Sexualité, vie amoureuse et atteinte à la vie privée


lundi 15 février 20217 min
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A l’heure où Twitter, Facebook et autres réseaux sociaux sont tiraillés entre volonté d’assumer (enfin) leurs responsabilités et risque d’ingérence, quels sont les contours de la protection de la vie privée, et en particulier des informations et images intimes sur Internet ?

 

La vie privée : une définition et une double protection civile et pénale

La vie privée est aujourd’hui protégée aussi bien sur le plan du droit civil que sur le plan du droit pénal.

Depuis 1971, l’article 9 du Code civil dispose en effet que « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Toutefois, ce texte a été initialement conçu pour limiter les débordements de la presse dite alors sentimentale (la « presse people » d’aujourd’hui). Sur ce fondement, le juge peut prononcer en urgence différentes mesures d’interdiction pour empêcher la diffusion de journaux.

Si l’acception légale du concept de « vie privée » recouvre les activités et les situations les plus diverses, c’est bien évidemment tout ce qui a trait à la sexualité et à la vie amoureuse qui est le plus fréquemment évoqué dans les prétoires.

Il est notamment interdit de révéler les mœurs intimes d’un individu, ses préférences sexuelles ou l’identité de ses conquêtes.

À titre d’exemple, Max Mosley, ancien président de la Fédération Internationale de l’Automobile, a obtenu, en faisant valoir son droit au respect de sa vie privée, la condamnation de journaux qui avaient publié des photographies le montrant en pleine séance de sadomasochisme.

C’est également sur ce fondement qu’un journaliste a été condamné en 2003, décision confirmée en appel l’année suivante, pour avoir fait allusion à l’homosexualité d’un homme politique dans un journal, réalisant ainsi le premier cas d’outing.

La Cour de cassation a eu à connaître d’un essai dans lequel était évoquée l’homosexualité d’un candidat du Front National (1). Les magistrats ont estimé que « les interrogations de l’auteur sur l’évolution de la doctrine d’un parti politique, présenté comme plutôt homophobe à l’origine, et l’influence que pourrait exercer, à ce titre, l’orientation sexuelle de plusieurs de ses membres dirigeants, relevaient d’un débat d’intérêt général ». Il fallut à cela ajouter que « M. Briois était devenu un membre influent de ce parti dans la région Nord-Pas-de-Calais » pour arrêter la censure qu’avait prononcée les juges de la cour d’appel à l’égard de l’ouvrage.

En revanche, son compagnon « dont la notoriété ne dépasse pas le cadre régional », avait obtenu, dès la première décision rendue dans cette affaire, la suppression des passages le concernant (2).

Plus récemment, une comédienne a assigné la société éditrice d’un site Internet qui avait publié un article intitulé « Dany Boon en couple avec une célèbre actrice » (3). L’article accompagnait une reproduction de la couverture de Voici, comportant une photographie de ladite actrice. Le tribunal, tout en rappelant qu’il lui revient de procéder à une mise en balance entre, d’un côté, le droit à la vie privée et, de l’autre, celui de la liberté d’information, a observé que la réalité de l’atteinte à la vie privée n’était pas contestée.

En effet, il y avait bien violation du droit à l’image de la demanderesse, par la diffusion d’une photographie non autorisée publiée en couverture de Voici et reproduite dans l’article en ligne, et violation de son droit au respect de la vie privée par la révélation de la relation sentimentale qu’elle entretiendrait avec l’acteur. Toutefois, un vrai débat existait quant à l’évaluation du préjudice. Si l’annonce de cette relation avait un caractère intrusif, l’article abordait un ton relativement bienveillant. 5 000 euros avaient été accordés au titre de l’atteinte à la vie privée et au droit à l’image, mais la suppression de l’article n’avait pas été accordée car considérée comme disproportionnée.

 

Ex, vengeance et revenge porn

Le droit français est longtemps resté évasif à propos des agissements entre ex. Suivant une application stricte des textes de lois, la Cour de cassation avait, en 2016, autorisé un ancien partenaire éconduit à publier sur Internet des photos de son ancienne compagne enceinte et nue (4), considérant l’effectivité du consentement de la future mère au moment de la prise de la photographie. Problème : à l’heure de l’expansion des réseaux sociaux, cette décision avait des airs de blanc sein pour le revenge porn.

La pratique dite du revenge porn consiste à diffuser, au vu et au su du plus grand nombre, photos ou vidéos érotiques d’un ancien partenaire, obtenues avec ou sans son consentement lors de la captation ou de l’enregistrement. Sur les réseaux sociaux, cette pratique représente deux risques majeurs pour la victime : la rapidité de la diffusion et la quasi-impossibilité de faire disparaître le contenu humiliant.

La vengeance est alors totale.

Afin de combler ce vide juridique, le législateur est donc intervenu, en 2016, en prenant une loi « pour une République numérique (5) », prévoyant désormais que toute diffusion d’enregistrements à caractère érotique ou pornogr)aphique, sans le consentement de la personne concernée, est passible d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 60 000 euros d’amende selon l’article 226-2-1 du Code pénal.

Ce n’est donc plus le consentement au moment de la captation qui est recherché, mais bien celui pour sa diffusion. C’est l’utilisation dérivée d’une photographie ou d’une vidéo qui est sanctionnée.

Il convient de préciser que le terme de revenge porn est par ailleurs trompeur : en effet, la loi n’impose aucun mobile spécifique, peu importe que le contenu ait été diffusé par vengeance, moqueries ou chantage.

Quant à l’application de cette nouvelle loi, des doutes subsistent. Comment définir le caractère érotique ou pornographique d’une photo ? La photographie d’une femme enceinte nue en revêtirait-elle un ? Est-ce que le corps nu d’une femme (ou d’un homme) serait érotique par nature ?

Le grand écrivain Alain Robbe-Grillet affirmait que « la pornographie, c’est l’érotisme des autres ». Il faudra donc attendre l’interprétation de ce texte par les magistrats pour constater comment ceux-ci ont défini les contours de ce « caractère érotique ou pornographique ».

Enfin, en cas de pédopornographie, nul besoin de s’intéresser à cette question du consentement, que ce soit pour la captation ou la diffusion du contenu. Les mineurs sont protégés par l’article 227-23 du Code pénal qui sanctionne la fixation, l’enregistrement ou la diffusion de telles images ou représentations.

 

Cyber harcèlement et/ou cyber protection ? 

Qui dit développement de la communication numérique dit également hausse des cas de harcèlement en ligne ou « cyber harcèlement ».

Deux hypothèses sont à distinguer : le cyber harcèlement moral et le cyber harcèlement sexuel.

Le cyber harcèlement moral, prévu à l’article 222-33-2-2, 4° du Code pénal, désigne « Le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale » lorsqu’il a été « commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique ».

En outre, quand le cyber harcèlement vise un mineur de quinze ans, les peines sont portées à quatre ans d’emprisonnement et 45 00 euros d’amende (contre un an de prison et 15 000 euros d’amende pour un harcèlement moral « classique »).

Le législateur, en choisissant une telle aggravation des peines quand le cyber harcèlement a pour cible un mineur de quinze ans, démontre une réelle volonté de réprimer durement ces comportements.

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