« Nouvelle relation de confiance » entreprises / administration fiscale, où en est-on ?


samedi 9 mai 202012 min
Écouter l'article
Le MEDEF fait le point

Un an après l’introduction par le ministre de l’Action et des Comptes publics du plan pour une « Nouvelle relation de confiance entre entreprises et administration fiscale », le MEDEF dresse un premier état des lieux. Si le dispositif semble apporter plus de transparence et une communication accrue, il démarre en douceur, avec 30 groupes entrés dans le partenariat fiscal et 130 PME accompagnées. 

Partenariat fiscal pour les ETI et grandes entreprises, accompagnement fiscal des PME, appui à l’international, demande de mise en conformité volontaire, droit à l’erreur et garantie fiscale… Le 14 mars 2019, Gérald Darmanin présentait une « Nouvelle relation de confiance » ambitieuse. Début mars 2020, le MEDEF a souhaité tirer un premier bilan de ce rapprochement en organisant un colloque dédié au sujet. 

En préambule, Patrick Martin, président délégué de l’organisation patronale, l’a martelé : « Dans un contexte de guerre commerciale internationale, auquel s’ajoutent des contraintes budgétaires aiguës, l’État et les entreprises partagent les mêmes impératifs : la nécessité de s’adapter et d’évoluer sans cesse pour rester performants ; la recherche de l’efficience. Ensemble, nous devons tout faire pour assurer la compétitivité de nos entreprises et l’attractivité de notre territoire ». Ce qui, pour lui, passe notamment par la fiscalité. 

Toutefois, la fiscalité étouffe encore trop le monde de l’entreprise, a regretté Patrick Martin. Si ce dernier a estimé que les règles fiscales étaient « garantes de la participation des entreprises au financement normal des charges publiques et d’une concurrence loyale entre acteurs », il n’a pas manqué de souligner que la France affichait l’un des taux de prélèvement de ses entreprises le plus élevé d’Europe. Le président délégué du MEDEF a également étrillé des règles fiscales « d’une complexité inouïe », par ailleurs « constamment modifiées ». Ainsi, pas moins de 20 % des articles du CGI sont remaniés chaque année. Instabilité fiscale qui crée, a-t-il affirmé, de puissants facteurs de blocage, au détriment de l’investissement et de l’emploi. « Un des objectifs premiers des pouvoirs publics doit donc être de stabiliser la loi fiscale. De plus, l’administration doit rationaliser le contrôle fiscal en faisant la différence entre les entreprises de bonne foi et les autres entreprises aux comportements moins “vertueux”. C’est pourquoi le MEDEF milite pour une évolution – et même une révolution – des relations entre l’administration et les contribuables », a indiqué Patrick Martin. Celui-ci a précisé que l’organisation patronale avait « fortement soutenu » l’expérimentation de la « nouvelle relation de confiance » entre 2013 et 2018, au même titre que la loi ESSOC (droit à l’erreur) et les différents volets du plan lancé l’an dernier. « Le soutien des entreprises est une condition essentielle à la réussite des réformes. La mise en œuvre du prélèvement à la source a montré combien cet engagement des entreprises était nécessaire. C’est tout aussi vrai s’agissant de la nouvelle relation de confiance, qui ne réussira qu’avec l’adhésion des entreprises. Nous devons travailler ensemble, en bonne intelligence », a soutenu le président délégué du MEDEF.

Également présent, le directeur général des Finances publiques, Jérôme Fournel, a opiné : la relation de confiance, qui « se joue à deux », pour un « partenariat stable, dans la durée », est primordiale. « Nous avons en effet une législation complexe, qui change, a-t-il admis, et il est essentiel d’avoir des outils de sécurisation pour les entreprises. » C’est pourquoi le dispositif prévu est « loin de se réduire à un seul instrument », a-t-il assuré. « Nous avons souhaité avoir une palette de dispositions opérationnelles : un service partenaire des entreprises, un accompagnement des PME, un tiers de confiance, tous les sujets liés à la régularisation, le développement du rescrit, de la garantie fiscale, l’accompagnement des entreprises à l’international… C’est en multipliant les outils à destination de cette relation partenariale qu’on arrive à faire bouger la culture interne à l’administration et la culture des entreprises, de la transparence qu’elle peut avoir vis-à-vis de nous », a affirmé Jérôme Fournel.

Jérôme Fournel

Ces dispositions, a-t-il promis, devraient progressivement s’affiner. D’ici là, le directeur général des finances publiques s’est réjoui d’observer, « dès la première année, des résultats significatifs », puisque pas moins de 30 groupes sont entrés dans le partenariat fiscal pour les ETI et grandes entreprises, plus de 130 PME sont accompagnées, et les rescrits fiscaux – ces réponses de l’administration aux questions sur l’interprétation d’un texte fiscal ou d’une situation de fait au regard du droit fiscal – ont augmenté de 20 %. Plus de transparence, mais aussi plus de régularisation : les régularisations en cours de contrôle sont aujourd’hui de l’ordre de 35 000, multipliées par dix par rapport à 2018. Satisfait de ces résultats, Jérôme Fournel a souhaité « arriver à faire en sorte d’avoir un partenariat au niveau micro-économique, mais aussi un partenariat global de la Direction générale des finances publiques avec les entreprises ».

 

Zoom sur le partenariat fiscal : un bilan d’étape « encourageant »

Une première table ronde s’est notamment attardée sur le partenariat fiscal, faisant état d’un « bilan d’étape encourageant », bien que le délai soit « assez court pour un état des lieux sur un projet qui va changer en profondeur les mentalités », a fait remarquer la modératrice, Nathalie Senechault, directrice fiscale chez Atos et co-présidente de la Commission fiscalité du MEDEF. Selon cette dernière, une « révolution culturelle » doit être menée, tant au sein de l’administration fiscale qu’au sein des entreprises.

Cheffe du service du partenariat fiscal avec les entreprises à la DGFiP, Marie-Christine Brun a expliqué que le partenariat fiscal – offre de service de l’administration – consistait « à nouer une relation suivie, pérenne, avec des entreprises qui souhaitent voir sécurisés un certain nombre de points fiscaux au moment où elles effectuent leurs opérations ». Ce partenariat est ouvert aux grandes entreprises et entreprises de taille intermédiaire, qui respectent un certain nombre de conditions d’éligibilité – au titre desquelles le correct dépôt des déclarations fiscales, le paiement des impôts et l’absence de pénalités pour manquement intentionnel au cours des trois dernières années. Il est par ailleurs mis en œuvre par le service partenaire des entreprises, rattaché à la Direction des grandes entreprises (DGE), qui s’occupe de la gestion et du recouvrement des impôts des grandes entreprises et qui compte 10 personnes : deux cadres supérieurs et huit référents, principalement d’anciens vérificateurs (contrôle fiscal). C’est un protocole qui acte la relation entre l’administration fiscale et l’entreprise. 

« Depuis le lancement du dispositif, nous avons délivré une vingtaine de rescrits, et nous travaillons aujourd’hui sur une quarantaine d’autres sujets. Au départ, nous étions partis sur des questions plutôt simples, mais petit à petit, nous voyons arriver des questions plus complexes, et nous commençons à nous interroger sur les opérations majeures dans la vie d’une entreprise », a rapporté Marie-Christine Brun. Le service a en outre développé un partenariat au sein de l’administration fiscale : les sujets liés aux agréments préalables en matière de prix de transfert sont ainsi traités par un bureau spécifique ; les opérations sous agrément, par un autre bureau. Un partenariat a également été développé avec la Direction nationale de vérification de situations fiscales (DNVSF) sur les sujets de valorisation d’entreprises, et avec la Direction des vérifications nationales et internationales (DVNI) s’agissant du taux d’intérêt des entreprises emprunteuses – la DVNI s’est ainsi engagée à fournir des services de consultant financier. « Dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme du régime des brevets, nous sommes aussi en relation étroite avec la Direction de la législation fiscale (DLF). Il est important de solliciter les compétences des uns et des autres », a estimé la cheffe du service du partenariat fiscal. 

Une coopération plébiscitée par les grandes entreprises entrées dans le partenariat fiscal, à l’instar d’Air Liquide. Alfred de Lassence, directeur fiscal du groupe présent lors de cette table ronde, a également témoigné avoir été séduit par ce service qu’il considérait « favorable au dialogue », mais aussi « souple, permettant une grande liberté ». Du donnant-donnant, toutefois, « En contrepartie, en tant que directeur fiscal, je m’engage à fournir de plus en plus de choses qui pourraient être sujettes à question. J’ai donc la responsabilité de discuter de sujets qui pourront être difficiles. » Air Liquide a déjà présenté sept demandes, dont certaines toujours en cours. « Nous avons l’impression de réellement discuter, d’entrer en profondeur dans les sujets. » Un sentiment partagé par Loïc Metier, directeur juridique et fiscal de Monnoyeur, qui a lui aussi fait part d’une « expérience très favorable » : « On se parle, on échange. J’ai un référent très réactif, et c’est déjà une grande avancée. Dans la mise en œuvre, cela change du tout au tout : la relation est complètement transformée. On explique à l’administration fiscale ce que l’on va faire, et elle nous donne son avis. Quant aux effets, on verra, je suis confiant. » 

Ce dernier a précisé que son entreprise, en pleine transformation, opérait dans 12 pays (Roumanie, Pologne, Croatie…). Un des enjeux du partenariat, a-t-il souligné : « Là où nous attendons l’administration fiscale française, c’est dans le dialogue avec ces pays. Il nous semble que l’appui sera utile pour éviter les frottements fiscaux entre la France et les pays dans lesquels les charges sont supportées. » De son côté, Alfred de Lassence a fait part d’une « inquiétude » : que faire après avoir reçu une réponse négative de l’administration fiscale ? « Nous avons étudié la possibilité de faire un recours en excès de pouvoir, mais cela n’est pas possible, selon la jurisprudence du Conseil d’État. » Un sujet à réfléchir, donc. 

En attendant, d’autres grands groupes, s’ils n’ont pas encore franchi le cap, réfléchissent sérieusement au partenariat fiscal. 

« La démarche nous intéresse », a ainsi assuré Patrick Suet, secrétaire du Conseil d'administration de la Société Générale. « À l’étranger, les banques ont beaucoup d’expériences positives en ce sens. Par ailleurs, tous nos dispositifs administratifs nous conduisent à avoir des dispositifs de compliance et de contrôle interne de plus en plus élaborés, et la fiscalité en fait partie. Ce n’est pas un monde à part, c’est un monde qui s’inscrit dans l’organisation. Nous sommes aussi attentifs au fait que nous sommes dans une concurrence, et plus les banques pourront bénéficier de ce dispositif, mieux ce sera en termes de loyauté de la concurrence. » 

Patrick Martin, Nathalie Senechault, Loïc Metier, Gabriel Ganzenmuller, Antoine Magnant, Marie-Christine Brun, Yves Dubief, Alfred de Lassence et Patrick Suet

Bien que demandeuse, la Société Générale se pose néanmoins des questions, a fait savoir Patrick Suet. « Nous nous interrogeons notamment sur les conditions d'éligibilité : y a-t-il des hypothèses dans lesquelles vous avez déjà dérogé ? Accepteriez-vous que la 42e sous-filiale ait pu avoir un jour 40 % de pénalités, par malheur, sans que cela n’empêche le groupe de bénéficier du dispositif ? » Antoine Magnant, directeur général adjoint des Finances publiques, a tenu à rassurer Patrick Suet : dans le cas où des pénalités auraient été appliquées à une partie cantonnée de l’activité d’un groupe très vaste, cela n’empêche pas l’entrée de l’entreprise dans le dispositif de la relation de confiance. « Nous avons d’ores et déjà eu une vision large de la perception des critères en appliquant cette culture dans un certain nombre de cas, et nous continuerons à le faire », a-t-il promis. 

Le secrétaire du Conseil d'administration de la Société Générale s’est par ailleurs interrogé sur les perspectives du partenariat fiscal. « Quelles sont vos ambitions et quels moyens prévoyez-vous ? », a-t-il demandé. Antoine Magnant s’est montré optimiste en assurant qu’au fur et à mesure les banques comme d’autres catégories d’entreprises, grandes ou moins grandes, devraient entrer dans le dispositif. « Nous avons les moyens de cette ambition en matière de ressources humaines, et nous ferons face au dispositif. Il n’y aura pas de restrictions d’ordre malthusien à l’entrée des entreprises dans ce dernier », a garanti le directeur général adjoint des Finances publiques. 

Patrick Suet a également fait part de ses interrogations quant aux délais des réponses fournies et au fonctionnement simultané du partenariat et du contrôle fiscal.

Marie-Christine Brun a indiqué qu’en matière de délais, le service du partenariat fiscal s’engageait sur un délai de trois mois, qui court à partir du moment où la demande a été totalement formalisée, les pièces justificatives fournies, etc. « Cependant, nous essayons d’être bien en deçà, car pour les groupes, nous savons que trois mois, c’est beaucoup. Alors quand on nous demande de réagir dans les 15 jours, nous essayons un maximum de respecter ce délai. Nous sommes très satisfaits quand nous pouvons travailler rapidement et satisfaire les entreprises », a-t-elle affirmé. 

Concernant le contrôle fiscal, la cheffe de service a indiqué que ce dernier était sollicité à deux moments. D’abord, au moment de l’entrée d’une entreprise dans le partenariat, le service demande au contrôle fiscal s’il y a eu des procédures qui ont généré des pénalités dans les années précédentes. Et puis, le contrôle fiscal a accès aux rescrits délivrés et aux demandes de rescrits, ce qui lui permettra de connaitre les points sécurisés et ceux envisagés. « Hormis cela, nous n’avons pas d’autres relations, car le partenariat est soumis à une clause de confidentialité qui fait que si nous transmettons les demandes et les réponses, nous ne communiquons pas de pièces justificatives », a ajouté Marie-Christine Brun. 

Cette dernière a précisé que lors de demandes de sécurisation, le service avait pu être interrogé, par exemple, sur l’existence ou non d’un acte anormal de gestion ou d’un abus de droit. Ainsi, un groupe avait souhaité réaliser des restructurations et craignait l’abus de droit fiscal en cas de contrôle. « Mieux vaut prévenir que guérir, c’est la démarche », a insisté Marie-Christine Brun. 

Objectif, a affirmé cette dernière : garantir un maximum de sécurité juridique aux entreprises. « Sur ce point, nous avons le sentiment que nous sommes en train de réussir notre pari », s’est-elle réjouie. Toutefois, les challenges auxquels fait face le service du partenariat fiscal restent nombreux, comme l’application du droit, en premier lieu, mais aussi l’articulation avec d’autres services de la DGFiP : la gestion fiscale, le recouvrement, le contrôle fiscal… « Il faut que l’action du service partenaire s’articule parfaitement avec tous ces mondes », a souligné Marie-Christine Brun. Dernier défi à relever : la recherche de la confiance. « En la matière, nous sommes encore en train de progresser. Il faut que nous apprenions à nous connaître, à nous parler. Nous devons acquérir une certaine maturité pour éviter tout quiproquo. Nous sommes déjà arrivés à faire cela dans la plupart des groupes, et je souhaite que nous y parvenions dans tous. » 

Prochain bilan dans un an ?


 

Bérengère Margaritelli





Partager l'article


0 Commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Abonnez-vous à la Newsletter !

Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.