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I. Un emballement médiatique disproportionné
Le vote britannique du 23 juin dernier a eu quelques conséquences immédiates spectaculaires déjà connues et prévisibles, telles que le dévissage de la Livre Sterling. Il existe toutefois une inconnue importante qui est celle des conséquences juridiques de cette décision historique.
à cet égard, il semble que l’ensemble des médias se soit emballé de manière, à notre sens, tout à fait disproportionnée : pendant plusieurs jours, il n’a été question que du péril qui menaçait les expatriés français de Londres, et du sort tragique et imminent, semblait-il, qui attendait les échanges avec le Royaume-Uni.
Il n’est donc pas inutile de souligner, en tout premier lieu et avant toute chose, que la conséquence immédiate du vote favorable au Brexit est... qu’il ne se passe rien, et ne se passera rien, avant plusieurs mois, sinon plusieurs années.
L’article 50 du traité dispose en effet que, lorsqu’un état membre souhaite sortir de l’Union, il notifie sa décision au Conseil européen et que, à l’issue de cette notification, une négociation de sortie doit s’engager. Si, au bout de deux ans, la négociation n’a pas abouti, l’état membre sort sans que les conditions de départ n’aient été formellement négociées, ou bien la période de négociation peut être prorogée par accord unanime des états membres.
Cet article implique ainsi, pour le déclenchement effectif de la sortie, trois étapes :
• la notification, qui, pour ce qui concerne le Royaume-Uni, n’est pas encore intervenue, et pourrait ne pas intervenir avant la fin de l’année 2016, soit, dans 4 mois minimum ;
• la négociation des conditions de sortie, qui peut durer deux ans mais pourrait se prolonger, sachant que, en pratique, aucun état membre n’a intérêt à se priver du marché britannique;
• la sortie formelle de l’Union, dont on peut raisonnablement considérer, dès lors, qu’elle n’interviendra pas avant au moins deux ans et demi, soit, fin 2019.
Sur quoi porteront les négociations de sortie ? En principe, elles ne porteraient que sur les conditions matérielles de sortie, sur l’apurement des comptes, en quelque sorte. Certains fonctionnaires de la commission affirment que ces négociations ne pourraient ainsi en aucun cas concerner les relations futures entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, puisque ce sujet ne peut faire l’objet d’une discussion que si le Royaume-Uni est devenu un état tiers et donc, s’il est déjà sorti.
à notre sens, il est probable, toutefois, que les modalités concrètes de relations post-Brexit entre le Royaume-Uni et l’UE fassent l’objet d’une négociation en amont, afin d’assurer une indispensable continuité des affaires. Il nous semble difficilement concevable, en effet, que les décideurs européens fassent preuve d’une totale imprévision sur ce plan.
Quel nouveau type de relations pourrait, dans ce contexte, être développé entre le Royaume-Uni et l’Union européenne?
II. Libre circulation et coordination des régimes de protection sociale : des sujets complexes mais qui seront probablement anticipés en amont
Comme déjà souligné en introduction, la première conséquence qui vient à l’esprit de la plupart des commentateurs concerne la liberté de circulation des travailleurs et la coordination des régimes de sécurité sociale. Quel sera le sort des millions d’expatriés exerçant là-bas? Réciproquement, des millions de britanniques résidant sur le territoire de l’UE ?
Trois possibilités sont à envisager :
• une réaction « douce », avec application, au Royaume-Uni, d’un régime applicable aujourd’hui aux pays de l’Espace économique européen (EEE) qui ne sont pas membres de l’UE (Norvège, Islande, Lichtenstein) – Ces pays bénéficient de règlements communautaires tels que, à titre d’exemple, les règlements CE 883/2004 et CE 987/2009 qui permettent de coordonner les affiliations de sécurité sociale et d’éviter les doubles affiliations et/ou privations de droit sociaux en cas de détachement ou d’expatriation au sein de l’EEE ;
• une réaction « forte », avec disparition de l’ensemble des dispositifs de libre circulation des travailleurs et de coordination des régimes de sécurité sociale – en poussant cette logique jusqu’au bout :
- les ressortissants des états membres de l’Union européenne et du Royaume-Uni relèveraient du droit commun de l’immigration : ils ne pourraient théoriquement plus librement résider ni circuler d’une entité à l’autre. Des visas pourraient de nouveau être nécessaires (quoique cela nous semble improbable), ainsi que des permis de séjour et de travail, selon les législations de chacun des états concernés;
- il n’y aurait plus aucune coordination des régimes de sécurité sociale : les cotisants français résidant au Royaume-Uni pourraient avoir à cotiser à la fois à la sécurité sociale anglaise et française, et réciproquement.
• une réaction intermédiaire, plaçant le Royaume-Uni dans une situation comparable à celle de la Suisse : participation à l’espace Schengen ou à un autre dispositif de libre circulation négocié avec certains partenaires européens, et négociations bilatérales sur l’ensemble des autres sujets.
La réaction « forte » nous semble improbable. On imagine mal le Royaume-Uni couper la totalité des liens juridiques qui l’unissent à l’Union européenne.
Pour l’heure, il est à craindre que la réaction « douce » ne soit pas d’actualité, dans la mesure où une telle solution reviendrait en quelque sorte à maintenir ce contre quoi les partisans du « leave » se sont élevés, à savoir, le trop grand afflux de travailleurs de l’UE sur le territoire britannique, mais tout en privant le Royaume-Uni de toute faculté de participer au processus décisionnel au sein de l’UE. Mais il ne faut pas préjuger de ce que souhaiteront les britanniques en 2019. Ils pourraient finalement opter pour une voie qui reste très favorable aux échanges et aux entreprises britanniques.
Autre possibilité, qui ne serait pas davantage surprenante, le scénario intermédiaire, avec négociations bilatérales, au cas par cas, sur la plupart des sujets, et probable « cherry picking » de la part du Royaume-Uni, au grand dam des partenaires européens. La négociation de conventions bilatérales de sécurité sociale est une pratique rôdée et largement répandue entre la plupart des états dits « développés », et relativement fréquente également avec les états dits « en voie de développement ». De telles conventions pourraient être rapidement et efficacement mises en place sans accroc majeur. Quant à la libre circulation des travailleurs, elle serait négociée état par état, la plupart des états membres ne devant probablement rencontrer que peu de difficultés pour trouver des accords raisonnables avec le Royaume-Uni.
Dans tous les cas, le scénario catastrophe évoqué au travers des multiples commentaires alarmistes qui ont suivi le scrutin nous semble hautement improbable.
III. Droits des travailleurs : de redoutables incertitudes
Indépendamment de la question des régimes sociaux et de la libre circulation des travailleurs, qui sont les plus récurrentes dans les médias continentaux, se pose la question des droits des travailleurs, que ce soit du point de vue britannique ou du point de vue continental :
• Quid, tout d’abord, du sort des salariés britanniques ? Théoriquement, en sortant de l’Union européenne, le Royaume-Uni devrait sortir du champ d’application de l’ensemble des règles matérielles communautaires.
Bien sûr, les conséquences d’une telle sortie ne peuvent se faire sentir à court et moyen terme, puisque ces règles sont, pour le moment, partie intégrante du droit positif britannique – par le jeu, notamment, de la transposition en droit interne des directives européennes.
Toutefois, certaines réglementations européennes sont d’application directe et ne nécessitent aucune directive pour être transposées. Tel est le cas, par exemple, du règlement CE n° 593/2008 sur la loi applicable aux relations contractuelles. Jusqu’à présent, ceci ne pose aucun problème : les règlements européens entrent immédiatement dans le droit positif de chacun des états membres et sont considérés, à ce titre, comme partie intégrante de leur droit national. Mais en cas de sortie de l’UE, quel peut être le statut de ces textes en droit britannique ? Faudra-t-il une procédure spécifique pour les sortir du droit national ? Ou bien vont-ils cesser de s’appliquer sur le champ ? Dans ce dernier cas, cesseront-ils de s’appliquer aussi aux contrats en cours ?
à long terme toutefois, il ne peut être exclu que le Royaume-Uni adopte des législations qui divergent progressivement du droit communautaire. Tel pourrait être le cas, à titre d’exemple, des législations relatives à la représentation des salariés au sein des entreprises, à la durée du travail ou au droit aux congés payés, domaines dans lesquels l’Union européenne a fortement influencé, dans un sens favorable aux salariés, le droit matériel britannique. (…)
Jean-François
Rage, avocat associé
et Coline Bied-Charreton, avocat
Cabinet Pinsent Masons
Retrouvez la suite de cet article dans le Journal Spécial des Sociétés n° 65 du 24 août 20016
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