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CHRONIQUE. Le requérant, un ressortissant du Congo-Brazzaville, est un opposant politique au pouvoir, emprisonné pendant quatre ans pour cette raison. Enfant enrôlé dans une milice violente, fils d’opposant assassiné, il déroule aux juges son parcours.
À 13 ans, Elloij était un ninja, membre d’une milice qu’il a rejointe par nécessité économique, explique-t-il aux juges de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) : « Ils donnaient des primes, je n’avais aucune ressource et j’avais besoin de survivre ».
Le frère aîné d’Elloij, déjà membre de cette milice congolaise fondée au début des années 1990 par l’opposant Bernard Kolélas, l’a présenté à son supérieur, qui l’a intégré au groupe en 2003.
– « Quelle était votre mission ? », lui demande le président de la formation, qui examine le recours d’Elloij, 35 ans aujourd’hui.
– « J’étais chargé de surveiller les trains, assurer la sécurité des passagers ».
La mission des enfants au sein de la milice Ninja se limitait à siffler lorsqu’il repérait, dit-il, un individu qui semait le trouble (vol, agression), afin qu’il soit débarqué à la station suivante, sur la ligne Pointe-Noire – Brazzaville, et remis aux membres adultes des Ninja ; eux ne disposaient pas que d’un simple sifflet, mais d’armes lourdes.
– « Et qu’est-ce qu’il leur arrivait, à ces personnes arrêtées ?
– Ils étaient punis ou emprisonnés, je ne sais pas, je me contentais de siffler ».
Elloij est un congolais, opposant politique emprisonné, qui demande l’asile à la France. Son père, partisan de l’opposant Bernard Kolélas, a été assassiné en 1999. Son frère aîné est mort peu après leur départ de la milice Ninja, en 2005.
L’OFPRA a rejeté la demande d’Elloij pour deux raisons : il demeure un flou, selon eux, sur les conditions qui entourent la fuite d’Elloij vers la France. En tant qu’enfant milicien, il pourrait avoir commis des « crimes graves », qui pourraient l’exclure du statut de réfugié. Son jeune âge pourrait cependant être une clause exonératoire, bien que, affirme Elloij, il n’ait personnellement commis aucun crime.
Après une période durant laquelle il a tenté de se réinsérer dans la société civile, Elloij a intégré le conseil central du Comité d’action pour la défense de la démocratie Mouvement de la jeunesse (CADDMJ), fondé par Denis Sassou Nguesso alors qu’il était dans l’opposition.
« Qu’est-ce que vous faisiez, au parti ?
– Je participais à des réunions. C’est un mouvement qui voulait aider la jeunesse et lutter contre le tribalisme.
– Et votre rôle ?
– D’abord, un simple membre, puis ils m’ont confié la tâche de chauffeur du chef de ma section. Enfin, je suis devenu coordinateur de ma section ».
Le président passe son tour à l’assesseur assis à sa droite. Comme lui, il est conseiller d’État : costume gris, lunettes et cheveux gris. Seule la couleur de leur cravate les distingue. Ce magistrat conduit sa propre instruction.
– « Comment s’est passé votre arrestation ?
– C’était le 10 janvier 2017. Ils ont forcé le portail.
– Combien étiez vous ?
– Nous étions sept, sans compter la femme et les enfants du capitaine ».
Elloij et ses comparses n’étaient pas armés. Ils se sont laissé interpeller.
« Comment s’est déroulée votre détention ?
– Ils m’ont torturé pendant trois semaines. LA DGST (NDLR : Direction générale de la surveillance du territoire, devenue la Centrale d’intelligence et de documentation en 2020), m’a frappé, torturé. Ils voulaient que j’admette des crimes que je n’ai pas commis. Ils m’ont emmené en 4×4 et incarcéré au QD (quartier disciplinaire) de la prison. Il n’y avait même pas de lumière dans la cellule ».
La détention d’Elloij durera quatre ans, dans les conditions innommables que son avocate décrira : corruption, violences systématiques contre des détenus ciblés (dont il était), absence de soins l’ayant presque tué. En 2021, sa petite sœur intervient auprès d’un colonel, ami de son défunt frère, qui décide de l’aider.
« A quel moment avez-vous décidé de quitter votre pays ?
– C’est le colonel qui a décidé. J’étais d’accord, je ne voulais plus de cette vie de souffrance.
– Quelle est votre crainte en cas de retour au Congo ?
– On ne peut que m’arrêter ou me faire disparaître ».
Le président reprend la parole : « À partir de 2005, de quoi viviez-vous ? »
Elloij rappelle le meurtre de son frère. Sa petite sœur était maltraitée, ils luttaient pour survivre. Sa voix s’étrangle, il pleure abondamment. Le rapporteur se lève pour lui apporter des mouchoirs. Le président, paternel, reprend : « Je ne veux pas remuer de souvenirs douloureux », dit-il, désolé. « Ce que veut la cour, c’est comprendre ».
Après cette longue instruction (près d’une heure 30), l’avocate du requérant reprend chaque élément point par point, et décrit notamment les conditions d’exfiltration d’Elloij : conduit directement dans l’avion, à l’aéroport de Pointe-Noire, sans passer par les douanes, ce qui lui a permis d’échapper à la vigilance des autorités.
À la CNDA, il n’y a pas de « dernier mot ». C’est l’intervention de la représentante de l’OFPRA qui conclut l’audience : elle demande le rejet de sa demande.
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