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Bien
que les hypothèses de responsabilité pénale ne soient pas à exclure, les
responsabilités liées à la réalisation d’un tatouage sont essentiellement
traitées sur le terrain civil et plus particulièrement sur celui de la
responsabilité contractuelle[1]. En effet, dès lors que le tatouage est réalisé à
l’occasion d’un contrat, la victime pourra engager la responsabilité du
tatoueur sur le fondement des articles 1231 à 1231-7 du Code civil afin
d’obtenir la réparation des dommages qui lui ont été causés.
Puisque
la mise en jeu de la responsabilité contractuelle est conditionnée par
l’inexécution d’une obligation, il convient au préalable d’identifier les
obligations que le contrat d’entreprise conclu entre le tatoueur et son client
a fait naître.
Obligation
principale
L’obligation
principale du professionnel est l’obligation d’accomplir la prestation
promise : réaliser le tatouage. Tout d’abord, si le tatoueur s’y refuse,
il devra indemniser le client. Rappelons que la responsabilité est même la
seule sanction qui pourrait être prononcée dans ce cas. En effet, dans la
fameuse affaire Whistler, la Cour de cassation a jugé qu’il n’était pas
possible de contraindre un peintre à exécuter en nature le contrat de commande.
Les qualités irréductiblement individuelles de l’artiste
étant en jeu, l’usage de la force pourrait porter atteinte à ses libertés
individuelles ce qui n’est pas tolérable[2]. Ensuite, si le tatouage réalisé ne donne pas satisfaction au client, ce
dernier pourrait souhaiter engager la responsabilité du tatoueur. Pour
déterminer à quelles conditions, il convient préalablement de déterminer si
l’obligation principale du tatoueur est une obligation de résultat ou une
obligation de moyens. Rappelons qu’en
présence d’une obligation de résultat, le débiteur s’obligeant à fournir
un résultat au créancier, le seul fait de ne pas y parvenir suffit
à engager sa responsabilité. En revanche, en présence d’une
obligation de moyens, le créancier est tenu d’établir une faute du débiteur.
L’obligation du tatoueur doit, semble-t-il recevoir la qualification
d’obligation de moyens[3]. Les rares arrêts qui se prononcent sur la question
évoquent en effet les fautes dont se prévaut le client dans l’exécution du
contrat de prestation de service[4].
Un
aléa dans la réalisation de la prestation existe : le tatouage étant porté sur
la peau du client, il n’est pas possible de garantir le résultat du fait de la
réaction possible du support. Le créancier devra donc prouver une faute qui
peut tenir au non-respect des règles de l’art ou encore à l’absence de
conformité avec le modèle proposé par le client.
Obligations
accessoires
Des obligations
accessoires d’information et de sécurité pèsent également sur le professionnel
et peuvent donner lieu à la mise en jeu de sa responsabilité lorsqu’elles sont
méconnues. L’obligation d’information est expressément prévue par le
législateur à l’article R. 1311-12 du Code de la santé
publique. Cet article, issu du décret n° 2008-149 du 19 février 2008 fixant les
conditions d’hygiène et de salubrité relatives aux pratiques du tatouage avec
effraction cutanée et du perçage, prévoit que les professionnels « informent
leurs clients, avant qu’ils se soumettent à ces techniques, des risques
auxquels ils s’exposent et, après la réalisation de ces techniques, des
précautions à respecter ». L’information doit être affichée de manière
visible dans le local où ces techniques sont pratiquées et doit être remise par
écrit aux clients. Le contenu de cette information est fixé par
l’article 2 de l’arrêté du 3 décembre 2008 et porte sur le caractère
irréversible des tatouages impliquant une modification corporelle définitive,
le caractère éventuellement douloureux des actes, les risques d’infections, les
risques allergiques notamment liés aux encres de tatouage, les recherches de
contre-indications au geste liées au terrain ou aux traitements en cours, le
temps de cicatrisation adapté à la technique qui a été mise en œuvre et les
risques cicatriciels et les précautions à respecter après la réalisation des
techniques, notamment pour permettre une cicatrisation rapide.
L’obligation de sécurité
porte, quant à elle, sur la sécurité
corporelle des personnes. Son inexécution pourra se révéler en cas de non-respect des règles d’hygiène et de salubrité,
telles que l’absence de désinfection de la partie de la peau qui va recevoir le
tatouage et l’absence de stérilisation de l’aiguille. À cet égard, il convient
de préciser que si l’activité de tatoueur n’est pas une activité réglementée
dont la création nécessiterait la réussite à un diplôme et l’inscription à un
ordre quelconque[5],
une formation aux conditions d’hygiène et de salubrité doit être suivie par le
professionnel comme en dispose l’article R. 1311-3 du Code de la santé
publique. Cette formation porte notamment sur les règles d’hygiène, sur les
risques allergiques et infectieux et sur la stérilisation et la désinfection[6].
Outre un fait générateur, la responsabilité est encore conditionnée par
l’existence d’un préjudice.
Trois
types de préjudices peuvent être éprouvés par le client : un préjudice
matériel, un préjudice corporel et un préjudice moral. Le préjudice matériel
consiste en une atteinte à son patrimoine. Il s’agit notamment des frais
exposés pour reprendre le tatouage mal exécuté, pour le terminer ou encore des
frais médicaux engagés pour se soigner. Le
préjudice corporel est, quant à lui, caractérisé en présence d’une atteinte au
corps humain, telles que des réactions allergiques et les blessures provoquées
par l’aiguille. Enfin, le préjudice moral est constitué par
toute atteinte aux sentiments. Il recouvre le préjudice esthétique, ou
souffrance morale éprouvée par la victime du fait de l’atteinte à son
apparence, et les souffrances endurées ou pretium doloris qui
comprennent l’ensemble des souffrances morales et physiques subies par la
victime du fait de l’atteinte à son intégrité physique[7].
Le tatoueur pourra
tenter de s’exonérer en invoquant une faute de la victime. Il sera
partiellement exonéré s’il établit que son client n’a pas respecté
certaines précautions pour éviter le dommage (application de
produits, non-exposition au soleil…). En revanche, conformément à une
jurisprudence constante, il ne sera pas tenu compte de ses prédispositions
pathologiques pour réduire son droit à réparation.
La souscription d’une
assurance responsabilité civile professionnelle peut s’avérer judicieuse afin de
couvrir les dommages que le tatoueur pourrait causer dans le cadre de l’exercice de son activité professionnelle.
Enfin,
le dommage peut être lié aux produits de tatouage. Ces produits font l’objet
d’une réglementation spécifique prévue par le Code de la santé publique[8] qui
concerne notamment leur mise sur le marché et impose l’identification de la personne responsable de la mise sur le marché du
produit. S’il s’avère que le dommage causé à la victime est lié à la
défectuosité du produit, par exemple de l’encre utilisée, la victime pourra agir sur le terrain de la
responsabilité du fait des produits défectueux. Toutefois, pour que l’action
aboutisse, le tatoué devra démontrer que le produit présente un défaut. Selon
l’article 1245-3 du Code civil, un produit est défectueux lorsqu’ « il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut
légitimement s’attendre ». Dans ce cas,
l’action sera dirigée contre le producteur de l’encre. La responsabilité incombe en effet par principe au producteur du produit lequel peut d’ailleurs, dans certaines hypothèses,
encourir des sanctions pénales[9]. Le tatoueur, utilisateur de l’encre défectueuse, ne
répond pas du défaut sur le fondement de la responsabilité du fait des produits
défectueux. Il pourrait néanmoins en répondre sur un autre
fondement[10] et
notamment sur le terrain de la méconnaissance de son obligation de sécurité.
[1] V. CA Besançon, 1re ch. civ. et com., 22 juin 2021,
n° 19/01626 ; v. aussi, à propos d’un « détatouage », CA Paris,
Pôle 2, ch. 2, 12 mars 2020, n° 18/18797.
[2] Civ., 14 mars 1900 Whistler, DP 1900, p. 497, note M. Planiol ;
sur cet arrêt, Fr. Duret-Robert, Droit du marché de l’art, 7e éd.,
Dalloz, 2020-2021, n° 616.22.
[3] V. aussi, H. Khalife, « La nature du contrat de
tatouage », in Le tatouage & les
modifications corporelles saisis par le droit, sous la direction de M.
Jaoul et D. Tharaud, Editions l’Epitoge, 2020, p. 93.
[4] CA Besançon, 1re ch. civ. et com., 22 juin
2021, précit.
[5] V. B. Pitcho, « La médecine tuera-t-elle le tatouage ?
Quelques réflexions sur l’accaparement possible du tatouage par le champ
sanitaire », in Le tatouage & les modifications corporelles
saisis par le droit, ouvr. précit., p. 170.
[6] Arrêté 12 déc. 2008.
[7] Si les actions se prescrivent par 5 ans, il n’en va pas de même de
celle qui tend à obtenir réparation du préjudice corporel qui se prescrit par 10 ans en vertu de l’article 2226
du Code civil.
[8] Art. L. 513-10-1 à L. 513-10-10, CSP.
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