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INTERVIEW. La démission du Premier ministre, lundi 6 octobre, accentue une crise politique latente en France depuis les élections législatives de 2024, estime le politologue Olivier Costa. Au cœur de cette crise : l’obsession pour l’élection présidentielle et une inadaptation des institutions de la Vème République à la fragmentation de la vie politique, analyse le directeur de recherches au CNRS.
Journal Spécial des Sociétés : En quoi la démission du Premier ministre Sébastien Lecornu et de son gouvernement est inédite sous la Vème République ?
Sébastien Lecornu a battu le record du monde du gouvernement le plus court. Il n’a même pas eu le temps de présenter son équipe au complet. Moins de 24 heures après l’annonce des premiers arbitrages, il a été poussé à la démission par les dissensions au sein de l’équipe formée.
Cela, à mon sens, est inédit en France. J’aurais même du mal à trouver des exemples similaires dans des pays étrangers. Normalement, soit il y a un accord de gouvernement, soit il n’y en a pas. Mais le fait qu’on présente un gouvernement comme s’il y avait un accord et qu’un des principaux ministres fasse tout de suite part de ses états d’âme quant à la composition de ce gouvernement, je ne vois pas de précédent.
JSS : Pour quelles raisons cette démission ouvre une crise politique majeure dans l’histoire de la France contemporaine ?
En réalité, cela acte ce que bien des personnes, moi y compris, disent depuis longtemps. À savoir que ce qui empêche le fonctionnement des institutions françaises selon une logique parlementaire, c’est cette obsession pour l’élection présidentielle. On en a la démonstration par l’absurde.
En théorie, rien ne s’oppose à ce que les institutions françaises fonctionnent comme un régime parlementaire : on procède à des élections législatives et ensuite, on essaye de trouver une majorité pour gouverner. Il peut y avoir une majorité claire, comme on en a eu l’habitude en France jusqu’en 2022. Ou bien il n’y a pas de majorité d’emblée, parce que le paysage politique est plus fragmenté, comme en Belgique, en Italie, en Allemagne. Et dans ce cas-là, il faut qu’un certain nombre de partis s’entendent pour trouver une majorité et gouverner.
Or, dans un régime parlementaire classique, soit il n’y a pas d’élection présidentielle au suffrage universel, soit c’est une élection de moindre importance. Dans les deux cas, le but premier des partis politiques est d’entrer au gouvernement. Chacun va faire des compromis pour cela. En France, ce n’est pas possible, car le but ultime des partis politiques et de leurs leaders est de faire triompher un candidat à l’Élysée.
JSS : L’échéance prochaine de l’élection présidentielle explique donc en partie l’impasse politique dans laquelle s’est trouvé Sébastien Lecornu, selon vous…
Oui, car pour préparer l’élection présidentielle de 2027, il est plus confortable d’être dans l’opposition et de tirer à boulets rouges sur le gouvernement que de prendre ses responsabilités et d’y participer.
La démission de Monsieur Lecornu vient démontrer ce vice de conception de la Vème République, qui fonctionne très bien tant qu’on a des majorités claires à l’Assemblée nationale, que ce soit avec le président ou contre lui, quand il y a cohabitation.
JSS : Pouvez-vous expliquer pourquoi ce modèle institutionnel ne fonctionne plus aujourd’hui ?
La Vème République a été pensée dans une logique de bipolarisation, pour en finir avec la IIIème et la IVème Républiques, qui étaient des régimes avec une grande fragmentation partisane et une grande instabilité gouvernementale. Ce qu’ont voulu Michel Debré et Charles De Gaulle, c’était un régime qui favorise la stabilité au profit de l’exécutif. L’élection présidentielle au suffrage universel direct et le scrutin majoritaire à deux tours étaient censés renforcer cette bipolarisation, puisqu’au second tour s’affrontent deux candidats, en principe ceux des deux blocs, gauche et droite. Tout le monde a donc intérêt à se placer dans leur sillage, à s’unir. Cela a été le cas pendant très longtemps : à gauche sous Mitterrand, à droite avec l’UDF et le RPR.
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Aujourd’hui, à gauche, c’est la débandade. Les socialistes et les communistes ont refusé de se rendre à l’invitation de Marine Tondelier qui voulait réunir les partenaires du NFP. À droite, il y a des divisions profondes entre ceux qui pourraient envisager de travailler avec les centristes et la gauche, et ceux qui évoquent une alliance avec le Rassemblement national. On est de fait dans une configuration à cinq blocs…
Les institutions n’ont pas été faites pour fonctionner avec une telle fragmentation politique. L’élection présidentielle, qui reste centrale dans le jeu, entre en contradiction totale avec cette configuration, car elle repose sur l’idée d’une vie politique bipolarisée : la gauche contre la droite.
JSS: Quelles conséquences cette crise pourrait-elle avoir sur la démocratie et sur l’avenir de la Vème République ?
Cette crise accentue la perte de confiance des citoyens dans nos institutions et dans la classe politique, qui semble incapable de remédier aux problèmes du pays. Cela prépare l’avènement du Rassemblement national (RN), car on se trouve dans un nouveau cycle dégagiste qui peut bénéficier à l’extrême-droite. Et, on a un peu le sentiment que tous les responsables politiques français se mobilisent pour faire en sorte que le ou la prochain président.e soit issu de ce parti, qui prône un discours de rupture avec « le vieux monde ».
Cela prépare l’avènement du Rassemblement national. On a un peu le sentiment que tous les responsables politiques français se mobilisent pour faire en sorte que le prochain président, la prochaine présidente, soit issu du RN.
Olivier Costa, politologue et directeur de recherche au CNRS
Quant à la fin de la Vème République, on est face à un problème insondable. Pour envisager une réforme des institutions, il faudrait un consensus très large. On ne l’a pas, ne serait-ce que pour adopter un budget…
JSS : Quelles perspectives de sortie de crise compte tenu de la pratique du pouvoir d’Emmanuel Macron depuis son arrivée à l’Élysée, selon vous ?
Je pense qu’Emmanuel Macron ne démissionnera pas. On sait qu’Édouard Philippe l’a appelé à le faire, mais ce n’est pas dans le tempérament du président d’accepter cette idée. Partant de là, il n’y a que deux scénarios. Le premier, c’est un nouveau Premier ministre. On voit des appels à un gouvernement de cohabitation à gauche comme à droite. Le problème reste qu’aucun bloc n’est capable de trouver une majorité à l’Assemblée.
Une autre solution serait de nommer un gouvernement technique. C’est ce qu’a également proposé Édouard Philippe. Un Premier ministre qui ferait consensus, gérerait les affaires courantes, se débrouillerait pour faire voter un budget et pour qu’on puisse attendre les présidentielles. Mais la notion de gouvernement technique ne fait pas partie de la culture politique française. Quelle que soit la personne qui serait nommée, je pense qu’elle serait l’objet de manœuvres politiques des partis qui auraient envie d’en découdre.
Le deuxième scénario, c’est une dissolution. Avec deux déclinaisons possibles. Soit une Assemblée semblable à celle qu’on connaît actuellement. Soit un RN avec 250 sièges, ce qui correspond aux intentions de vote actuelles. Et donc la tentation pour 40 à 50 députés de la droite classique de gouverner avec le RN. On aurait pu éviter tout cela si on avait proposé, juste après les élections législatives l’an passé, un changement de mode scrutin en passant à la proportionnelle. Celle-ci n’aurait pas changé grand-chose à la composition de l’Assemblée, mais elle aurait réorienté les jeux stratégiques. En France, notre mode de scrutin encourage les partis politiques à faire des alliances avant les élections et ne leur permet pas de s’en défaire après.
Avec la proportionnelle, chaque parti irait aux élections sous ses propres couleurs, comme pour les élections européennes ; ensuite, ils seraient libres de négocier entre eux pour trouver une majorité. Un changement de mode de scrutin permettrait de faire entrer le pays dans une logique parlementaire en facilitant le dialogue entre les forces politiques, qui est la norme dans les régimes parlementaires.
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