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L’EFRAG propose à la
Commission européenne d’imposer un nouveau « reporting de durabilité » aux
grandes entreprises et aux ETI. Une avancée significative dans les pratiques
des métiers du chiffre, mais qui soulève de nombreuses questions, estime
Jean-Jacques Pluchart, professeur émérite à l’Université Paris 1.
Les nouvelles normes
extra-financières publiées le 15 novembre 2022 par le Groupe consultatif
européen sur l'information financière, ou EFRAG (European financial reporting
advisory group) sont une avancée significative dans les pratiques des métiers
du chiffre, mais marquent-elles également un tournant stratégique dans
l’histoire de la comptabilité et du management des entreprises ?
L’EFRAG propose à la Commission
européenne d’imposer un nouveau « reporting
de durabilité » aux grandes entreprises et aux entreprises de taille
intermédiaire. Leurs rapports comporteraient une centaine d’indicateurs
répartis en quatre types de normes environnementales, sociales et de
gouvernance (ESG) – transversales, environnementales, sociales et de
gouvernance – et 13 standards de soutenabilité (ESRS, European sustainability
reporting standards).
Alors que l’Union européenne
s’était alignée sur les standards anglo-saxons de comptabilité financière (IFRS,
International financial reporting standards), le référentiel extra-financier européen
(CSRD, Corporate sustainability reporting directive) se distinguerait des
référentiels américain (RCRD, Rule on climate-related disclosure) et
international (ISSB, International sustainability standards board).
De multiples implications
L’EFRAG préconise ainsi l’application
de la double matérialité, à la fois financière et matérielle, des « impacts,
risques et opportunités » résultant des activités des entreprises,
alors que les référentiels anglo-saxons se limitent aux enjeux financiers.
L’approche européenne comporte
de multiples implications : comment anticiper et mesurer les risques
encourus par l’entreprise et son écosystème ? Comment identifier et
classer les parties prenantes internes et externes incluses dans les chaînes de
création de valeur des entreprises ? Comment cartographier les
interactions entre l’entreprise et ses différentes parties prenantes ?
Comment détecter et pondérer leurs impacts, risques et opportunités ? Comment
présenter avec concision leurs stratégies et leurs modèles d’affaires sans
révéler certains projets ou secrets d’affaires ? Comment définir les rôles
et les responsabilités des différents organes de gouvernance et de direction
impliqués dans la réalisation des 17 objectifs développement durable (ODD)
fixés par les accords de Paris en 2015 ? Comment assurer la traçabilité
des sources et la validité des mesures des impacts globaux et spécifiques,
positifs et négatifs, induits à court, moyen et long termes par les activités
des entreprises et de leurs parties prenantes, dans les périmètres de leurs
écosystèmes ? Quelle métrique adopter afin de rendre les indicateurs robustes
et comparables ? Comment rendre le rapport compréhensible par les
multiples acteurs et observateurs des activités des entreprises ? Comment
rendre comparables les indicateurs entre les entreprises d’un même secteur et/ou
d’un même territoire ? Comment pondérer, agréger et consolider tous
les indicateurs au sein d’un même groupe ?
Mobiliser des experts de
diverses disciplines
La rédaction des rapports de
durabilité conformes à la CSRD, qui vont se substituer aux déclarations de
performance extra-financière (DPEF), soulève des problématiques dont la
résolution exige de mobiliser à la fois des gestionnaires, des comptables, des
financiers, des universitaires et des experts de diverses disciplines, dont la
coordination relève de l’Impact, risk and
opportunities (IRO) management.
Ce nouveau mode de pilotage
stratégique et opérationnel de l’entreprise est encore dans sa phase
d’apprentissage, car ses concepts et ses modèles ne sont pas tous stabilisés et
sa mise en œuvre suscite des débats dans les milieux professionnels et
scientifiques. Les analyses des DPEF des entreprises françaises, réalisées
notamment par l’Autorité des marchés financiers et par les agences de notation
extra-financières, montrent que les données des entreprises ne sont pas
toujours suffisamment tracées, suivies dans le temps et comparables au sein
d’un même secteur d’activité.
Enfin et surtout, l’application
des nouvelles normes CSRD devrait rendre publique la démarche de réflexion
stratégique qui relevait jusqu’à présent des actionnaires et des dirigeants des
entreprises. Cette transparence devrait entraîner la limitation du green and social washing et la révision
de certains paradigmes fondateurs du management.
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