet pour sa fille. Le temps d’une courte
embrassade avec leurs proches, les futurs magistrats retrouvent leur école,
sans doute moins stressés qu’ils ne l’étaient quelques heures auparavant. Le
moment est désormais à la décontraction, à la photo de promotion,
impressionnante, et aux félicitations respectives.
Dans la foule, entouré de ses amis, Jérémie Rochard, élève-auditeur, réagit à chaud à sa prestation de serment et à l’allocution de Gérald Darmanin : « Je me sens très ému, mais également empreint d’une certaine solennité. Le discours du ministre était particulièrement grave. C’était un rappel de l’attente de la société vis-à-vis de nous. En tant que professionnels en devenir, nous ferons des erreurs mais nous espérons apprendre vite. » A quelques mètres de lui, Vivianna Kim, ancienne juriste-assistante à la cour d’appel de Versailles et désormais élève-auditrice, envisage malgré tout sa future carrière avec optimisme : « J’avais du mal à réaliser que j’allais devenir magistrate mais aujourd’hui, tout a été fait pour que l’on prenne conscience du poids des responsabilités qui nous incombe. Ce métier, on l’épouse, c’est presque un style de vie. Il est magnifique et j’ai hâte de l’exercer. »
Laurène Secondé
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