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REFORME DU DROIT DES SÛRETÉS - Les nouveaux aspects de l’hypothèque


vendredi 7 janvier 20229 min
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En mars 2004, à l’occasion du bicentenaire du Code civil, le président de la République promettait de réécrire en cinq ans le droit des contrats et celui des sûretés pour la simplification et le rayonnement du droit français. Si, pour le droit des contrats, douze années ont été nécessaires, le droit des sûretés a été réformé dans les deux années qui ont suivi par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006. La nouvelle réforme issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 a été voulue dans le prolongement de cette stratégie réformatrice dans un souci d’harmonisation, d’amélioration et d’efficacité. Elle donne d’abord une définition plus moderne de l’hypothèque. Le réformateur a en effet jugé utile de clarifier cette définition en la simplifiant. Le nouvel article 2385 du Code civil dispose ainsi que « L’hypothèque est l’affectation d’un immeuble en garantie d’une obligation, sans dépossession de celui qui la constitue. » La disposition contenue dans l’ancien article 2398, selon laquelle « les meubles n’ont point de suite par hypothèque », disparaît quant à elle. Cette disparition est la bienvenue dès lors qu’il existe des hypothèques particulières sur les meubles telles que l’hypothèque maritime, fluviale ou aérienne, pour lesquelles le bénéficiaire jouit d’un droit de suite.

Au-delà, l’hypothèque, « reine des sûretés », du fait de sa capacité à concilier l’équilibre entre les intérêts des contractants et ceux des créanciers, voit son régime modernisé. Après plusieurs années de pratique, le réformateur a en effet souhaité la simplifier et l’adapter pour répondre tant aux nouveaux besoins qu’aux difficultés rencontrées par les praticiens concernant, d’une part, l’étendue et la formation de l’hypothèque, et d’autre part, ses effets et sa mise en œuvre. Découvrons ci-après les nouveaux aspects de cette sûreté si chère aux établissements financiers, où se profilent de nouvelles potentialités et une importante évolution du classement des créanciers.

 

 

De nouvelles potentialités

L’ordonnance étoffe le champ d’application de l’hypothèque en inscrivant expressément au sein du nouvel article 2390 du Code civil le principe selon lequel l’hypothèque s’étend de plein droit aux intérêts et autres accessoires de la créance garantie et que cette extension « profite au tiers subrogé dans la créance garantie ». Si le premier point n’est pas nouveau (C. civ., art. 2423 ancien), la précision relative au tiers subrogé résout une importante difficulté affectant la pratique des prêts dits « substitutifs », c’est-à-dire le cas dans lequel l’emprunteur se refinance auprès d’un nouveau prêteur en le subrogeant dans la créance de l’ancien, ce qui a pour effet de lui transmettre aussi l’hypothèque garantissant celle-ci (v. Ch. Gijsbers, La transmission de l’hypothèque au créancier subrogé dans la créance garantie, JCP N 2021, n° 46, 1325). Sous l’empire des anciens textes, la question se posait de savoir si le nouveau prêteur subrogé pouvait ou non prétendre au bénéfice de l’hypothèque ainsi transmise y compris pour les accessoires stipulés au sein du nouveau prêt (intérêts, frais de poursuite, pénalités de remboursement anticipé…). Question légitime, puisque la subrogation n’opère qu’à hauteur du paiement, alors que lesdits accessoires n’ont évidemment pas été payés par le nouveau prêteur puisqu’ils ont été convenus dans le nouveau prêt. L’article 1346-4 du Code civil, issu de la réforme du droit des obligations intervenue en 2016, avait résolu ce problème par l’affirmative s’agissant des intérêts. Toutefois, ledit problème demeurait pour les autres accessoires, que ce texte ne visait pas. Le voici donc intégralement résolu à l’occasion de la réforme du droit des sûretés. Celle-ci ne laisse plus aucun doute sur l’étendue de la couverture de la dette garantie dans le cadre d’une subrogation personnelle. En pratique, il ne sera donc plus nécessaire lors d’une subrogation de constituer une hypothèque conventionnelle complémentaire pour englober les accessoires autres que les intérêts. Cette nouveauté va permettre d’alléger les coûts du refinancement.










Le réformateur a également eu la volonté d’unifier les règles entre les sûretés réelles portant sur les biens mobiliers et celles visant les biens immobiliers, en revenant sur la prohibition de consentir une hypothèque sur immeubles futurs (C. civ., art. 2419 ancien), c’est-à-dire sur des immeubles dont le constituant n’a pas encore la propriété. Cette prohibition était d’ailleurs relativisée en jurisprudence par le biais de la promesse d’hypothèque qui n’était cependant créatrice que d’une simple obligation de faire (Civ 3e, 7 janv. 1987, n° 85-10608), et considérablement tempérée par l’article 2420 du Code civil qui prévoyait la possibilité de consentir une hypothèque sur un bien futur dans trois cas, parmi lesquels l’insuffisance ou l’absence de biens présents. Le nouvel article 2414, alinéa 1, du Code civil autorise désormais les hypothèques sur des immeubles futurs. Ce changement est bienvenu puisqu’il va offrir très certainement de nouvelles potentialités pour les professionnels de l’immobilier, en permettant notamment aux bénéficiaires d’une promesse de vente de constituer à l’avance une hypothèque sur un immeuble, objet d’une promesse unilatérale ou synallagmatique de vente, et d’obtenir l’octroi de financements au préalable (v. C. Séjean-Chazal, Cure de jouvence pour l’hypothèque, JCP G 2021, suppl. oct. 2021, p. 40). Pour autant, la réforme encadre l’acte constitutif d’une hypothèque sur bien futur, qui doit  désigner la nature et la situation de l’immeuble visé (C. civ. nouveau art. 2414) pour éviter la constitution de sûretés artificielles et, surtout, pour empêcher l’hypothèque générale sur tout immeuble à venir.

La réforme n’est cependant pas totalement aboutie puisqu’elle n’accorde pas tout à fait à l’hypothèque sur bien futur les mêmes effets que les autres hypothèques. Le réformateur n’a en effet rien prévu quant à la publication de l’hypothèque portant sur un bien futur au moment de sa constitution. Cette convention ne peut être publiée auprès du service de la publicité foncière qu’au moment du transfert de propriété dudit bien, c’est-à-dire au moment où le constituant de l’hypothèque dispose de droits sur l’immeuble. Cette situation est à notre sens potentiellement préjudiciable aux intérêts du bénéficiaire. En effet, la publication est primordiale dès lors qu’elle rend la sûreté opposable aux tiers et permet au bénéficiaire de l’hypothèque de prendre rang vis-à-vis des autres créanciers. Si donc, une fois le constituant devenu propriétaire, un créancier de ce dernier prend une inscription avant que le créancier bénéficiaire de l’hypothèque sur bien futur ne procède à la sienne, le premier l’emportera. Le créancier bénéficiaire de l’hypothèque sur bien futur doit donc se tenir diligemment informé de la date à laquelle le constituant doit devenir propriétaire de l’immeuble en question. En l’état, la consécration de l’hypothèque sur bien futur est donc un peu amoindrie quant à ses effets.

 

 

Une importante évolution concernant le classement

L’ordonnance apporte par ailleurs une meilleure lisibilité des règles en matière de classement des hypothèques. Le nouvel article 2418 du Code civil reprend le principe selon lequel le rang des hypothèques (qu’elles soient légales, judiciaires et conventionnelles) est fixé selon la date de l’inscription, peu important la date de l’acte constitutif, ce qui vaut également, désormais, pour les privilèges immobiliers spéciaux devenus, par l’effet de la réforme, des hypothèques légales spéciales dont l’inscription n’est donc pas rétroactive (v. au sein du présent dossier, B. Evva, L’évolution des privilèges en matière immobilière – p.29). Relevons cependant que la dispense d’inscription du privilège (devenu hypothèque légale) du syndicat des copropriétaires est reconduite (C. civ., art. 2418).

Cela étant précisé, on observe une importante évolution en matière d’hypothèque rechargeable. Le principe selon lequel cette hypothèque prend rang à la date de l’inscription initiale est maintenu (C. civ., art. 2420). Le bénéficiaire de la convention de rechargement primera donc en principe les créanciers inscrits sur l’immeuble postérieurement à l’inscription initiale alors même qu’ils l’ont été antérieurement à la publication de la convention de rechargement. Dans les relations réciproques des créanciers titulaires d’une même hypothèque rechargeable, c’est en revanche la date de publication des conventions de rechargement qui détermine le rang (C. civ., art. 2420). Sur ce point encore, la réforme reprend l’ancienne règle.

Toutefois, prolongeant ladite règle, elle ajoute : « Il en va de même à l’égard des créanciers titulaires d’une hypothèque légale ou judiciaire. » Il en résulte que, vis-à-vis du créancier titulaire d’une hypothèque légale ou judiciaire, le droit conféré par une convention de rechargement prend rang à la date de la publication de cette convention et non à celle de l’inscription initiale. Le réformateur a ainsi choisi de privilégier les créanciers titulaires d’une hypothèque légale ou judiciaire. Si la date d’inscription de leur hypothèque est antérieure à la date de publication de la convention de rechargement, quand bien même l’inscription de l’hypothèque rechargeable initiale serait antérieure à celle de l’hypothèque légale ou judiciaire, cette dernière la primera. En d’autres termes, la « rétroactivité » inhérente à la publication d’une convention de rechargement est partiellement neutralisée à l’égard des créanciers ainsi visés. Par exemple, en l’état d’une inscription initiale prise par A lors de l’année N, suivie de l’inscription d’une hypothèque légale au profit de B l’année N+1, puis de la publication d’une convention de rechargement par A en N+2, B l’emportera sur A. Ce dernier ne pourra pas prétendre que son hypothèque prend rang à la date de l’inscription initiale. Cette règle bénéficiait auparavant seulement au Trésor public et à la Sécurité sociale (C. civ., art. 2425). La réforme la généralise donc au profit de tous les créanciers titulaires d’une hypothèque légale ou judiciaire. La réforme porte encore un coup à l’attractivité de l’hypothèque rechargeable.

C’est un énième rebondissement pour ce nouvel outil consacré en 2006 qui permet au constituant d’affecter l’hypothèque à d’autres créances que celle d’origine par le biais d’une convention de rechargement et qui avait été soudainement supprimé par la loi « Hamon » n° 2014-344 du 17 mars 2014, puis rétabli quelques mois plus tard, pour ensuite être réservé aux seules « fins professionnelles » (C. civ., art. 2422 ancien et 2416 nouveau). Or, l’intérêt de cette hypothèque résidait dans ses modalités d’inscription puisque la date de l’inscription de l’hypothèque et le rang y afférent étaient uniques en dépit des rechargements successifs, sauf entre les créanciers titulaires de la même hypothèque rechargeable. La réforme confirme donc l’appauvrissement de cet outil. Reste à s’interroger sur le plan du droit transitoire. Ainsi, que décider lorsque l’acte constitutif prévoyant la clause de rechargement a été publié antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance, c’est-à-dire avant le 1er janvier 2022, mais que la convention de rechargement a été publiée postérieurement ? La sécurité juridique et le principe de survie de la loi ancienne en matière contractuelle devraient conduire à admettre que la convention de rechargement prend rang à la date de l’inscription initiale. On ne peut toutefois méconnaître que le droit du créancier concurrent n’a pas de nature contractuelle et qu’en outre, le réformateur n’a pas jugé bon de préciser que les sûretés réelles conventionnelles demeuraient soumises à la loi ancienne y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public, alors qu’il l’a fait pour le cautionnement (ord., art. 37).

En conclusion, loin d’une révolution, la « reine des suretés » garde le cap donné en 2006. L’Association Henri Capitant l’avait d’ailleurs d’ores et déjà annoncé : « une réforme qui, sans aucunement révolutionner les choses, ferait du droit français des sûretés un droit conforme aux exigences économiques et sociales de notre temps ». Cette entreprise est opportune, notamment en ce qu’elle diminue l’intensité d’une activité jurisprudentielle parfois aléatoire qui nuit à l’attractivité du droit des sûretés français. Néanmoins, il semble que, pour les hypothèques, elle a accordé peu de place à une réelle innovation. Le temps d’une hypothèque française autonome, c’est-à-dire « détachée des créances à garantir aux stades de [sa] constitution et de l’opposabilité des exceptions, que reconnaissent au contraire plusieurs droits étrangers (allemand et suisse en tête) » (M. Bourassin, Sûretés immobilières : accessoires de la créance et de l’immeuble ? JCP N 2018, 1340), n’est donc pas encore venu. Certains de nos voisins européens bénéficient, en effet, d’un système très attractif pour les créanciers qui ne peuvent subir les effets d’une nullité, d’une diminution ou d’une extinction de la créance garantie du fait de l’absence de leur caractère accessoire. À ce sujet, les réflexions européennes sur une harmonisation législative en matière hypothécaire sur le fondement de la libre circulation des capitaux pourraient devancer le droit français par la création d’une « eurohypothèque », évoquée au Parlement européen lors des questions parlementaires (question écrite P-2289/07 du 27 avril 2007). Affaire à suivre…

 

Sandra Graslin-Latour,

Avocate associée,

Cabinet Racine

 

Aurélie Gueriteau,

Avocate,

Cabinet Racine



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