Article précédent

Il
semble évident que le régime juridique traditionnellement applicable est inadapté face aux conséquences des épisodes désormais annuels de sécheresse,
constatent l’avocat Christian Huglo et l’élève-avocat Guillaume Cornu. Mais selon
eux, il convient surtout de changer... le système de production intensif.
L’occupation
du site de Sainte-Soline dans le département des Deux-Sèvres par des
écologistes et les affrontements violents qui se sont ensuivis ont certainement
obscurci le débat sur la légalité des réserves de substitution tant au regard
du droit de l’environnement tel qu’il figure dans le Code de l’environnement, notamment
en ce qui concerne les dispositions consacrées à l’eau[1] que du droit européen
applicable en la matière[2] (lequel n’est d’ailleurs
pas exempt de toutes critiques pour le système français[3]), et surtout aujourd’hui
au regard des perspectives liées à l’accroissement du réchauffement climatique
et à la diminution corrélative du niveau des nappes phréatiques (c’est-à-dire
des nappes d’eau souterraines exploitables).
Il
semble évident que le régime juridique traditionnellement applicable apparait
inadapté face aux conséquences des épisodes désormais annuels de sécheresse.
Le
régime juridique des méga-bassines
Tout d’abord,
rappelons que l’article L. 210-1 du Code de l’environnement dispose que « l'eau
fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur
et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres
naturels, sont d'intérêt général ». En d’autres termes, il fait de
l’eau un bien commun et, selon les perspectives ouvertes par l’article L. 110-1
du même code et celles de la Charte de l’environnement, ou encore, au regard
des valeurs traditionnelles de la République résultant des engagements du droit
constitutionnel, il n'est pas étonnant que le Conseil d’Etat fasse, dans le
domaine du droit de l’eau, application du principe d’égalité (CE, 30 décembre
1998, n° 169361, commune de Gluiras).
Pour
mémoire, une méga-bassine ou réserve de substitution n’est autre qu’une retenue
d’eau définie comme un ouvrage artificiel permettant de substituer des volumes
prélevés à l’étiage par des volumes prélevés en période de hautes eaux. Les
retenues de substitution permettent de stocker l’eau par des prélèvements
anticipés au sein des nappes phréatiques, à condition de ne pas mettre en péril
les équilibres hydrologiques. Certains schémas directeurs d'aménagement
et de gestion des eaux (SDAGE) peuvent définir de façon plus stricte la notion
de retenue de substitution.
Les
SDAGE prennent la forme de plans de gestion des eaux. Ils ont été institués par
la loi sur l’eau de 1992[4] et ont évolué à la suite
de l’adoption de la directive-cadre sur l’eau (DCE) du 23 octobre 2000. Il
s’agit de documents assimilables à des plans qui fixent pour six ans les
orientations qui permettent d'atteindre les objectifs attendus en matière de « bon
état des eaux ». On en dénombre 12, un pour chaque bassin de la France
métropolitaine et d'outre-mer.
Ces
documents sont susceptibles de préciser la définition qu’ils entendent retenir
en faveur de ces retenues. Il convient donc, dans chaque bassin, de s’en
référer à la définition établie par le SDAGE.
Déclinaison
du SDAGE à l’échelle locale, le schéma d’aménagement et de gestion de
l’eau (SAGE) est un outil de planification, également institué par la loi
sur l'eau de 1992, visant la gestion équilibrée et durable de la ressource en
eau. En d’autres termes, il a vocation à concilier la
satisfaction et le développement des différents usages (eau potable,
agriculture...) et la protection des milieux aquatiques, en tenant compte des
spécificités d'un territoire. Son périmètre est défini selon des critères
naturels, il repose sur une démarche volontaire de concertation avec
les acteurs locaux.
L’exploitation
d’une méga-bassine nécessite au préalable de procéder auprès des services
préfectoraux selon les cas, soit une déclaration, soit une autorisation, au
titre du régime juridique des IOTA prévu par le code de l’environnement[5]. Le choix à opérer entre
le régime de la déclaration et de l’autorisation est lié aux dangers et à la
gravité des opérations sur l’eau et les milieux aquatiques.
En
effet, une méga-bassine qui présente des dangers pour la santé et la sécurité
publique nuit au libre écoulement des eaux, réduit la ressource en eau, est à
l’origine d’un accroissement notable du risque d’inondation et peut porter
gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique est
soumise à autorisation. A l’inverse, elle relèvera du régime de la déclaration.
Plusieurs
questions doivent être soulevées pour déterminer la ou les rubriques qui
s’appliquent à un projet donné :
·
quelle est la superficie du plan d’eau
occasionné par la retenue ? (Rubrique 3.2.3.0) ;
·
est-ce que le prélèvement sera effectué dans
une zone de répartition des eaux ? (Rubrique 1.3.1.0) ;
·
comment sera alimentée la retenue ? (rubriques
1.1.1.0 ; 1.1.2.0 ; 1.2.1.0 ; 1.2.2.0) ;
· est-ce que la retenue est située dans le lit
majeur ou mineur d’un cours d’eau ? (rubriques 3.1.1.0 ;
3.1.2.0 ; 3.1.5.0 ; 3.2.2.0) ;
·
quelle sera la hauteur de la retenue et le
volume d’eau stocké ? (Rubrique 3.2.5.0) ;
·
la retenue est-elle située en zone
humide ? (Rubrique 3.3.1.0).
S’agissant
des pièces et informations à fournir dans le cadre de la procédure de
déclaration, elles sont visées à l’article R. 214-32 du Code de
l’environnement. La déclaration doit comprendre les éléments d’identification
du déclarant (nom, adresse, numéro SIRET), l’emplacement de l’installation
projetée, un document du déclarant attestant de la maitrise foncière du lieu
d’implantation du projet, une description du projet ainsi que les rubriques
IOTA dont il relève, un résumé non-technique.
Elle
doit également comprendre un document présentant les raisons pour lesquelles le
projet a été retenu en lieu et place des solutions alternatives, indiquant les
incidences du projet sur la ressource en eau, les milieux aquatiques,
l’écoulement, le niveau et la qualité des eaux, justifiant de la compatibilité
du projet avec le SDAGE, avec les dispositions du plan de gestion des risques
d'inondation[6]
et de sa contribution à la réalisation des objectifs visés à l'article L. 211-1
ainsi que des objectifs de qualité des eaux[7]. De plus, elle doit
comporter l'évaluation des incidences du projet sur un ou plusieurs sites
Natura 2000, préciser les éventuelles mesures d’évitement, de réduction et de
compensation envisagées, comporter, le cas échéant, la demande de prescriptions
spécifiques modifiant certaines prescriptions générales applicables aux IOTA,
et indiquer les moyens de surveillance ou d’évaluation prévus lors des phases
de construction et de fonctionnement.
Par
ailleurs, si une étude d’impact est exigée, celle-ci remplace ce document et en
contient les informations. La demande doit contenir les éléments graphiques du
projet et doit mentionner, le cas échéant, les demandes d’autorisation ou des
déclarations déjà déposées pour le projet.
S’agissant
des pièces et des informations à rassembler dans le cadre d’une demande
d’autorisation[8],
le demandeur doit transmettre ses coordonnées, l’emplacement de son
installation ainsi qu’une description de son projet et les rubriques de la
nomenclature dans lesquelles ils doivent être rangés.
Le
préfet peut également exiger la production des pièces et informations
suivantes, à savoir, la mention du lieu où le projet doit être réalisé ainsi
qu'un plan de situation du projet à l'échelle 1/25 000, ou, à défaut au 1/50
000, indiquant son emplacement, un document attestant que le pétitionnaire
détient la maitrise foncière du terrain, une description de la nature et du
volume de l’installation incluant les moyens de suivi et de surveillance, les
moyens d'intervention en cas d'incident ou d'accident ainsi que les conditions
de remise en état du site après exploitation et, le cas échéant, la nature,
l'origine et le volume des eaux utilisées ou affectées. Elle inclut également,
le cas échéant, les mesures permettant une utilisation efficace, économe et
durable de la ressource en eau notamment par le développement de la
réutilisation des eaux usées traitées et de l'utilisation des eaux de pluie en
remplacement de l'eau potable.
Enfin,
lorsque la demande se rapporte à un projet soumis à évaluation
environnementale, il est impératif de transmettre à l’administration et au
public l'étude d'impact ou l'étude d'incidence environnementale. A l’inverse, si
le projet n'est pas soumis à évaluation environnementale à l'issue de l'examen
au cas par cas, il convient de joindre également les éléments graphiques ainsi
qu’une note de présentation non-technique ou tout autre pièce exigée par le
préfet et dont la production est nécessaire dans le cadre d’une déclaration[9].
En
réalité, compte tenu du caractère conflictuel du sujet, la création d’une
méga-bassine est presque systématiquement attaquée devant le juge administratif
qui exerce dans ce cadre un pouvoir de plein contentieux.
Le
contentieux se résume à un contrôle du juge sur les recours qui lui sont adressés
par des associations et par ceux déposés en général par des syndicats
d’agriculteurs dirigés contre des refus d’autorisation de l’administration.
Les
principales juridictions saisies de cette question sont le tribunal
administratif de Poitiers, la cour administrative d’appel de Bordeaux et bien
entendu, le Conseil d’Etat.
Dès
lors que le seul document de planification existant est un SDAGE, le contrôle
se réduit à un contrôle de compatibilité, mais s’il existe à l’échelle locale
un SAGE compatible avec le SDAGE, le contrôle est un contrôle de conformité.
De ce
fait, l’absence de tout schéma local profite aux porteurs de projet, ce qui est
souvent le cas et ce d’autant plus que le Conseil d’Etat a, dans un arrêt
relativement récent, considérablement réduit le contrôle du juge, puisque le
SDAGE doit se borner à fixer des orientations et des objectifs (même chiffrés),
et que le juge administratif doit rechercher globalement si les dispositions de
l’autorisation ne contrarie pas les objectifs qu'impose le SDAGE, sans
rechercher l'adéquation de l'autorisation au regard chaque disposition ou
objectif particulier[10].
Le
contrôle, sur la forme, porte généralement sur les études d’évaluation
environnementale et les données scientifiques qui composent les dossiers de
demande d’autorisation[11]. Ainsi, la cour
administrative d’appel de Bordeaux, dans un arrêt du 17 mai 2022, applique, sur
le fond, la jurisprudence du Conseil d’Etat. Concernant le mode de calcul des
volumes dont le prélèvement est autorisé par un SAGE, limitant le prélèvement à
80 %, celui-ci doit s’établir en référence au volume disponible la dernière année,
et non en référence à celui calculé sur une moyenne des 5 ou 10 dernières
années ce qui serait beaucoup plus favorable aux pétitionnaires.
A
titre d’illustration, on constate dans la jurisprudence que si cette limite est
inscrite dans un SDAGE et non au sein d’un SAGE et qu’elle n’est prise en
considération que si son importance dans le cas de l’espèce devient
incompatible avec les objectifs globaux préconisés par le SDAGE.
En
définitive, on constate que ce contrôle est bien davantage favorable aux
projets et non à l’environnement. C’est pourquoi il convient à présent d’en
apprécier la pertinence.
Les
critiques à l’égard du système actuel
Les
critiques relatives aux projets et à la création de méga-bassines s’articulent
autour de trois sujets qui sont d’abord des questions de fait et surtout des
critiques relatives à l’organisation du système face aux nouveaux impératifs
qui s’imposent face à la raréfaction de la ressource en eau à la gestion
efficace et équilibrée de cette ressource et au respect du principe d’égalité ;
ensuite, sur les défauts intrinsèques du système et le contrôle opéré par le
juge peu favorable à l’environnement, et enfin, sur la nécessité de rechercher
une méthode adaptée face au réchauffement climatique.
L’un
des principaux inconvénients des méga-bassines réside dans le stockage en
surface de grandes quantités d’eau stagnante, entrainant à la fois un risque de
pollution de cette eau, mais également son évaporation dans un contexte de
canicule, situation devenue désormais banale. Christian Amblard, spécialiste de
l'eau et des systèmes hydrobiologiques, directeur de recherche honoraire au
CNRS, n’a pas manqué de souligner que la perte quantitative d’eau de ces réservoirs
est comprise entre 20 et 60 %[12]. Un autre
inconvénient soulevé tient à la problématique de l’appropriation de cette
ressource au profit de quelques-uns et surtout de certains procédés de cultures
agricoles intensives consommateurs d’eau, au détriment de certains producteurs
et de leurs pratiques agricoles durables. La critique du système porte également
sur son organisation et son fonctionnement.
De
son côté, le rapport de la Cour des Comptes de 2023 est explicite : il
critique la dispersion des responsabilités et le fait qu’un nombre important de
sous-bassins n’ont pas leur SAGE.
THÉMATIQUES ASSOCIÉES
Infos locales, analyses et enquêtes : restez informé(e) sans limite.
Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.
0 Commentaire
Laisser un commentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *