Tatouage : quelle responsabilité pour le tatoueur ?


mercredi 2 février 20226 min
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Bien que les hypothèses de responsabilité pénale ne soient pas à exclure, les responsabilités liées à la réalisation d’un tatouage sont essentiellement traitées sur le terrain civil et plus particulièrement sur celui de la responsabilité contractuelle[1]. En effet, dès lors que le tatouage est réalisé à l’occasion d’un contrat, la victime pourra engager la responsabilité du tatoueur sur le fondement des articles 1231 à 1231-7 du Code civil afin d’obtenir la réparation des dommages qui lui ont été causés.

 

Puisque la mise en jeu de la responsabilité contractuelle est conditionnée par l’inexécution d’une obligation, il convient au préalable d’identifier les obligations que le contrat d’entreprise conclu entre le tatoueur et son client a fait naître.

 

 

 


Obligation principale

 

L’obligation principale du professionnel est l’obligation d’accomplir la prestation promise : réaliser le tatouage. Tout d’abord, si le tatoueur s’y refuse, il devra indemniser le client. Rappelons que la responsabilité est même la seule sanction qui pourrait être prononcée dans ce cas. En effet, dans la fameuse affaire Whistler, la Cour de cassation a jugé qu’il n’était pas possible de contraindre un peintre à exécuter en nature le contrat de commande. Les qualités irréductiblement individuelles de l’artiste étant en jeu, l’usage de la force pourrait porter atteinte à ses libertés individuelles ce qui n’est pas tolérable[2]Ensuite, si le tatouage réalisé ne donne pas satisfaction au client, ce dernier pourrait souhaiter engager la responsabilité du tatoueur. Pour déterminer à quelles conditions, il convient préalablement de déterminer si l’obligation principale du tatoueur est une obligation de résultat ou une obligation de moyens. Rappelons qu’en présence d’une obligation de résultat, le débiteur s’obligeant à fournir un résultat au créancier, le seul fait de ne pas y parvenir suffit à engager sa responsabilité. En revanche, en présence d’une obligation de moyens, le créancier est tenu d’établir une faute du débiteur. L’obligation du tatoueur doit, semble-t-il recevoir la qualification d’obligation de moyens[3]. Les rares arrêts qui se prononcent sur la question évoquent en effet les fautes dont se prévaut le client dans l’exécution du contrat de prestation de service[4].

 

Un aléa dans la réalisation de la prestation existe : le tatouage étant porté sur la peau du client, il n’est pas possible de garantir le résultat du fait de la réaction possible du support. Le créancier devra donc prouver une faute qui peut tenir au non-respect des règles de l’art ou encore à l’absence de conformité avec le modèle proposé par le client.

 

 


 

Obligations accessoires

 

Des obligations accessoires d’information et de sécurité pèsent également sur le professionnel et peuvent donner lieu à la mise en jeu de sa responsabilité lorsqu’elles sont méconnues. L’obligation d’information est expressément prévue par le législateur à l’article R. 1311-12 du Code de la santé publique. Cet article, issu du décret n° 2008-149 du 19 février 2008 fixant les conditions d’hygiène et de salubrité relatives aux pratiques du tatouage avec effraction cutanée et du perçage, prévoit que les professionnels « informent leurs clients, avant qu’ils se soumettent à ces techniques, des risques auxquels ils s’exposent et, après la réalisation de ces techniques, des précautions à respecter ». L’information doit être affichée de manière visible dans le local où ces techniques sont pratiquées et doit être remise par écrit aux clients. Le contenu de cette information est fixé par l’article 2 de l’arrêté du 3 décembre 2008 et porte sur le caractère irréversible des tatouages impliquant une modification corporelle définitive, le caractère éventuellement douloureux des actes, les risques d’infections, les risques allergiques notamment liés aux encres de tatouage, les recherches de contre-indications au geste liées au terrain ou aux traitements en cours, le temps de cicatrisation adapté à la technique qui a été mise en œuvre et les risques cicatriciels et les précautions à respecter après la réalisation des techniques, notamment pour permettre une cicatrisation rapide.

 

L’obligation de sécurité porte, quant à elle, sur la sécurité corporelle des personnes. Son inexécution pourra se révéler en cas de non-respect des règles d’hygiène et de salubrité, telles que l’absence de désinfection de la partie de la peau qui va recevoir le tatouage et l’absence de stérilisation de l’aiguille. À cet égard, il convient de préciser que si l’activité de tatoueur n’est pas une activité réglementée dont la création nécessiterait la réussite à un diplôme et l’inscription à un ordre quelconque[5], une formation aux conditions d’hygiène et de salubrité doit être suivie par le professionnel comme en dispose l’article R. 1311-3 du Code de la santé publique. Cette formation porte notamment sur les règles d’hygiène, sur les risques allergiques et infectieux et sur la stérilisation et la désinfection[6]. Outre un fait générateur, la responsabilité est encore conditionnée par l’existence d’un préjudice.

 

Trois types de préjudices peuvent être éprouvés par le client : un préjudice matériel, un préjudice corporel et un préjudice moral. Le préjudice matériel consiste en une atteinte à son patrimoine. Il s’agit notamment des frais exposés pour reprendre le tatouage mal exécuté, pour le terminer ou encore des frais médicaux engagés pour se soigner. Le préjudice corporel est, quant à lui, caractérisé en présence d’une atteinte au corps humain, telles que des réactions allergiques et les blessures provoquées par l’aiguille. Enfin, le préjudice moral est constitué par toute atteinte aux sentiments. Il recouvre le préjudice esthétique, ou souffrance morale éprouvée par la victime du fait de l’atteinte à son apparence, et les souffrances endurées ou pretium doloris qui comprennent l’ensemble des souffrances morales et physiques subies par la victime du fait de l’atteinte à son intégrité physique[7].

 

Le tatoueur pourra tenter de s’exonérer en invoquant une faute de la victime. Il sera partiellement exonéré s’il établit que son client n’a pas respecté certaines précautions pour éviter le dommage (application de produits, non-exposition au soleil…). En revanche, conformément à une jurisprudence constante, il ne sera pas tenu compte de ses prédispositions pathologiques pour réduire son droit à réparation.

 

La souscription d’une assurance responsabilité civile professionnelle peut s’avérer judicieuse afin de couvrir les dommages que le tatoueur pourrait causer dans le cadre de l’exercice de son activité professionnelle.

 

Enfin, le dommage peut être lié aux produits de tatouage. Ces produits font l’objet d’une réglementation spécifique prévue par le Code de la santé publique[8] qui concerne notamment leur mise sur le marché et impose l’identification de la personne responsable de la mise sur le marché du produit. S’il s’avère que le dommage causé à la victime est lié à la défectuosité du produit, par exemple de l’encre utilisée, la victime pourra agir sur le terrain de la responsabilité du fait des produits défectueux. Toutefois, pour que l’action aboutisse, le tatoué devra démontrer que le produit présente un défaut. Selon l’article 1245-3 du Code civil, un produit est défectueux lorsqu’ « il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre ». Dans ce cas, l’action sera dirigée contre le producteur de l’encre. La responsabilité incombe en effet par principe au producteur du produit lequel peut d’ailleurs, dans certaines hypothèses, encourir des sanctions pénales[9]Le tatoueur, utilisateur de l’encre défectueuse, ne répond pas du défaut sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux. Il pourrait néanmoins en répondre sur un autre fondement[10] et notamment sur le terrain de la méconnaissance de son obligation de sécurité.

 

 

[1] V. CA Besançon, 1re ch. civ. et com., 22 juin 2021, n° 19/01626 ; v. aussi, à propos d’un « détatouage », CA Paris, Pôle 2, ch. 2, 12 mars 2020, n° 18/18797.

[2] Civ., 14 mars 1900 Whistler, DP 1900, p. 497, note M. Planiol ; sur cet arrêt, Fr. Duret-Robert, Droit du marché de l’art, 7e éd., Dalloz, 2020-2021, n° 616.22.

[3] V. aussi, H. Khalife, « La nature du contrat de tatouage », in Le tatouage & les modifications corporelles saisis par le droit, sous la direction de M. Jaoul et D. Tharaud, Editions l’Epitoge, 2020, p. 93.

[4] CA Besançon, 1re ch. civ. et com., 22 juin 2021, précit.

[5] V. B. Pitcho, « La médecine tuera-t-elle le tatouage ? Quelques réflexions sur l’accaparement possible du tatouage par le champ sanitaire », in Le tatouage & les modifications corporelles saisis par le droitouvr. précit., p. 170.

[6] Arrêté 12 déc. 2008.

[7] Si les actions se prescrivent par 5 ans, il n’en va pas de même de celle qui tend à obtenir réparation du préjudice corporel qui se prescrit par 10 ans en vertu de l’article 2226 du Code civil.

[8] Art. L. 513-10-1 à L. 513-10-10, CSP.

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