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Enfermées dans un cercle vicieux entre amendes qu’elles ne peuvent pas payer, allers-retours en prison et appauvrissement qui se creuse, les personnes en grande précarité peuvent difficilement se réinsérer. Trois associations demandent que les politiques publiques s’attaquent aux causes structurelles du sans-abrisme, ce qui permettrait aussi, selon elles, une diminution des coûts injectés dans les politiques « contre-productives ».
En France, une personne sans-abri
peut encourir jusqu’à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende si elle
dort dans un hangar vide, quand 500 euros peuvent être infligés à celle qui
dort dans la rue en Hongrie. En Belgique, s’asseoir dans la rue est passible de
350 euros d’amende et la mendicité au Danemark peut quant à elle être répressible
de 14 jours de prison.
Dans un rapport commun d’Avocat
Sans Frontières, de l’association belge FEANTSA et de la Fondation Abbé-Pierre
intitulé « Sans-abri non coupable : une campagne pour lutter contre
la criminalisation et la stigmatisation des personnes sans-abri », dévoilé
le 19 décembre 2024, les trois organisations formulent un souhait : mettre
fin aux sanctions imposées aux personnes sans-abri et à la stigmatisation dont
elles font l’objet en Europe.
Selon elles, les personnes sans-abri ressentent « une hostilité croissante à leur égard qui se manifeste de
plus en plus concrètement », notamment dans les discours, les
politiques publiques, les lois et les règlements locaux qui qualifient les
comportements liés au sans-abrisme de « troubles à l’ordre public ». Le rapport pointe que « le fait que les délits
de mendicité ou de vagabondage aient été abrogés dans de nombreux pays ne
signifie pas que les personnes sans-abri ne sont plus sanctionnées pour des
comportements qui relèvent de leur simple survie dans l’espace public ».
De nouvelles lois sont même adoptées a posteriori et viennent sanctionner des
comportements de mendicité ou de squat.
La « criminalisation
du sans-abrisme » : un engrenage judiciaire
Des personnes sans-abri avec
très peu voire aucun revenu se retrouvent alors à devoir payer des amendes dont
elles ne peuvent pas s’acquitter, réduisant dans le même temps leurs chances de
pouvoir se loger. Une situation qui les plonge dans un cercle vicieux et une spirale
judiciaire « aux conséquences immédiates et durables pour leur vie et
l’effectivité de leurs droits fondamentaux », soulève le rapport. D’autant
qu’au regard de leur situation, les personnes sans-abri qui ont déjà fait
l’objet d’amende « ne peuvent que récidiver », puisque sans
domicile fixe ou sans revenu, s’exposant ainsi à une accumulation de peines.
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Et, bien que des alternatives
aux amendes ou aux peines de prison soient proposées - comme en Hongrie, pays qui
offre la possibilité de réaliser un travail d’intérêt général à la place -, les
démarches restent trop compliquées et onéreuses pour une personne sans-abri
(coût pour obtenir un certificat médical, impossibilité de donner un numéro de
téléphone, etc.). À la place, elle se résoudra à payer l’amende, parfois majorée.
Dans le cas contraire, c’est la prison qui l’attend.
Le rapport souligne également
la frontière poreuse entre la rue et la prison, avec des allers-retours très
« fréquents » de l’une à l’autre. Des allers-retours qui ne sont
pas sans conséquences pour les personnes en situation de grande précarité, qui
ne peuvent demander de sortie anticipée puisqu’elles ne possèdent pas d’adresse.
Une fois arrivées au bout de leur peine, elles passent de la case prison à la
case rue, non sans effet sur la psyché et les troubles qui peuvent en découler ;
ces mêmes troubles qui isolent ces personnes et qui augmentent leurs risques de
se retrouver en prison. Le rapport démontre, en effet, que les personnes
sans-abri qui souffrent de troubles psychiatriques ont un risque plus élevé
d’être condamnées à une peine de prison, d’après l’étude de 1 650 dossiers
en France. Troubles psychiques qui sont par ailleurs très représentés chez les
personnes en situation de rue.
De plus, ces dernières font
partie des personnes qui ont le moins accès à la justice et qui ne peuvent de
surcroît se défendre (et contester des situations parfois abusives). « Rares
sont celles qui parviennent à faire valoir leurs droits devant les tribunaux et
qui peuvent bénéficier d’un conseil juridique dans de bonnes conditions »,
pointent les associations qui parlent même de « double peine » :
puisque plus susceptibles d’être condamnés, les concernés ne peuvent en plus
pas bénéficier de peines alternatives ou d’aménagements de peines. Une « criminalisation »
qui « entretiennent voire aggravent la vulnérabilité socio-économique
des personnes sans-abri », déplorent les associations, et qui renforce
la difficulté de réinsertion de ces publics.
Les finances publiques, autre
dommage collatéral
Mais ce traitement pénal des
personnes en situation de rue a également un impact sur la société dans son
ensemble, « en donnant une vision biaisée du sans-abrisme et des
solutions à apporter », ainsi que sur les finances publiques. Les politiques
« de criminalisation des personnes sans-abri » induisent en
effet des coûts importants en matière de sécurité, avec la mobilisation des
forces de l’ordre, de la justice, ainsi que les frais liés aux incarcérations.
En Allemagne, 200 millions
d’euros sont consacrés chaque année par le gouvernement à l’application de la
loi sur l’utilisation frauduleuse des services de transports publics. À Genève,
3,2 millions de francs suisses ont été dépensés dans l’application de
l’interdiction de la mendicité, soit un peu plus de 3,4 millions d’euros. Malgré
cette répression, la récidive a toutefois été de mise.
Autant de millions qui
s’ajoutent aux frais engagés pour le social et le sanitaire : « Les
frais induits par une mauvaise prise en charge des personnes concernées sont
importants dans plusieurs domaines », soulève le rapport eu égard à
diverses études.
L’une, menée par l’Université
Aix-Marseille en France dans le cadre du programme « Un Chez Soi d’Abord59 »,
démontre que la prise en charge d’une personne en situation de rue dans ce
programme coûte 14 000 euros. Les dépenses induites par l’utilisation des
structures sanitaires, d’hébergement et de justice par une personne reviennent quant
à elle à 30 000 euros. « Le fait d’être suivi par le programme “Un
chez-soi d’abord” permet de générer des économies par un plus faible recours à
l’ensemble des services d’assistance, et plus particulièrement des
hospitalisations (70 % des coûts évités) et les structures d’hébergement
(30 % des coûts évités) », estiment les associations, qui sont formelles :
« Loger et accompagner les personnes sans-abri reste la politique la
plus efficace, pour la personne et pour la société dans son ensemble ».
Loger plutôt que condamner
Alors, plutôt que de
s’attaquer aux personnes sans abri, les trois associations militent pour que
les politiques publiques, qu’elles qualifient de
« contre-productives », s’attaquent aux causes structurelles du
sans-abrisme en le « décriminalisant », autrement dit en
supprimant les lois qui réglementent les activités essentielles des personnes
sans-abri dans les espaces publics, en éliminant les amendes voire les peines
d’emprisonnement qui en découlent.
Aux « approches
répressives » sont donc plutôt préconisées des interventions sociales,
qui passent notamment par le logement des personnes en situation de grande
précarité. Au titre des dispositifs existants, le « Logement d’abord »
qui offre un relogement rapide ainsi qu’un accompagnement pluridisciplinaire à
l’écoute des besoins. Un programme expérimenté dans quelques pays, parmi
lesquels la Finlande, la France et la Belgique et qui a prouvé son efficacité,
selon le rapport.
Les associations appellent
également à améliorer l’accès aux droits des personnes sans-abri, en
sauvegardant un maximum de guichets d’accès au droit et ainsi éviter le passage
au tout numérique, qui peut également constituer un obstacle. Le monde
associatif préconise aussi le développement des permanences juridiques. La
gratuité des transports en commun pour les plus démunis, repenser les sorties
d’institution (prison ou hôpitaux) ou encore donner plus de poids à la parole
des personnes, notamment dans l’élaboration des politiques publiques, pourraient
également contribuer à leur garantir un avenir plus serein, et à faciliter leur
réinsertion dans la société.
Allison
Vaslin
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