Justice

Cour nationale du droit d’asile : « Depuis que je suis en France, je dors bien » 

CHRONIQUE. Une femme sénégalaise de 45 ans demande l’asile par peur de persécutions en raison de ses opinions politiques. Les juges tentent de savoir quels sont les risques concrets qu’elle encourt au Sénégal.


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Julien Mucchiellivendredi 10 octobre3 min
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©Capture Ecran Youtube

La petite fille enlève le tissu élégant recouvrant ses cheveux, découvre des cheveux tressés en arrière et s’assoit sur une chaise en métal, aux côtés d’une femme mince et dynamique, à la peau ridée et aux cheveux poivre et sel, entièrement vêtue de rouge, ce qui renforce son aspect jeune et énergique. La femme, une accompagnante, a un air bienveillant ; la petite fille, elle, est très sage. A leur droite, un quadragénaire à la mine grave est dans une position d’attente.

Devant eux, une femme de 45 ans, leur mère et épouse, fait face aux trois juges qui composent la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). 17 mois après son arrivée en France, et après un rejet de sa demande d’asile par l’OFPRA, Coumba, élégante femme sénégalaise accompagnée d’un interprète en langue peule – costume bleu marine, chaussettes vert pomme, feutre kaki -, doit convaincre la cour qu’elle serait persécutée pour ses opinions politiques en cas de retour dans son pays.

Adhérente au parti du président sénégalais Macky Sall

« Mes questions seront ciblées, merci de répondre à l’objet précis des questions », prévient le président, qui sait que les demandeurs d’asile sont souvent prolixes, ont un récit décousu, et se perdent dans des considérations superflues pour la détermination d’une décision juridictionnelle : leur calvaire, leurs malheurs, leur vie.

A cette femme, on demande : « Vous avez adhéré à l’alliance pour la République (APR), pourquoi ? ». L’APR est le parti de l’ancien président Macky Sall, président du Sénégal de 2012 à 2024.

« Parce ce que je soutenais Macky Sall. Quand ai-je adhéré ? En 2012.

Comment se passe l’adhésion ?

Il faut payer 500 francs CFA.

Quel lien avez-vous avez Macky Sall ?

C’est mon cousin germain, nous avons une grand-mère en commun.

Vous le rencontriez de temps à autre ?

Oui, et ça se savait dans le quartier. »

Coumba dit être persécutée pour ses idées. La question qui taraude les juges : Comment peut-on être menacé alors qu’on soutient le parti majoritaire ?

« Ils ont commencé à se venger sur moi »

« Cela a commencé en 2024. Ils ont commencé à se venger sur moi.

Ce serait bien que vous puissiez donner des détails.

– Ils s’en prenaient à ma fille. »

L’enfant bien sage assise sur sa chaise a obtenu la protection subsidiaire. Elle est handicapée à 80% et inscrite à la MDPH.

Le président compatit faussement : « La politique est un monde bien cruel. Quelle est la parole la plus blessante qu’on vous a adressée ?

Ils insultaient ma fille et la mère de Macky Sall.

Donc c’est resté sur le terrain verbale.

Parce que je ne répondais pas.

Vous avez senti la menace physique ?

Ils cherchaient l’occasion pour me battre. »

Le juge note. Il note aussi que Coumba, qui se dit analphabète, lui paraît être « une femme qui comprend beaucoup de choses ». Il voulait certainement dire « éduquée ».

« Comment avez-vous fait pour obtenir un passeport diplomatique en deux semaines ? 

Avant la passation de pouvoir (NDLR : après la défaite du parti de Macky Sall, en 2024), je suis allée voir la femme de Macky Sall. »

En quelques formalités, Coumba a obtenu ce dernier privilège. Elle a pris l’avion pour la France le 10 avril 2024.

La juge assesseure lui demande si ses trois enfants restés au pays sont en danger. La requérante affirme que son fils a été poursuivi dans la rue, qu’il s’est cassé la jambe en chutant, et que cela s’est produit en raison de ses opinions politiques à elle. Elle n’a pas pensé à porter plainte. Elle ajoute : « Depuis que je suis en France, je dors bien ».

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