Article précédent

Laurent Gamet, président de la section droit social de la Société de législation comparée, a invité Céline Jaeggy, conseillère pour les affaires sociales à l’Ambassade de France aux États-Unis, à présenter la place des syndicats américains. Cet exposé a montré de nettes divergences avec le paradigme français.
Pour comprendre le paysage syndical aux USA, il faut considérer la mentalité de sa population, qui est très différente de la nôtre. La législation du travail américaine est beaucoup moins interventionniste que la française. Elle reste légère, tant à l’échelle étatique qu’à l’échelle fédérale. Les dirigeants sont majoritairement hostiles au syndicalisme et à la négociation collective, qui n’est pas obligatoire. Il existe un clivage important entre Démocrates et Républicains. Les Républicains estiment que le syndicalisme lié à la grande industrie n’a pas d’avenir dans une économie flexible, alors que pour les Fémocrates, le syndicalisme au contraire contribue utilement à structurer la classe moyenne. Le président Bush, ou sa secrétaire au Travail, n’ont respectivement jamais reçu aucun des dirigeants syndicaux en huit années d’exercice, ni à la Maison-Blanche, ni au ministère du travail. Aux USA, les expressions de « dialogue social » et de « partenaires sociaux » ne sont ni utilisées, ni compréhensibles. Le paritarisme n’existe pas non plus. L’obligation de négocier paraît tout simplement inconcevable.
Les organisations en présence
Les principales organisations d’entreprises ne sont pas, comme en France, des syndicats d’employeurs. Deux grandes entités les représentent. L’une se nomme l’US Chamber of Commerce et compte trois millions d’adhérents, dont 95 % sont des entreprises de moins de cent salariés. L’autre s’appelle la National Association of Manufacturers, et regroupe 14 000 entreprises, dont 80 % de moins de cent salariés, pour un total de 18 millions d’employés. Leur rôle n’a aucun rapport avec celui du MEDEF ou de la CPME.
S’agissant des employés, le taux de syndicalisation moyen est de l’ordre de 10,7 % (35 % dans le public et 6,7 % dans le privé). Ce chiffre place les États-Unis au 29e rang des 36 membres de l’OCDE. Ce taux, en baisse depuis 1983 varie géographiquement. Élevé sur les côtes Est et Pacifique, il se montre très faible dans le Sud (exemples : 25 % à New York et 1,6 % en Caroline du Sud).
Les confédérations prépondérantes se nomment AFL-CIO (American federation of labor-Congress of industrial organizations) et Change to win. AFL-CIO regroupe 56 syndicats, 12,5 millions d’adhérents travaillant notamment dans le secteur public local, l’automobile, les communications, ou encore les industries électriques. 90 % des personnes syndiquées dans le pays le sont via une des organisations affiliées à l’AFL-CIO. Après une scission d’AFL-CIO, Change to win est né en 2005, constitué d’éléments issus des domaines des transports, de l’hôtellerie-restauration, et de l’enseignement.
Il n’y a aucun contact entre organisations d’entreprises et syndicats de salariés. Cela signifie que l’AFL-CIO n’occupe pas une position de représentation collective à l’échelon de l’État fédéral ou à l’échelon national. Elle coordonne et soutient l’activité de ses membres, elle tranche des conflits, elle fait du lobbying auprès du gouvernement fédéral. Contrairement au modèle français, elle ne négocie pas du tout ni avec le patronat, ni avec le gouvernement.
Mise en place et action syndicale
La représentation des syndicats aux États-Unis, là encore, se détermine de façon totalement différente de ce qui se passe en France. Les règles de la syndicalisation définies par le National Labor Relations Act (Wagner act), adopté en 1935, n’ont pratiquement pas changé depuis. Ce texte, contraignant, encadre le système tout en luttant contre les affiliations marxistes et anarchistes très redoutées dans le pays à l'époque de sa rédaction. Conçu après le krach boursier de 1929 et les années de grèves, et de misère qui ont suivi, il vise également à donner du pouvoir d’achat afin de soutenir la reprise économique.
La complexité de la procédure d’accréditation décourage les plus volontaires. Pour qu’un syndicat entre dans une entreprise, il faut au préalable qu’au moins 30 % des salariés d’une unité de négociation (une partie de la société) manifestent par une pétition auprès d’un organisme indépendant, le National Labor Relations Boards (NLRB), la volonté d’être représentés par un syndicat. Lorsque cette pétition est déposée, commence un genre de campagne électorale du syndicat au sein de l’entreprise. L’employeur fait souvent une contre-campagne. Puis se tient un vote à bulletin secret au sein de l’unité de négociation. L’accréditation du syndicat est validée s’il obtient la majorité absolue des suffrages exprimés. Cette procédure donne le monopole de la représentation (union shop) des salariés à un syndicat unique pour négocier une convention collective avec l’employeur. Elle a donné naissance à une profession de consultants (union busters) qui conseillent les dirigeants désireux d’éviter la syndicalisation dans leur société. Arbitrés par le NLRB, les campagnes, très agressives, ne génèrent pas un climat favorable à une collaboration future entre patronat et salariat syndiqué. Régulièrement, les contre-campagnes dissuadent les salariés de se faire représenter. Les conventions collectives prévoient généralement une participation financière obligatoire des salariés pour soutenir les activités du syndicat. En 1947, le Taft-Hartley act a modifié le Wagner act pour ouvrir la possibilité aux états fédérés de décider que les clauses d’adhésion automatique n’étaient pas autorisées (right to work states). Au niveau de ces états (au nombre de 27, soit un peu plus de la moitié du pays), la loi dispose qu’on ne peut pas contraindre les salariés à payer la contribution d’un syndicat, même s’il a été légitimement désigné.
Concernant l’action syndicale, le closed shop, c’est-à-dire le monopole d’embauche par le syndicat, qui a existé, est maintenant interdit. Le droit de grève est restreint. Depuis 1959, le Landrum-Griffin act soumet les activités syndicales à un contrôle du gouvernement fédéral. Il impose la tenue d’élections périodiques à bulletin secret pour déterminer les responsables syndicaux, la remise au ministère du Travail d’un rapport annuel d’activité ainsi que d’un bilan détaillé. Cette loi a été promulguée à la suite du constat d’une corruption intense, de scandales retentissants et de liens avérés des syndicats avec la mafia. Le Landrum-Griffin act constitue la dernière législation sur le sujet.
Quand un syndicat apparaît dans une société, il négocie un accord d’entreprise avec l’employeur. Son contenu n’est pas issu d’un texte de loi, mais relève de choix des parties en présence. Il n’existe pas de statistique nationale sur les accords qui permettrait d’en tirer une analyse.
Aux USA, environ 13 % des salariés sont couverts par un accord d’entreprise (98 % en France). En 30 ans, ce pourcentage a été divisé par deux. C’est là aussi l’un des plus faibles du monde. Précisons que les syndicats ont mauvaise réputation dans le pays, et qu’une proportion non négligeable de salariés ne veut pas que l’évolution de leur salaire dépende d’un accord collectif.
Pourtant, la syndicalisation a bien des effets visibles dans le pays. Une nette différence de traitement des salaires est observée entre les sociétés syndiquées et les autres. Les employés des unes touchent en moyenne 15 à 20 % de plus que les autres à compétence équivalente. De la même façon, la présence d’un syndicat limite les écarts entre rémunérations les plus basses et les plus hautes au sein d’une structure. Quant aux prestations sociales proposées (retraite complémentaire, assurance santé), elles sont également plus élevées avec la présence d’un syndicat.
La négociation de branche n’existe pas juridiquement. Aucun secteur n’a pu l’imposer, hormis le transport et le sport, du fait de leur poids.
Le NRLB r
THÉMATIQUES ASSOCIÉES
Infos locales, analyses et enquêtes : restez informé(e) sans limite.
Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.
0 Commentaire
Laisser un commentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *