TRIBUNE. Sécheresse : des interrogations sur le régime juridique des méga-bassines


dimanche 13 août 20239 min
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Il semble évident que le régime juridique traditionnellement applicable est inadapté face aux conséquences des épisodes désormais annuels de sécheresse, constatent l’avocat Christian Huglo et l’élève-avocat Guillaume Cornu. Mais selon eux, il convient surtout de changer... le système de production intensif.

L’occupation du site de Sainte-Soline dans le département des Deux-Sèvres par des écologistes et les affrontements violents qui se sont ensuivis ont certainement obscurci le débat sur la légalité des réserves de substitution tant au regard du droit de l’environnement tel qu’il figure dans le Code de l’environnement, notamment en ce qui concerne les dispositions consacrées à l’eau[1] que du droit européen applicable en la matière[2] (lequel n’est d’ailleurs pas exempt de toutes critiques pour le système français[3]), et surtout aujourd’hui au regard des perspectives liées à l’accroissement du réchauffement climatique et à la diminution corrélative du niveau des nappes phréatiques (c’est-à-dire des nappes d’eau souterraines exploitables).

Il semble évident que le régime juridique traditionnellement applicable apparait inadapté face aux conséquences des épisodes désormais annuels de sécheresse.

Le régime juridique des méga-bassines

Tout d’abord, rappelons que l’article L. 210-1 du Code de l’environnement dispose que « l'eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d'intérêt général ». En d’autres termes, il fait de l’eau un bien commun et, selon les perspectives ouvertes par l’article L. 110-1 du même code et celles de la Charte de l’environnement, ou encore, au regard des valeurs traditionnelles de la République résultant des engagements du droit constitutionnel, il n'est pas étonnant que le Conseil d’Etat fasse, dans le domaine du droit de l’eau, application du principe d’égalité (CE, 30 décembre 1998, n° 169361, commune de Gluiras).

Pour mémoire, une méga-bassine ou réserve de substitution n’est autre qu’une retenue d’eau définie comme un ouvrage artificiel permettant de substituer des volumes prélevés à l’étiage par des volumes prélevés en période de hautes eaux. Les retenues de substitution permettent de stocker l’eau par des prélèvements anticipés au sein des nappes phréatiques, à condition de ne pas mettre en péril les équilibres hydrologiques. Certains schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) peuvent définir de façon plus stricte la notion de retenue de substitution.

Les SDAGE prennent la forme de plans de gestion des eaux. Ils ont été institués par la loi sur l’eau de 1992[4] et ont évolué à la suite de l’adoption de la directive-cadre sur l’eau (DCE) du 23 octobre 2000. Il s’agit de documents assimilables à des plans qui fixent pour six ans les orientations qui permettent d'atteindre les objectifs attendus en matière de « bon état des eaux ». On en dénombre 12, un pour chaque bassin de la France métropolitaine et d'outre-mer.

Ces documents sont susceptibles de préciser la définition qu’ils entendent retenir en faveur de ces retenues. Il convient donc, dans chaque bassin, de s’en référer à la définition établie par le SDAGE.

Déclinaison du SDAGE à l’échelle locale, le schéma d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE) est un outil de planification, également institué par la loi sur l'eau de 1992, visant la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau. En d’autres termes, il a vocation à concilier la satisfaction et le développement des différents usages (eau potable, agriculture...) et la protection des milieux aquatiques, en tenant compte des spécificités d'un territoire. Son périmètre est défini selon des critères naturels, il repose sur une démarche volontaire de concertation avec les acteurs locaux.

L’exploitation d’une méga-bassine nécessite au préalable de procéder auprès des services préfectoraux selon les cas, soit une déclaration, soit une autorisation, au titre du régime juridique des IOTA prévu par le code de l’environnement[5]. Le choix à opérer entre le régime de la déclaration et de l’autorisation est lié aux dangers et à la gravité des opérations sur l’eau et les milieux aquatiques.

En effet, une méga-bassine qui présente des dangers pour la santé et la sécurité publique nuit au libre écoulement des eaux, réduit la ressource en eau, est à l’origine d’un accroissement notable du risque d’inondation et peut porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique est soumise à autorisation. A l’inverse, elle relèvera du régime de la déclaration.

Plusieurs questions doivent être soulevées pour déterminer la ou les rubriques qui s’appliquent à un projet donné :

·        quelle est la superficie du plan d’eau occasionné par la retenue ? (Rubrique 3.2.3.0) ;

·        est-ce que le prélèvement sera effectué dans une zone de répartition des eaux ? (Rubrique 1.3.1.0) ;

·        comment sera alimentée la retenue ? (rubriques 1.1.1.0 ; 1.1.2.0 ; 1.2.1.0 ; 1.2.2.0) ;

·   est-ce que la retenue est située dans le lit majeur ou mineur d’un cours d’eau ? (rubriques 3.1.1.0 ; 3.1.2.0 ; 3.1.5.0 ; 3.2.2.0) ;

·        quelle sera la hauteur de la retenue et le volume d’eau stocké ? (Rubrique 3.2.5.0) ;

·        la retenue est-elle située en zone humide ? (Rubrique 3.3.1.0).

S’agissant des pièces et informations à fournir dans le cadre de la procédure de déclaration, elles sont visées à l’article R. 214-32 du Code de l’environnement. La déclaration doit comprendre les éléments d’identification du déclarant (nom, adresse, numéro SIRET), l’emplacement de l’installation projetée, un document du déclarant attestant de la maitrise foncière du lieu d’implantation du projet, une description du projet ainsi que les rubriques IOTA dont il relève, un résumé non-technique.

Elle doit également comprendre un document présentant les raisons pour lesquelles le projet a été retenu en lieu et place des solutions alternatives, indiquant les incidences du projet sur la ressource en eau, les milieux aquatiques, l’écoulement, le niveau et la qualité des eaux, justifiant de la compatibilité du projet avec le SDAGE, avec les dispositions du plan de gestion des risques d'inondation[6] et de sa contribution à la réalisation des objectifs visés à l'article L. 211-1 ainsi que des objectifs de qualité des eaux[7]. De plus, elle doit comporter l'évaluation des incidences du projet sur un ou plusieurs sites Natura 2000, préciser les éventuelles mesures d’évitement, de réduction et de compensation envisagées, comporter, le cas échéant, la demande de prescriptions spécifiques modifiant certaines prescriptions générales applicables aux IOTA, et indiquer les moyens de surveillance ou d’évaluation prévus lors des phases de construction et de fonctionnement.

Par ailleurs, si une étude d’impact est exigée, celle-ci remplace ce document et en contient les informations. La demande doit contenir les éléments graphiques du projet et doit mentionner, le cas échéant, les demandes d’autorisation ou des déclarations déjà déposées pour le projet.

S’agissant des pièces et des informations à rassembler dans le cadre d’une demande d’autorisation[8], le demandeur doit transmettre ses coordonnées, l’emplacement de son installation ainsi qu’une description de son projet et les rubriques de la nomenclature dans lesquelles ils doivent être rangés.

Le préfet peut également exiger la production des pièces et informations suivantes, à savoir, la mention du lieu où le projet doit être réalisé ainsi qu'un plan de situation du projet à l'échelle 1/25 000, ou, à défaut au 1/50 000, indiquant son emplacement, un document attestant que le pétitionnaire détient la maitrise foncière du terrain, une description de la nature et du volume de l’installation incluant les moyens de suivi et de surveillance, les moyens d'intervention en cas d'incident ou d'accident ainsi que les conditions de remise en état du site après exploitation et, le cas échéant, la nature, l'origine et le volume des eaux utilisées ou affectées. Elle inclut également, le cas échéant, les mesures permettant une utilisation efficace, économe et durable de la ressource en eau notamment par le développement de la réutilisation des eaux usées traitées et de l'utilisation des eaux de pluie en remplacement de l'eau potable.

Enfin, lorsque la demande se rapporte à un projet soumis à évaluation environnementale, il est impératif de transmettre à l’administration et au public l'étude d'impact ou l'étude d'incidence environnementale. A l’inverse, si le projet n'est pas soumis à évaluation environnementale à l'issue de l'examen au cas par cas, il convient de joindre également les éléments graphiques ainsi qu’une note de présentation non-technique ou tout autre pièce exigée par le préfet et dont la production est nécessaire dans le cadre d’une déclaration[9].

En réalité, compte tenu du caractère conflictuel du sujet, la création d’une méga-bassine est presque systématiquement attaquée devant le juge administratif qui exerce dans ce cadre un pouvoir de plein contentieux.

Le contentieux se résume à un contrôle du juge sur les recours qui lui sont adressés par des associations et par ceux déposés en général par des syndicats d’agriculteurs dirigés contre des refus d’autorisation de l’administration.

Les principales juridictions saisies de cette question sont le tribunal administratif de Poitiers, la cour administrative d’appel de Bordeaux et bien entendu, le Conseil d’Etat.

Dès lors que le seul document de planification existant est un SDAGE, le contrôle se réduit à un contrôle de compatibilité, mais s’il existe à l’échelle locale un SAGE compatible avec le SDAGE, le contrôle est un contrôle de conformité.

De ce fait, l’absence de tout schéma local profite aux porteurs de projet, ce qui est souvent le cas et ce d’autant plus que le Conseil d’Etat a, dans un arrêt relativement récent, considérablement réduit le contrôle du juge, puisque le SDAGE doit se borner à fixer des orientations et des objectifs (même chiffrés), et que le juge administratif doit rechercher globalement si les dispositions de l’autorisation ne contrarie pas les objectifs qu'impose le SDAGE, sans rechercher l'adéquation de l'autorisation au regard chaque disposition ou objectif particulier[10].

Le contrôle, sur la forme, porte généralement sur les études d’évaluation environnementale et les données scientifiques qui composent les dossiers de demande d’autorisation[11]. Ainsi, la cour administrative d’appel de Bordeaux, dans un arrêt du 17 mai 2022, applique, sur le fond, la jurisprudence du Conseil d’Etat. Concernant le mode de calcul des volumes dont le prélèvement est autorisé par un SAGE, limitant le prélèvement à 80 %, celui-ci doit s’établir en référence au volume disponible la dernière année, et non en référence à celui calculé sur une moyenne des 5 ou 10 dernières années ce qui serait beaucoup plus favorable aux pétitionnaires.

A titre d’illustration, on constate dans la jurisprudence que si cette limite est inscrite dans un SDAGE et non au sein d’un SAGE et qu’elle n’est prise en considération que si son importance dans le cas de l’espèce devient incompatible avec les objectifs globaux préconisés par le SDAGE.

En définitive, on constate que ce contrôle est bien davantage favorable aux projets et non à l’environnement. C’est pourquoi il convient à présent d’en apprécier la pertinence.

Les critiques à l’égard du système actuel

 

Les critiques relatives aux projets et à la création de méga-bassines s’articulent autour de trois sujets qui sont d’abord des questions de fait et surtout des critiques relatives à l’organisation du système face aux nouveaux impératifs qui s’imposent face à la raréfaction de la ressource en eau à la gestion efficace et équilibrée de cette ressource et au respect du principe d’égalité ; ensuite, sur les défauts intrinsèques du système et le contrôle opéré par le juge peu favorable à l’environnement, et enfin, sur la nécessité de rechercher une méthode adaptée face au réchauffement climatique.

L’un des principaux inconvénients des méga-bassines réside dans le stockage en surface de grandes quantités d’eau stagnante, entrainant à la fois un risque de pollution de cette eau, mais également son évaporation dans un contexte de canicule, situation devenue désormais banale. Christian Amblard, spécialiste de l'eau et des systèmes hydrobiologiques, directeur de recherche honoraire au CNRS, n’a pas manqué de souligner que la perte quantitative d’eau de ces réservoirs est comprise entre 20 et 60 %[12]. Un autre inconvénient soulevé tient à la problématique de l’appropriation de cette ressource au profit de quelques-uns et surtout de certains procédés de cultures agricoles intensives consommateurs d’eau, au détriment de certains producteurs et de leurs pratiques agricoles durables. La critique du système porte également sur son organisation et son fonctionnement.

De son côté, le rapport de la Cour des Comptes de 2023 est explicite : il critique la dispersion des responsabilités et le fait qu’un nombre important de sous-bassins n’ont pas leur SAGE.

Par ailleurs, la doctrine, dans un article

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