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Par lettre de mission du 31 mars 2014, l'ancienne Garde des Sceaux Christiane Taubira confiait à Bruno Cotte, Président de Chambre à la Cour pénale Internationale, la présidence d’une commission chargée de rédiger un rapport relatif à la refondation du Droit des peines. Pour la Ministre de la Justice « une remise en ordre s’impose tant ce Droit des peines a fait l’objet de multiples réformes, sans cohérence, et est devenu non seulement pour les justiciables mais également pour les praticiens, particulièrement complexe, parfois contradictoire et pour partie contestable tant au regard des exigences constitutionnelles que conventionnelles ».
Fruit d’un travail collectif (la composition de la commission est publiée dans un encadré page 21), le rapport remis à Christiane Taubira le 18 décembre 2015 est de nature à nourrir des réflexions constructives et respecte les équilibres qui s’imposent dans un Droit des peines rénové. Nous publions ci-dessous quelques extraits du rapport.
Jean-René Tancrède
La loi et, plus que toute autre, la loi pénale doit être claire, prévisible, lisible, accessible à tous. Le justiciable doit connaître ses droits, le Juge doit être en mesure de mettre aisément en œuvre des textes qu’il maîtrise parfaitement et le citoyen doit comprendre les décisions qui sont prises en son nom.
Le Droit des peines satisfait-il actuellement à cette exigence de nature constitutionnelle ? D’évidence non.
Au cours de ces dernières années et souvent à l’occasion de faits divers dramatiques, de nouvelles peines ont été créées, la définition de peines existantes a été modifiée, tout comme les conditions dans lesquelles les peines doivent être mises à exécution ou peuvent être aménagées.
Les textes se sont multipliés voire superposés à un rythme très élevé au risque de devenir parfois redondants. Ils sont actuellement disséminés dans le Code Pénal, le Code de procédure pénale dont le volume comme la complexité ne cessent de croître, la loi pénitentiaire ainsi que dans des textes divers. Trouver, la disposition à appliquer relève parfois d’un véritable jeu de pistes. La trouver dans l’urgence constitue bien souvent un exploit.
La conformité de certaines dispositions aux prescriptions de la convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales et à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg s’avère dans certains cas sujette à discussion. La complexité d’autres textes rend par ailleurs souvent indispensable une interprétation jurisprudentielle que la Cour de cassation, qui intervient au terme de l’exercice des voies de recours, ne peut donner que dans des délais se comptant en mois et parfois en années. Dans un cas comme dans l’autre, la sécurité juridique se trouve affectée ce qui fragilise les procédures et peut inciter à différer l’application de certains textes. Un tel constat est préoccupant.
Mais tout aussi inquiétantes – car elles découlent de ce constat – sont les conditions de plus en plus difficiles dans lesquelles se trouvent contraints de travailler les Juges des formations correctionnelles ui prononcent les peines, les Magistrats des parquets et les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire qui doivent les mettre à exécution, les Juges de l’application des peines et l’ensemble des personnels d’insertion et de probation qui, dans le cadre de procédures de plus en plus complexes, se doivent de les aménager afin que la peine ait un sens, que la fin de peine soit préparée et que la sortie soit, si nécessaire, accompagnée.
La situation des justiciables, en l’occurrence celle des personnes condamnées, et de leurs conseils doit, elle aussi, retenir l’attention car les textes régissant l’exécution de la peine et permettant de se préparer utilement à une sortie donnant à chacun les meilleures chances de réinsertion doivent être accessibles, compréhensibles et constituer le fil Directeur d’un parcours d’exécution des peines utile et personnalisé. Elaborer des textes satisfaisant à cette exigence constitue l’une des conditions d’un retour à la liberté sans risque ou avec le minimum de risques de récidive. C’est tout à la fois participer à la protection de la sécurité publique et se conformer aux objectifs que doit atteindre toute peine privative de liberté, tels que les a énoncés le Conseil constitutionnel (1).
Mettre fin à l’inflation des textes législatifs, retrouver une plus grande cohérence d’ensemble, mettre à la disposition de tous les acteurs de la phase post-sentencielle des textes simples, clairs, précis, et d’application facile tout en veillant à ne pas désarmer l’Etat : tels sont les objectifs à atteindre, dans le souci, commun à tous les responsables, de prévenir la récidive et telle est précisément la demande formulée par Madame la Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, dans sa lettre de mission du 31 mars 2014.
La lettre de mission
Prenant acte de ce que cet impératif de rationalisation du Droit était appelé de leurs vœux par l’ensemble des professionnels du Droit et du monde pénitentiaire, les parlementaires et la communauté universitaire, la lettre de mission invite donc tout d’abord la commission mise en place le 31 mars 2014 à un travail de clarification et de simplification du Droit existant passant éventuellement par une nouvelle codification. C’est ensuite une mission d’évaluation et, le cas échéant, de révision de ce même Droit qu’elle lui demande d’accomplir en recherchant ce qui pourrait simplifier l’architecture des peines et leur régime d’exécution, en s’efforçant de donner une meilleure lisibilité aux procédures d’aménagement de peines, en réexaminant la cohérence et le bien fondé des mesures de sûreté et des peines, en faisant enfin le bilan de la procédure de juridictionnalisation de l’application des peines tout en s’attachant au fonctionnement des juridictions d’application des peines et à la procédure qu’elles mettent en œuvre.
1) Cf. : Cons. constit., 20 janv. 1994, déc. n°93-334 DC à propos de la Loi n°94-89 du 1er février 1994 instituant une peine incompressible et relative au nouveau code pénal et à certaines dispositions de procédure pénale, spéc. consid. n°12 : « Considérant que l’exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l’amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion » : JO 26 janv. 1994; D. 1995, somm. 340, obs. Renoux.
Retrouvez la suite de l’article dans le numéro 7 du Journal Spécial des Sociétés du 27 janvier 2016
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