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L’ordonnance du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés vient modifier à la marge le régime du nantissement de compte-titres, codifié aux articles L.. 211-20 ainsi que D. 211-10 et suivants du Code monétaire et financier pour y apporter certaines souplesses et faciliter sa mise en place. Le réformateur répond ainsi aux attentes des praticiens en clarifiant notamment le sort du compte de « fruits et produits » et en explicitant la possibilité de constituer des nantissements successifs. À ces deux innovations, la nouvelle rédaction de l’article L. 211-20 du Code monétaire et financier ajoute l’harmonisation et la clarification des modes de réalisation du nantissement.
Une sûreté simple et
efficace permettant différents modes de réalisation
Le nantissement de compte-titres, dont le régime a
connu plusieurs évolutions depuis 1996, est particulièrement apprécié des
praticiens pour la simplicité de sa constitution et pour les diverses modalités
de réalisation qu’il permet.
Il s’agit, on le sait, d’une sûreté réelle portant
sur des titres de capital de sociétés par actions (SA, SAS) ou des titres
d’OPCVM ainsi que sur leurs fruits et produits. Les titres et les fruits et
produits sont inscrits sur un compte nanti, dit compte spécial, ouvert dans les
livres d’un intermédiaire mentionné à l’article L. 211-3 du
Code monétaire et financier, d’un dépositaire central ou encore de l’émetteur (ce
qui sera le plus souvent le cas pour les titres de sociétés non cotées). Dans
ce dernier cas, si l’émetteur n’est pas autorisé à recevoir des fonds
remboursables du public, le constituant devra ouvrir un compte spécial, dit
compte de « fruits et produits », dans les livres d’un établissement
financier ou d’un intermédiaire mentionné à l’article L. 211-3 du
Code précité, destiné à recevoir les fruits et produits des titres concernés.
Depuis l’ordonnance n° 2017-1674 du 8 décembre
2017, à défaut d’ouverture d’un compte-titres spécial, les titres peuvent également
être identifiés par le biais d’un dispositif d’enregistrement électronique
partagé (ou DEEP) tel que la blockchain (C. mon. fin, art. L. 211-3),
même si cela est encore peu utilisé en pratique. Ainsi, dans la majorité des
cas, la notion de « compte spécial » utilisée à l’article L. 211-20
renvoie en pratique à un compte-titres et à un compte bancaire de fruits et
produits.
Le formalisme du nantissement de compte-titres est simple : il suffit, pour constituer cette sûreté, d’une déclaration de nantissement signée par le constituant (propriétaire des titres financiers) qui doit reprendre un certain nombre de mentions spécifiques détaillées à l’article D. 211-10 du Code monétaire et financier à peine de nullité ou, en tout cas, d’inefficacité de la sûreté (v. A. Couret, H. Le Nabasque et alli, Droit financier, 3e éd, n° 1431). Aucune autre formalité n’est nécessaire pour permettre la constitution et l’opposabilité du nantissement, encore que la nécessité de le notifier ait été sujette à débats (v. not. Cass. com, 20 juin 2018, n° 17-12559). Dans la pratique, toutefois, le constituant et le bénéficiaire signent le plus souvent, en plus de la déclaration de nantissement, une convention de nantissement qui détaille les modalités de la sûreté ; il est en outre généralement demandé au teneur du compte-titres et au teneur du compte « fruits et produits » de fournir une attestation de nantissement, comme le prévoit l’article L. 211-20.
Le compte spécial comme le compte « fruits et produits » sont
ouverts et restent au nom du constituant qui demeure donc propriétaire des
titres et des fonds qui y sont inscrits et peut continuer à exercer les
prérogatives attachées aux titres (tel que le droit de vote rattaché à chaque
titre) ainsi que les autres droits afférents à ceux-ci et aux fonds selon les
conditions arrêtées avec le bénéficiaire.
L’avantage, pour le bénéficiaire du nantissement, est
qu’il dispose de plusieurs modes de réalisation de la sûreté. Il peut se faire
attribuer les fruits et produits ainsi que les instruments financiers (dans la
limite du montant de sa créance) ou encore mettre en œuvre la vente forcée des
instruments financiers et se faire payer sur le prix de la vente.
Possibilité d’exclure les fruits et produits de l’assiette du
nantissement ou de ne les y faire entrer qu’ultérieurement
Le premier ajout majeur de l’ordonnance du 15 septembre
2021 concerne
la possibilité, pour les parties, d’exclure conventionnellement les fruits
et produits de l’assiette du nantissement (C. mon. fin., art. L. 211-20
nouveau, I et III). Elles peuvent ainsi décider que les fruits et produits ne
seront pas nantis et, dans ce cas, il n’est pas nécessaire d’ouvrir un « compte
fruits et produits » – terminologie maintenant consacrée pour différencier
ce compte du compte-titres.
Une autre faculté ouverte par le réformateur est la
possibilité de n’inscrire les fruits et produits sur le compte du même nom
qu’après la signature de la déclaration de nantissement : l’inscription au
compte fruits et produits « peut avoir lieu à tout moment » (C.
mon. fin., art. L. 211-20 nouveau, III). Cette référence à
l’inscription couvre à la fois l’ouverture du compte de fruits et produits et
le transfert des fonds correspondants sur ledit compte par le constituant.
Ainsi, et pour autant que la réalisation du nantissement ne soit pas encore
intervenue (C. mon. fin., art. L. 211-20 nouveau, III.), il
restera désormais possible de faire entrer des fruits et produits dans
l’assiette d’un nantissement de compte-titres postérieurement, à moins, bien
sûr, qu’ils n’aient été expressément exclus de cette assiette par les parties
lors de la constitution du nantissement. Les fruits et produits seront alors
réputés faire partie intégrante du compte nanti depuis la signature de la
déclaration de nantissement (C. mon. fin., art. L. 211-20, III), ce qui
devrait permettre au bénéficiaire de s’opposer à toute saisie ou autre prise de
sûreté par un tiers sur les fonds correspondants.
Ces deux assouplissements relatifs aux fruits et
produits répondent à un souci pratique. Si les bénéficiaires sont souvent
désireux de faire entrer ces fonds dans l’assiette de la sûreté qui leur est
consentie, il peut se révéler long et difficile d’ouvrir un compte fruits et
produits, notamment pour une société étrangère constituante qui ne disposerait
pas d’un compte bancaire dans un établissement financier français. Il sera
maintenant possible de retarder ces formalités tout en constituant rapidement
ladite sûreté.
Consécration des nantissements de rangs successifs
Avant la réforme de 2021, la constitution de
nantissements successifs sur un même compte-titres se pratiquait régulièrement via
des inscriptions en rangs successifs alors même qu’une telle possibilité
n’avait pas été expressément prévue par les textes. Une partie de la doctrine
soutenait d’ailleurs que le droit de rétention, par nature indivisible,
excluait cette possibilité (J. Mestre, E. Putman et M. Billiau, Droit
spécial des sûretés réelles, n° 945 ; D.
Legeais, Gage de comptes d’instruments financiers, RDBB nov.-déc.
1997, n° 5).
Au-delà de la reconnaissance par la loi de cette faculté de donner en
nantissement à plusieurs créanciers un même compte-titres, le principal enjeu
était de déterminer le classement des créanciers titulaires des nantissements
successifs (F. Auckenthaler, Nantissement de comptes-titres, J.-Cl. Banque-Crédit-Bourse,
fasc. 2130, 2016, n° 29).
La réforme de 2021 met fin à ces
difficultés. Désormais, le régime du nantissement consacre expressément la
possibilité pour les parties de constituer des nantissements successifs sur le
même compte-titres, à charge pour le titulaire du compte ou le créancier nanti
de notifier successivement chacun des nantissements au teneur de compte (C.
mon. fin. L. 211-20 nouveau, I bis). Cet ajout
répond à ce que le milieu bancaire réclamait depuis longtemps, afin d’inscrire
dans la loi cette possibilité et de renforcer ainsi la légitimité de leurs
prises de sûretés. De plus, le texte permet de résoudre plus aisément les
éventuels conflits entre créanciers successifs, le rang des différents
nantissements successifs étant expressément déterminé, conformément à l’adage Prior
tempore, potior jure, par l’ordre des déclarations. En pratique, quand
l’émetteur est le teneur du compte-titres, il lui reviendra de préciser dans le
registre de mouvements de titres le rang des différents bénéficiaires de
nantissements portant sur le même compte-titres.
Mise à jour des modalités de réalisation du nantissement de
compte-titres
Les dispositions relatives à la réalisation du nantissement de compte-titres dont peut se prévaloir le titulaire d’une créance certaine, liquide et exigible figurent au paragraphe V de l’article L. 211-20. Le premier alinéa de ce paragraphe V, qui concerne les titres côtés, les titres d’OPCVM et les sommes en monnaie, n’est pas remis en cause. Il est simplement procédé à un élargissement pour viser désormais « les titres admis sur une plateforme de négociation » et non plus seulement ceux négociés sur un marché réglementé. Sont donc maintenant pris en compte les titres admis sur un système de négociation multilatéral ou organisé (v. C. mon. fin., art. L. 420-1).
En l’état cependant, les dispositions de l’article D. 211-12 du Code monétaire et financier sur les modalités de réalisation ne sont applicables qu’aux titres négociés sur un marché réglementés. Il conviendra donc que ce texte soit complété par un futur décret pour traiter également les titres admis sur d’autres plateformes de négociation. En tout état de cause, les solutions offertes aux bénéficiaires restent les mêmes : huit jours après une mise en demeure (ou à l’échéance de tout autre délai convenu entre les parties), les fonds figurant sur le compte fruits et produits peuvent être attribués au créancier directement en pleine propriété, tandis que les instruments financiers lui sont attribués ou sont vendus sur la plateforme (ou présentés au rachat s’agissant de titres d’OPCVM) et le prix de vente est attribué au bénéficiaire, le tout après imputation des frais de réalisation.
Concernant les instruments financiers autres que
ceux visés ci-dessus, c’est-à-dire, principalement, les titres de sociétés non
cotées, les dispositions du second paragraphe du point V de l’article L. 211-20 sont modifiées pour tenir compte de l’abrogation, par l’ordonnance, de
l’article L. 521-3 du Code de commerce relatif au gage commercial auquel
il était précédemment fait renvoi. Désormais, les modalités de réalisation
applicables aux instruments financiers en question sont directement intégrées
dans le second alinéa du paragraphe V de l’article L. 211-20.
Elles reprennent globalement le mécanisme antérieur, à cette réserve près que la réalisation est maintenant soumise à la notification, au débiteur, d’une mise en demeure et non plus à une signification par huissier comme l’exigeait l’article L. 521-3.
Il s’agit d’une harmonisation bienvenue avec le mode de réalisation applicable pour les titres cotés et les sommes en monnaie. En outre, la mise en demeure doit également être notifiée au constituant lorsqu’il n’est pas le débiteur ainsi qu’au teneur de compte si ce dernier n’est pas le créancier nanti.
Ainsi, huit jours après la mise en demeure (étant
précisé qu’à la différence du premier alinéa, le second ne fait pas référence à
un autre délai convenu entre les parties), la réalisation intervient toujours
soit par vente publique des titres, soit par attribution judiciaire ou
conventionnelle de ceux-ci au bénéficiaire. Enfin, en cas d’attribution
conventionnelle, les titres devront être évalués par un expert désigné
amiablement ou judiciairement et, si leur valeur est supérieure à celle de la
créance garantie, alors la différence devra être reversée par le bénéficiaire
au constituant ou consignée s’il existe d’autres créanciers nantis.
Barna Evva,
Avocat associé,
Polina Bogoyavlenskaya,
Avocat Counsel,
THÉMATIQUES ASSOCIÉES
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