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La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice ne redonne pas seulement une base légale à la formalité de la légalisation qui manquait en France depuis sa disparition par mégarde du système législatif français ; elle consolide, avec une vigueur renouvelée, le principe d’exigence de son existence, à une époque où paradoxalement, la tendance semble être à sa suppression. Immédiatement une question peut être posée : est-ce le cas ?
Un retour sur les vicissitudes ayant jalonné son parcours jusqu’au 23 mars 2019 est opportun si nous voulons comprendre son utilité actuelle.
La formalité de la légalisation rend de manière certaine le document véritable et sincère établi en France ou à l’étranger et devant produire ses effets juridiques à l’étranger ou en France.
Elle assure au notaire qui reçoit un document établi à l’étranger que celui-ci peut valablement produire ses effets en France.
En certifiant « la sincérité de l’origine du document » (1), la légalisation garantit au notaire une parfaite légalité formelle quant à l’autorité ayant émis ou certifié le document qui lui est présenté.
La légalisation facilite ainsi « dans les relations internationales la preuve de l’authenticité d’un acte ou d’un document établi conformément aux règles de droit interne et favorise leur production et leur admission à l’étranger » (2).
Historiquement, la légalisation confirmait que l’autorité étrangère qui délivrait le document (ou le certifiait) était bien connue du consul français situé dans la même circonscription que ladite autorité locale : en légalisant le document, le consul de France attestait qu’à sa connaissance, l’autorité étrangère exerçait bien la fonction lui permettant d’être habilitée et qualifiée pour le délivrer ou le certifier (3).
Son fondement a connu un parcours à travers le temps bien singulier : consacrée depuis une ordonnance royale du XVIIe siècle, la base légale de cette formalité a traversé les siècles, tant par l’instauration de son texte créateur, que par un transfert vers la coutume internationale, avant de réintégrer le système législatif français par la loi du 23 mars 2019.
Son fondement légal originaire : l’ordonnance royale de la marine d’août 1681
La légalisation est inscrite pour la première fois dans l’ordonnance royale de la marine d’août 1681, connue sous le nom de « l’ordonnance de la marine ».
Dans le livre Ier, titre IX, l’article 23 disposait que : « Tous actes expédiés dans les pays étrangers où il y aura des consuls ne feront aucune foi, s’ils ne sont pas par eux légalisés. » (4)
Il résultait de ce texte que les actes publics établis par une autorité étrangère devaient toujours être légalisés par des agents diplomatiques français, le plus souvent par les consuls de France accrédités dans les pays où les documents avaient été établis.
Son évolution réglementaire
Les dispositions de l’article 3 du décret n° 46-2390 du 23 octobre 1946 relatif aux attributions des consuls prévoyaient en matière de procédure que : « Les consuls sont tenus de légaliser les signatures des fonctionnaires publics de leur circonscription, que ceux-ci aient dressé l’acte ou qu’ils l’aient simplement eux-mêmes légalisé. Ils ne manqueront pas, dans tous les cas, de mentionner la qualité du signataire à l’époque où il a dressé l’acte ou l’a légalisé. Ils peuvent, d’autre part, légaliser les actes sous seing privé passés par les Français résidant dans leur circonscription. »
Le développement des relations internationales et les usages diplomatiques ont considérablement évolué : il a d’abord été admis, par exemple, que les documents publics établis dans un pays étranger pouvaient être légalisés par les consuls de ce pays accrédités en France, sauf à faire, en outre, viser le document par le ministère des Affaires étrangères.
Par la suite, compte tenu de l’évolution du droit consulaire, le ministère des Affaires étrangères a renoncé, à compter du 18 janvier 1967, à viser les documents établis dans un pays étranger et légalisés en France par le consul de ce pays ainsi que ceux établis par un consul étranger en France5.
Par ailleurs, en vertu de l’article 2 du décret n° 91-152 du 7 février 1991 relatif aux attributions notariales des agents diplomatiques et consulaires, les chefs de mission diplomatique pourvue d’une circonscription consulaire et les chefs de poste consulaire (6) avaient qualité pour instrumenter à l’égard de tous les Français, dans la limite de leur circonscription consulaire sauf force majeure.
Ils étaient également compétents pour recevoir les actes destinés à être produits en territoire français par des ressortissants étrangers (7).
Depuis cette date, et jusqu’à la loi du 23 mars 2019 entrée en vigueur le 25 mars suivant, pouvaient être acceptés en France, tant par les administrations publiques, les notaires, que par les particuliers, les documents, copies ou extraits qui étaient :
• soit légalisés à l’étranger, par un consul de France ;
• soit légalisés en France, par le consul du pays où ils ont été établis ;
• soit établis en France, par un consul étranger sur la base d’actes conservés par lui.
La formalité de la légalisation a donc beaucoup évolué de puis le XVIIe siècle, jusqu’à son abrogation étonnante en 2006.
Son abrogation par ordonnance du 21 avril 2006
L’article 7-II-7°) de l’ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006, relative à la partie législative du Code général de la propriété des personnes publiques, a abrogé expressément l’ordonnance royale d’août 1681, seul texte légal consacrant l’existence de la formalité de la légalisation en France.
Cette abrogation a soulevé des interrogations en doctrine et chez certains hauts magistrats, tant le droit positif français s’est trouvé du jour au lendemain sans aucune base légale pour fonder la formalité de la légalisation (8).
La loi du 12 mai 20099 ratifiant l’ordonnance de 2006 n’a pas repris le principe légal de l’existence de la légalisation dans notre système juridique interne.
Dans son rapport annuel de 2009, la Cour de cassation précise qu’ « un bon ordonnancement juridique gagnerait à voir réaffirmé, en droit positif, le principe de l’obligation de légalisation des actes de l’état civil étranger » (10).
Face à cette situation, le gouvernement, dans une réponse écrite, précise d’ailleurs qu’il « expertise la nécessité d’une évolution législative sur la question plus large de la légalisation des actes publics » (11).
Le décret du 10 août 2007 (12), qui se limite à préciser les différents types de légalisations, ne rétablit pas le fondement légal de la légalisation : la voie réglementaire ne peut rétablir, au regard de la hiérarchie des normes, un principe législatif.
Malgré l’absence de base légale fondant cette formalité, la Cour de cassation estimait pourtant que l’obligation de légalisation devait cependant perdurer. C’est pour cette raison qu’elle a considéré que la légalisation résultait depuis son abrogation de l’effet de la coutume internationale.
Son transfert normatif vers la coutume internationale
Constante depuis 2006, la jurisprudence de la Cour de cassation se fondait désormais sur la coutume internationale pour exiger la légalisation13 des actes étrangers devant produire effet en France.
La doctrine s’est interrogée sur le bien-fondé de cette analyse, les éléments constitutifs pour constater une coutume à l’ordre international manquant en l’occurrence : en effet, pour qu’il puisse y avoir instauration d’une coutume internationale, la preuve d’une pratique générale acceptée comme étant le droit par plusieurs sujets de l’ordre international doit être apportée, ce qu’il ne peut être démontré à l’évidence en la matière, ce qui a entrainé et soulevé quelques critiques sur cet appel à la coutume internationale (14).
Pour autant, si les actes authentiques établis en France font pleine foi de leur origine sur leur seule apparence, « cette présomption d’authenticité ne saurait bénéficier aux actes étrangers » (15). En effet, « si dans une législation donnée, l’acte authentique fait foi de son origine, c’est parce qu’il se présente avec un appareil de formalités extérieures qui sont connues et aisément contrôlables. Mais les signes extérieurs d’authenticité d’un acte étranger peuvent évidemment être ignorés du tribunal [ou du notaire] saisi.
Ils ne suffisent donc pas à convaincre de la régularité de l’acte le juge [ou le notaire] qui n’a jamais eu sous les yeux d’autres instruments similaires » (16).
La formalité de légalisation, connue en France depuis le XVIIe siècle (17) au moins et qui relevait depuis le 21 avril 2006 de la coutume internationale, du fait de sa suppression par mégarde18, demeure toujours le principe directeur en matière de véracité des actes établis à l’étranger devant produire leurs effets en France. Face aux réserves, voire aux critiques de la doctrine sur le sujet, pourtant bien consciente que les tribunaux devaient poser une base juridique pour maintenir l’exigence de légalisation des actes publics étrangers, il devenait urgent de légiférer sur ce point. La loi du 23 mars 2019 a permis de remédier à la situation.
Sa réintégration et sa réaffirmation par la loi de programmation 2018-2022 pour la Justice
Treize années après sa « disparition » de la norme législative, la légalisation réapparaît, renforcée de surcroît par la loi du 23 mars 2019 en vigueur à compter du 25 suivant.
L’article 16 II de la loi réaffirme avec force le principe de l’exigence de cette formalité et lui donne une définition légale qui jusqu’alors, était dispersée en de nombreux endroits (19).
Le principe de l’exigence est en effet affirmé comme suit : « Sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France doit être légalisé pour y produire un effet. »
La définition est la suivante : « La légalisation est la formalité par laquelle est attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l’acte a agi, et, le cas échant, l’identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. »
La nouvelle loi réintègre la légalisation dans notre ordre interne, mais ne définit pas l’autorité compétente.
Par l’ordonnance royale, les consuls de France étaient seuls compétents pour légaliser les actes étrangers. Au milieu du XXe siècle, cette compétence a été étendue à d’autres autorités. La loi de programmation 2019-2022 prévoit qu’un décret par Conseil d’État précisera non seulement les actes publics aujourd’hui concernés par la légalisation, mais fixera également les modalités de délivrance de cette formalité, en indiquant l’autorité compétente pour accomplir cette formalité. Le notariat sera-t-il une autorité compétente ?
Si ce (ou ces) décret(s) tarde(ent) à paraître, à l’instar de celui devant fixer les modalités du registre national des mandats de protection futur – attendu depuis la loi du 28 décembre 2015 –, que pourrait-on déduire du temps passé durant lequel les délivrances de légalisation pourraient être suspendues, les autorités jusqu’alors compétentes ne l’étant plus dorénavant ?
Pour quelle raison alors réaffirmer par la loi le principe de l’exigence de légalisation, si en pratique les moyens règlementaires sont absents pour l’appliquer ?
Voilà une situation délicate dans laquelle nous entrons, car non seulement l’autorité compétente pour la délivrance de la légalisation n’est pas connue, mais les actes publics devant être légalisés manquent également à l’appel !
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