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Pour son 25e anniversaire, le Club du Châtelet des Notaires du Grand Paris, en partenariat avec Radio classique, a invité l’écologiste Yann Arthus-Bertrand à venir s’exprimer sur le thème : « Une terre en héritage... et après ? » L’occasion pour le photographe-reporter de présenter son dernier film « Legacy, notre héritage », mais aussi pour le président du Club du Châtelet, Jean-François Sagaut, de louer les mérites d’une profession pour qui l’héritage et la transmission sont également au cœur des préoccupations.
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Yann Arthus-Bertrand est notamment connu du grand public pour son livre La Terre vue du ciel devenu un best-seller mondial en 1999, et pour son documentaire Home produit par Luc Besson en 2009, qui dénonce la pression que l'homme fait subir à l'environnement et les conséquences que cela entraîne sur le changement climatique.
Très engagé dans des causes écologiques, en 2005, Yann Arthus-Bertrand fonde GoodPlanet, une fondation reconnue d’utilité publique qui a pour mission de sensibiliser les populations à la protection de l’environnement.
Incontestablement admiré par certains, ce fils d’orfèvres riches et renommés a cependant parfois été critiqué pour son double langage en matière d’écologie du fait de son association avec les plus grands groupes du capitalisme mondial (Suez, Total, L’Oréal, etc.), son rôle de photographe pour le Paris-Dakar pendant dix ans, son utilisation très régulière – dans le passé – de l'hélicoptère (pas du tout écologique) pour faire ses reportages, et ses leçons d’agriculture qui passent parfois mal auprès des professionnels (1) (le photographe n’ayant jamais labouré de sa vie). Son soutien à la Coupe du monde de football de 2022 au Qatar a également été critiqué du fait de l'impact environnemental de celle-ci et du nombre de morts sur les chantiers, certains faisant le lien entre ce soutien et l'aide financière de la Fondation du Qatar à la production du film Home en 2009.
Il convient cependant de séparer l’homme des valeurs et ambitions qu’il prône (« nous sommes pleins de contradictions » comme il l’a dit lui-même lors de cet événement). Certaines d’entre elles sont, à n’en pas douter, à cultiver d’urgence pour un monde meilleur.
À l’occasion des 25 ans du Club du Châtelet, Yann Arthus-Bertrand est revenu sur sa vie et ses engagements, et a présenté son dernier film Legacy, notre héritage.
Une intervention animée par David Abiker, journaliste et chroniqueur, en présence de Maître Cédric Blanchet (à l’ouverture), président de la Chambre des notaires de Paris et de Maître Jean-François Sagaut, président du Club du Châtelet.
Depuis 25 ans, le Club du Châtelet accueille de nombreux invités, comme l’a rappelé Maître Cédric Blanchet, en préambule.
Accueillir Yann Arthus-Bertrand lui a paru tout à fait cohérent puisque pour celui-ci comme pour les notaires, « l’héritage » est une obsession. « Legacy, héritage, bien entendu pour nous notaires, ça nous parle. On le gère au quotidien dans nos études » a-t-il souligné. Puis s’adressant à l’écologiste-reporter, « Vous êtes un passeur entre deux mondes, celui qui disparait avec une génération, et celui qui nait jour après jour, génération après génération », saluant ainsi son rôle de messager et son engagement pour l’environnement.
SENS DU DEVOIR ET DU COLLECTIF : L’HÉRITAGE DE YANN ARTHUS-BERTRAND
Mais pour commencer, qui est Yann Arthus-Bertrand ? Lui qui parle sans arrêt d’héritage, que lui ont légué ses aïeux ? Comment est-il devenu ce qu’il est ?
Comme l’a rappelé le journaliste David Abiker, « Arthus-Bertrand » est un nom très connu dans le domaine de la bijouterie, des médailles militaires et des drapeaux. La maison Arthus-Bertrand existe depuis 1803 et fournit, entre autres, la médaille de la Légion d'honneur et le grand collier de la Légion d'honneur porté par les présidents de la République française.
L’entreprise est aussi connue au-delà de la France puisque la société travaille pour une quarantaine de pays.
Le sens de la patrie, de la société et donc du collectif a toujours fait partie des valeurs de cette famille.
Enfant, le jeune Yann passait beaucoup de temps à écouter son grand-père lui parler de la guerre de 14.
« Mes parents m’ont légué le sens du devoir. Il s’agissait de personnes très sérieuses qui avaient vécu la guerre. Ils avaient donc beaucoup d’angoisses par rapport à l’avenir, par rapport à la mort… mais en même temps ils étaient formidables » a raconté Yann Arthus-Bertrand.
Leurs six enfants, dont Yann Arthus-Bertrand, ont été élevés « dans l’amour et dans le sens du devoir ». En outre, son père et sa mère s’occupaient beaucoup des autres via, notamment, du bénévolat dans des maisons de retraite, la dispense de cours de français à de jeunes Africains.
Bref, ce sens du devoir, Yann Artus-Bertrand l’a élargi à la planète via l’écologie.
« J'ai commencé à étudier les lions au Kenya et à faire une thèse sur le comportement des lions », a-t-il expliqué. Dans les faits, comme il l’a reconnu lui-même, c’est sa femme Anne qui a écrit la thèse et lui qui faisait les photos. En tout cas, « ce sont les lions qui, quelque part, [lui] ont appris la photographie ».
Pour gagner sa vie, il a décidé à cette époque de devenir pilote de montgolfière. C’est grâce à cette expérience professionnelle qu’il a alors découvert la photographie aérienne. Puis, en faisant des émissions de télévision, il a fortuitement découvert le domaine de la vidéo qui l’a profondément passionné.
Devenu un photographe-reporter très engagé dans l’écologie, il s’est senti pendant quelques années un peu « perdu » en voyant que peu de gens s’intéressaient vraiment à cette question. En 2006-2007, après le film d’Al Gore (cf. Une vérité qui dérange, documentaire sur le changement climatique. NDLR), Yann Arthus-Bertrand avait espéré que tout le monde allait changer ses comportements, « mais ce ne fut pas le cas ».
Il a donc décidé en 2009 de réaliser le film Home avec Luc Besson. Le documentaire a connu un grand succès, mais n’a pas véritablement changé la donne.
« On consommait, en 2008, 90 millions de barils de pétrole par jour, aujourd’hui on en consomme un peu plus de 100 millions » a déploré le fondateur de GoodPlanet.
DE HOME A LEGACY, UN MONDE QUI S’EST DÉTÉRIORÉ
Dix ans après, voyant que son film Home n’avait pas eu l’effet escompté, Yann Arthus-Bertrand a voulu en faire un autre, plus personnel, plus alarmiste et pessimiste que le premier. « Les scientifiques parlent d’une 6e extinction, c’est la vie sur terre qui va s’arrêter, la vie telle qu’on la connait » s’alarme le reporter dans son film.
La vision catastrophique de la situation actuelle mise en scène dans le documentaire explique, selon le photographe, que de nombreuses chaines de télévision aient refusé de diffuser son film.
« N’a-t-on pas cependant l’impression que les choses ont changé ? Ne cesse-t-on pas de parler d’écologie depuis quelques années ? » lui a demandé le journaliste David Abiker.
Certes, on en parle beaucoup, a acquiescé Yann Arthus-Bertrand, mais il reste que notre vie au quotidien n’a pas changé.
Prenons un exemple. À Paris, beaucoup de gens se disent « écolos », mais se font livrer des repas à domicile en provenance de restaurants situés à quelques rues… Or, les emballages des produits livrés ne sont pas toujours écolos, quant aux produits, ils doivent rester frais pendant le trajet ce qui nécessite des dispositifs peu économiques en énergie. La multiplication de livreurs dans les rues de Paris crée aussi des problèmes de circulation – et donc de pollution –, le trafic devenant plus dense et ralenti à cause de ces derniers.
Quant aux énergies renouvelables dont on parle tout le temps – éoliennes, panneaux solaires –, elles ne se sont pas « soustraites », mais « additionnées » aux énergies fossiles, a souligné le fondateur de GoodPlanet. Il n’y a pas longtemps, a-t-il ajouté, le Secrétaire général des Nations unies a parlé d’une catastrophe climatique imminente. Yann Arthus-Bertrand n’est donc pas le seul à être très préoccupé.
Son film-documentaire Legacy est pessimiste (voire défaitiste), car le réalisateur a conscience de l’héritage peu glorieux que sa propre génération laisse aux jeunes d’aujourd’hui. Sa génération n’a pourtant pas à se sentir coupable, a estimé Yann Arthus-Bertrand, car elle ne pensait pas faire mal.
Pour la réalisation de ce documentaire, Yann-Arthus Bertrand a collaboré avec Franck Courchamp, un scientifique « formidable » spécialiste de la biodiversité. Les deux hommes ont écrit le scénario ensemble avec beaucoup d’émotion et de larmes, car « ce n’est pas facile de parler de la fin du monde », a expliqué le photographe-reporter. En outre, quand on fait un film comme celui-ci, contrairement à une comédie, tout est important, selon lui.
« Dans ce film, a-t-il confié, j’ai tout dit. J’ai essayé de regarder le monde avec les yeux ouverts et de dire des choses qui n’avaient jamais été dites. » En tout cas, il a essayé « de parler au cœur des gens ».
Legacy, notre héritage est une œuvre essentielle pour lui, car, au-delà de l’avertissement, son objectif est d’amener tout le monde à changer. Et, il ne pense pas, malgré les apparences, que cela est impossible.
Dans la plupart de ses films, et particulièrement dans Legacy, on y voit une double vision de l’homme, un être à la fois formidable et coupable de tout.
Pour Yann Arthus-Bertrand, cruel, l’homme est aussi exceptionnel : « Ce qu’on a réussi à créer c’est inouï, c’est dû à la fraternité, à la coopération et à l’intelligence. On sait travailler ensemble, et c’est peut-être ça qui va nous sauver. »
D’ailleurs, après avoir passé sa vie à « courir après la beauté de la nature », c’est la beauté des gens et des actions qui l’intéressent désormais.
Après La Terre vue du Ciel, Home, puis Legacy en 2021, le photographe-reporter n’a-t-il pas cependant l’impression de prêcher dans le désert ?
« Je ne sais pas faire autrement donc je continuerai jusqu’au bout » a assuré Yann Arthus-Bertrand. « J’ai la chance formidable d’avoir un métier que j’adore, que je sens quelque part utile », a-t-il ajouté.
Indépendamment de ses convictions, ce qui fait la particularité des films du réalisateur, c’est la qualité et la beauté des clichés, a rappelé le journaliste David Abiker.
« Quand on va dans les plus beaux endroits du monde, ce n’est pas très difficile de faire de belles images, a expliqué avec modestie Yann Arthus-Bertrand, je suis comme l’œil d’un gamin émerveillé devant la beauté du monde. Et sincèrement, il n’y a rien de plus beau que la nature ».
Cette beauté nous dépasse, et c’est ce qu’il tente aussi de montrer dans ses films. D’ailleurs après coup, les photographies lui paraissent toujours en-deçà de ce qu’il a vu.
Curieusement, a relevé David Abiker, le fondateur de GoodPlanet parvient dans ses films à rendre « belles » des centrales thermiques, l’agriculture intensive…
Yann Arthus-Bertrand n’en est pas étonné. Objectivement, a-t-il admis, la surexploitation vue du ciel est assez jolie à regarder, « même les pollutions sont belles à regarder parfois. »
Les techniques qu’il utilise dans le ciel permettent aussi de rendre tout ravissant parce qu’il travaille avec le graphisme des paysages. En outre, a-t-il rappelé, du point de vue du ciel, il n’y a pas d’un côté les villes, et de l’autre la nature : « les villes sont un peu comme une fourmilière dans la forêt. Tout ce qui est autour de nous [bâtiments, voitures, maisons, etc.] n’est pas hors de la nature. »
COMMENT LUTTER CONTRE LA SUREXPLOITATION ?
Pour en revenir à la surexploitation, quelle est l’ampleur du phénomène à l’heure actuelle ?
Autrefois, a expliqué Yann Arthus-Bertrand, deux Français sur trois travaillaient dans les champs. Les vacances scolaires ont, au demeurant, été planifiées en juillet pour que les enfants puissent aider les parents aux moissons.
De nos jours, un seul agriculteur peut travailler sur 300 hectares avec un tracteur. Cela a certes donné un coup de pouce incroyable pour la croissance du pays, mais « il y a un retour de bâton » a affirmé le photographe-reporter.
En effet, la France est aujourd’hui le pays agricole par excellence. 52 % de notre territoire est agricole – en comparaison la Chine c’est seulement 6 % de surface agricole – et pourtant nous achetons 50 % de notre nourriture à l’étranger.
Comment expliquer ce paradoxe ? Selon Yann Arthus-Bertrand, sans même qu’ils ne soient au courant eux-mêmes, les agriculteurs produisent des tonnes de céréales qui partent à l’étranger nourrir des animaux.
Résultat, pendant le confinement, la France n’avait pas assez de blé. Il a fallu en faire venir d’Ukraine.
La surexploitation peut-elle aussi entraîner l’extinction animale ?
Le fondateur de GoodPlanet en est certain. C’est pourquoi il recommande de manger le plus bio possible. Une étude publiée dans la revue Biological Conservation indique en effet qu’en Europe, 80 % des insectes volants ont disparu en 30 ans. Ce terrible déclin est dû à l’intensification des pratiques agricoles et au recours aux pesticides, selon le photographe. Or, nous avons besoin d’insectes pour vivre, notamment des abeilles qui pollinisent ce que l’on consomme.
Pour contrer ces problématiques, quelle stratégie mettre en place ? Faut-il instaurer un autre système ou bien les modifications individuelles des comportements suffiront pour amener peu à peu à la décroissance, sinon à une autre façon de consommer et de produire ?
Pour Yann Arthus-Bertrand, on ne pourra changer les choses qu’en partant de la base (les individus). Son travail et ses films consistent justement à convaincre la base qu’il faut changer le système.
Lors d’une marche pour le climat, il y a 40 000 personnes dans la rue, mais à l’arrivée de la coupe du monde on est deux millions, a-t-il ironisé, « quand on sera deux millions à manifester ensemble parce qu’on croira qu’on peut changer le système, bien sûr qu’on le changera » a-t-il garanti.
D’un autre côté, on ne peut pas être anticapitaliste « bêtement », a-t-il tempéré. La richesse d’un pays ce sont en grande partie ses entreprises, ce sont elles en effet qui font vivre les habitants dans nos contrées. Ce sont elles qui paient les hôpitaux, les écoles, les routes, etc. (en Île-de-France, par exemple, les entreprises supportent 86 % des coûts du fonctionnement des transports publics), on ne peut donc rejeter ce système dans sa globalité, sans réfléchir.
En revanche, de nombreux excès sont à corriger dans notre façon de vivre.
QUE PEUT LA POLITIQUE POUR L’ENVIRONNEMENT ?
Pour que les choses changent, encore faut-il que les pouvoirs publics en aient la volonté. Or, l’écologie intéresse-t-elle vraiment les hommes et les femmes politiques ?
Yann Arthus-Bertrand en est certain, la vague verte écologiste va revenir cette année. Pour lui cependant, les politiques ne sont pas au courant de ce qu’il se passe vraiment. Ils sont trop prisonniers du quotidien.
Pendant ses deux ans au ministère de l’Environnement, Nicolas Hulot a fait 2 000 réunions, a précisé le fondateur de GoodPlanet, rapportant les propres paroles de monsieur Hulot. À chaque fois, de très nombreux participants y assistaient, ce qui rendait difficiles, voire impossibles, les prises de décisions concrètes.
« C’est difficile de prendre des décisions courageuses quand on est au pouvoir, car il y a des pressions énormes sur des tas de dossiers » a expliqué Yann Arthus-Bertrand.
Pour lui, les hommes politiques ne sont en tout cas que « le miroir de ce que nous sommes. » Ils sont là pour faire ce qu’on a envie (protéger le pouvoir d’achat, notre travail…). S’il y a plus de pression citoyenne sur l’écologie, si on leur demande d’en faire plus, nos gouvernants le feront, a-t-il assuré.
[Un point de vue qui nous semble beaucoup trop optimiste, tant il est évident que les lobbies de toute sorte ont davantage de poids que les aspirations des citoyens. monsieur Hulot en a d’ailleurs fait la douloureuse expérience à la tête du ministère de l’Environnement. Un expert comme lui n’est pas parvenu à imposer sa voix au gouvernement. Confronté aux lobbies, celui-ci avait affirmé, le jour de sa démission, n’avoir obtenu que des petits pas et non la transition écologique promise par le Président (2). NDLR]
Yann Arthus-Bertrand a salué l’initiative du président Macron concernant l’organisation de la Convention citoyenne pour le climat. En ce moment, a précisé le photographe-reporter, lui et son équipe sont en train de faire un film avec les 150 citoyens (tirés au sort) qui ont participé à cette concertation citoyenne.
« Ils ne connaissaient rien à l’écologie, ou presque, et en sept week-ends, ils sont devenus presque plus activistes que moi », s’est exclamé le fondateur de GoodPlanet. D’où le rôle primordial de l’éducation, selon lui, pour faire changer les mentalités.
À propos de personnalité publique, « avez-vous rencontré Greta Thunberg ? » a demandé David Abiker à son invité. Celui-ci n’en a pas encore eu l’occasion, mais l’espère vivement, car il s’agit d’une jeune fille qu’il admire.
« Elle a vraiment l’air de souffrir de ce qui est en train d’arriver. Elle est radicale. À cause de son agressivité, cette jeune fille dérange énormément » a-t-il commenté.
LA CRISE A-T-ELLE CHANGÉ LES COMPORTEMENTS ?
Depuis un an et demi, le monde semble tourner au ralenti à cause de la crise sanitaire. À la grande joie de dame nature qui semble avoir profité des périodes de confinement. En effet, dans certaines villes du monde, des animaux ont investi les rues en mars 2020.
Par exemple, au Pays de Galles, les habitants ont surpris des chèvres de montagne errer sur la route, un puma a été aperçu dans une rue à Santiago, la capitale du Chili, des paons se sont promenés dans les rues de Madrid, un cerf a un jour emprunté un passage souterrain à Nara (Japon), et même un koala a été aperçu dans les allées d’un centre commercial en Australie.
Un grand nombre de citadins ont alors pris conscience de la pression que fait subir l’homme à son environnement, obligeant les animaux à se cacher.
D’ailleurs, ne peut-on pas faire un lien entre la crise environnementale/climatique et l’apparition du virus ?
Yann Arthus-Bertrand aurait tendance à le croire : « ça me plaît de penser qu’à cause de la façon dont on traite les animaux, on a un retour de bâton très brutal… on a tellement déforesté qu'on se rapproche de plus en plus des animaux sauvages qui sont porteurs de virus » (à l’heure actuelle, on n’est pas tout à fait certain que le coronavirus ait été transmis directement à l’homme par un animal. NDLR).
La crise a en tout cas secoué un grand nombre de nos certitudes. L’avenir semble incertain. Certains promettent un monde d’après avec plus de retenues et d’attention à la planète quand d’autres prédisent un retour aux années folles (les restrictions que nous avons vécues vont entraîner plus de consommation, d’interactions sociales, une sexualité débridée…).
Mais globalement, la crise n’a-t-elle pas engendré des changements de comportements ?
Pour le fondateur de GoodPlanet, cette période n’a pas eu que des effets négatifs. Beaucoup de gens ont davantage réfléchi à leur vie, à leur travail…
Lui-même, pendant les confinements, a beaucoup travaillé et médité sur le sens de sa vie. Habitant près de la forêt de Rambouillet, il s’y est promené tous les jours.
« Je me suis aperçu que cette beauté essentielle que je cherchais à travers le monde en permanence, je l’avais à côté de chez moi. Ça m’a vraiment marqué » a-t-il confié.
Il reste que si, grâce au vaccin, nous ne sommes pas loin de sortir de la crise, il n’existe a contrario pas de remède miracle pour le changement climatique, c’est pourquoi chaque petit geste individuel compte.
Pour Yann Arthus-Bertrand, il faut en effet que nous apprenions à vivre mieux avec un peu moins. « Il ne faut pas que nos vies ne servent qu’à acheter et consommer » a-t-il vivement conseillé.
Tout cela est bien beau, a fait remarquer David Abiker, reprenant une question d’un internaute, mais alors qu’aujourd’hui certains prônent la décroissance, n’avons-nous pas tendance à oublier qu’ailleurs dans le monde certains manquent de tout ?
La révolution verte n’est-elle pas, au fond, une révolution des pays riches ? En effet, les trois quarts des habitants du monde rêvent de vivre dans notre monde d’opulence. Au moment où en Occident nous nous rendons compte que nous sommes allés trop loin dans la consommation et la surexploitation, d’autres peuples commencent tout juste leur croissance, or avons-nous le droit de les stopper dans leur développement ?
Autre problématique qui nous semble essentielle, la question des migrations. En général, les écologistes les plus fervents prônent la décroissance, mais sont aussi pour un accueil sans limites des flux migratoires. Or les émigrés (à ne pas confondre avec les réfugiés qui eux fuient un pays où ils sont menacés de mort) qui, rappelons-le, sont plutôt issus de la classe moyenne dans leur pays d’origine (3), le font rarement pour décroître, mais plutôt pour avoir accès aux produits de consommation et au capitalisme.
Comment allier avec intelligence écologie et migrations, sans tomber dans les bons sentiments et les idéologies qui font fi du réel ?
Actuellement, une autre forme de crise est aussi en train d’advenir : la révolution numérique. Celle-ci peut-elle accompagner la révolution verte ou bien s’y oppose-t-elle ? Les datas consomment en effet beaucoup d’énergie, le minage du bitcoin est un véritable gouffre énergétique, etc.
Pour Yann Arthus-Bertrand, les technologies de la communication ne sont pas incompatibles avec l’écologie. À son avis, les réseaux sociaux font même énormément pour la prise de conscience des jeunes quant à la situation écologique : « La folie Greta vient des réseaux sociaux et d’Internet » a-t-il affirmé.
Loin de se méfier du numérique, pour lui « Internet est une espèce de dictionnaire qui réunit toutes les informations du monde. À nous de bien choisir. »
NOTAIRES, HÉRITAGE ET TRANSMISSION
Maître Jean-François Sagaut, président du Club du Chatelet a ensuite été invité à présenter les objectifs de son Club.
« L’idée à l’origine c’était que les notaires puissent participer à des débats de société, de montrer que les notaires ont un rôle d’observateurs » a-t-il expliqué. Ces derniers reçoivent 20 millions de personnes chaque année dans les études, ils ont donc une grande capacité d’écoute. Bien entendu, ils peuvent aussi faire passer des messages.
Les notaires s’ouvrent de plus en plus à des réflexions sociétales et environnementales, notamment aux questions écologiques. En outre, les études ont beaucoup changé et intègrent ces problématiques dans leur fonctionnement, a assuré Maître Sagaut.
D’ailleurs, le notariat est une institution séculaire qui existe depuis des siècles, a rappelé le président du Club du Châtelet. Cela montre bien que la profession a une grande capacité d’adaptation.
Les jeunes qui rentrent dans la profession aujourd’hui sont au cœur de leur époque.
Ils veulent apporter les valeurs de la jeune génération, mais aussi apprendre de leurs ainés.
Bref, dans un monde assez individualiste, les notaires prennent amplement leurs responsabilités. Les notaires de France proposent, par exemple, d’aider énormément de fondations.
Ainsi, quand une personne a un don à faire, quand elle veut léguer un héritage, le notaire peut très bien l’orienter vers une action en fonction des intérêts et valeurs de cette personne. « Quand on veut transmettre, il y a la partie patrimoniale, mais c’est d’abord un héritage de valeurs humaines. C’est ça que les notaires aident à mettre en œuvre » a souligné Maître Sagaut.
Transmettre à bon escient, c’est assurément une des préoccupations de nombreux Français qui sentent leur fin prochaine. Certains individus qui ont fait fortune rapidement – sur des secteurs innovants notamment – veulent non pas laisser une trace dans l’histoire patronymique, mais redonner à leur tour ce qu’ils ont reçu prématurément, a rapporté le président du Club du Châtelet.
Ces derniers ont donc le désir de « flécher » leurs dons vers une cause qui leur tient à cœur, une cause animale ou l’écologie, comme l’association de Yann Arthus Bertrand par exemple.
À ce moment-là, comment le notaire peut-il les accompagner ?
Alors que chez les Anglo-Saxons la philanthropie est culturelle (car l’État pourvoit à moins de service public et de protection) en France, celle-ci est assez récente. C’est donc un peu plus complexe chez nous.
Cependant, pas mal d’outils ont été développés pour flécher ces dons, a rappelé Maître Sagaut. Des dispositifs permettent d’utiliser ces ressources/héritages dans le cadre de la poursuite d’un projet. Certes, les conseils des notaires vont permettre aux donateurs de faire des économies sur les droits de succession, mais l’essentiel c’est le projet philanthropique.
Le notaire peut-il seulement s’exprimer au moment où la grand-mère – par exemple – fait son testament, ou bien peut-il donner son avis devant les héritiers après la mort de leur parente ?
Selon Jean-François Sagaut, il y a toujours une solution, même dans une situation a posteriori.
Bien évidemment, le mieux est de se renseigner en amont, de manière à savoir ce qui existe, quelles convictions on veut défendre, et de définir ce qu’on peut faire à son niveau.
« Ceux qui donnent et partagent sont plus heureux que les autres, a rebondi Yann Arthus-Bertrand, si des gens veulent donner à ma fondation, ça serait formidable parce que le boulot qu’on fait est formidable. »
Pour ce dernier en tout cas, l’essentiel est de prendre ses responsabilités, de donner un sens à sa vie – chose dont il a lui-même pris conscience assez tardivement selon ses propres dires. Le fondateur de GoodPlanet s’est d’ailleurs dit admiratif de certains jeunes passionnés par des projets écologiques, qui parviennent à mélanger capitalisme, entrepreneuriat et écologie.
« Réussir sa vie professionnelle, ce n’est pas très difficile, mais réussir sa vie d’homme c’est beaucoup plus compliqué » a-t-il conclu.
NOTES
1) http://www.lagri.fr/tribune-quand-une-agricultrice-ecrit-a-yann-arthus-bertrand
2) « On avait une réunion sur la chasse, avec une réforme qui est peut-être une réforme importante pour les chasseurs, mais surtout pour la biodiversité, et j'ai découvert la présence d'un lobbyiste qui n'était pas invité à cette réunion. Et c'est symptomatique de la présence des lobbies dans les cercles de pouvoir. Il faut, à un moment ou à un autre, poser ce sujet sur la table, parce que c'est un problème de démocratie : qui a le pouvoir, qui gouverne ? » cf. Nicolas Hulot sur France Inter, le jour de sa démission le 28?août 2018.
3) https://www.vie-publique.fr/en-bref/271919-migrations-africaines-vers-leurope-les-donnees-du-rapport-du-pnud : « 58?% des migrants interrogés avaient un emploi et la majorité d'entre eux avaient un salaire compétitif. Contrairement aux idées reçues, tous les migrants en situation irrégulière n'étaient pas "pauvres" en Afrique. »
Maria-Angélica Bailly
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