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L’avenir proche des droits de douane américains reste hypothétique. Jean-Claude Beaujour, avocat au barreau de Paris, et Will Newman, avocat au barreau de New York, reviennent sur l’affaire V.O.S. Selections, Inc. C. Trump dont l’appel place les exportateurs français en situation d’attente.
Alors que l’accès au marché américain se durcit, les entreprises étrangères commerçant avec les États-Unis n’ont pas caché leur satisfaction à la suite de la décision rendue le 28 août 2025 par la cour d’appel fédérale dans l’affaire V.O.S. Selections, Inc. c. Trump , qui a déclaré illégaux les droits de douane imposés par l’administration actuelle. Toutefois, l’appel du ministère américain contre cette décision freine la levée immédiate des tarifs douaniers jusqu’à la décision de la Cour suprême en novembre prochain et laisse les entreprises étrangères dans le flou.
L’enjeu est important pour les entreprises françaises. En 2024, ce ne sont pas moins de 14 700 sociétés des secteurs marchands non agricoles et non financiers qui ont exporté vers les États-Unis pour un montant de 43,9 milliards d’euros, outre les 4 millions de salariés mobilisés dans leurs activités. Dans ce contexte, les dirigeants tricolores doivent se préparer en adoptant des stratégies à la fois prudentes mais aussi en faisant preuve de proactivité.
Plusieurs PME importatrices américaines, notamment dans les secteurs des vins et spiritueux, de l’aéronautique et du luxe, ont récemment saisi la justice américaine pour contester l’augmentation des droits de douane décidée par l’administration américaine, illustrant ainsi l’impact direct de l’augmentation de ces tarifs sur les chaînes d’export des entreprises françaises.
L’administration en place, on le sait, avait invoqué de multiples situations d’urgence pour tenter de justifier son pouvoir d’imposer des droits de douane en dehors de l’approbation du Congrès ; l’une des urgences résultant selon elle d’une disparité entre le niveau élevé des importations et celui des exportations américaines vers de nombreux pays.
Pour autant, la Cour fédérale américaine a jugé que l’administration actuelle ne pouvait unilatéralement imposer une augmentation des droits de douane sur quasiment tous les biens importés, soulignant l’absence de garde-fous du Congrès ainsi que la portée excessive de la décision présidentielle.
Cette étape majeure dans la contestation en justice des droits de douane devrait être de nature à rassurer l’export français. Mais subsiste une incertitude quant à la décision à venir de la Cour suprême, à majorité républicaine. Cet appel devrait inciter les entreprises concernées à rechercher des stratégies commerciales pertinentes et à envisager également des stratégies juridiques qui leur permettront d’être à l’abri des fluctuations des décisions gouvernementales.
Comme indiqué ci-dessus, l’enjeu économique et social pour les entreprises françaises est tel qu’elles ne peuvent pratiquer la navigation à vue, mais au contraire, être dans l’anticipation. On ne peut pas être suspendu aux décisions de la Cour suprême des États-Unis, voire à des changements de cap fiscal d’une administration pour définir la politique commerciale des entreprises françaises commerçant avec les États-Unis.
Tout d’abord, les entreprises étrangères pourraient très bien choisir d’attendre que d’autres entreprises ou groupes commerciaux contestent la légalité des droits de douane devant les tribunaux pour bénéficier à leur tour, par ricochet, d’une éventuelle décision favorable. Ce n’est peut-être pas la meilleure stratégie puisque la Cour suprême, dans l’affaire Trump c. CASA , a jugé le 27 juin 2025 que les juges fédéraux outrepassaient leurs pouvoirs en suspendant l’application de textes de l’exécutif sur l’ensemble du territoire. En d’autres termes, les entreprises qui n’auront pas été parties au procès et qui considèrent de tels droits illégaux pourraient ne pas être en mesure d’en tirer pleinement profit.
La première des recommandations consiste à inciter les entreprises françaises qui viendraient à dénoncer les nouveaux droits de douane mis en place, directement ou par le biais d’organismes professionnels sectoriels, à se joindre aux recours judiciaires existants afin d’être certaines de bénéficier d’une décision qui suspendrait l’application de droits de douane jugés illégaux. Certes, le coût des procédures judiciaires aux États-Unis peut être prohibitif, ce qui freine bon nombre d’acteurs sur un marché donné. Cependant, participer à une action initiée permet d’en limiter le coût pour chaque partie engagée et bien entendu donne plus de poids aux actions entreprises.
Par ailleurs, les lois fédérales exigent que le gouvernement donne un préavis avant la mise en œuvre de certaines règles fédérales et permette au public de les commenter avant leur adoption officielle. Les entreprises françaises pourraient donc envisager de participer activement au processus de consultation préalable à la mise en œuvre de nouveaux droits de douane et de nouvelles réglementations. Ainsi, lorsque les États-Unis ont envisagé d’imposer des droits supplémentaires sur les fromages importés de France en 2020, l’Association de la transformation laitière avait soumis un commentaire officiel que le gouvernement fédéral devait prendre en considération avant de rendre sa décision.
Cette piste revient à mobiliser les entreprises européennes quant à la défense de leurs intérêts sur le marché américain. Nous y sommes moins habitués en Europe, mais une ère s’ouvre et les entreprises doivent s’organiser en conséquence.
Enfin tout porte à croire que la menace de l’augmentation des droits de douane par l’administration américaine n’est pas un instrument ponctuel pour réduire le déficit commercial. La menace de l’augmentation des droits de douane risque d’être utilisée à l’avenir comme arme politique. Il faut que les entreprises européennes acceptent de s’y préparer en anticipant les surcoûts financiers. Nos entreprises doivent désormais élaborer une véritable stratégie à long terme pour faire face aux éventuelles augmentations des droits de douane : réduction des coûts pour atténuer la concurrence, possibilité lors de l’élaboration des contrats de renégocier des prix avec les fournisseurs pour réduire la valeur en douane en première intention. Ainsi, c’est dans toute la chaîne de valeur que devront être envisagées la renégociation, l’imprévision ou encore la force majeure dans un contexte de forte évolution de la législation douanière américaine.
Jean-Claude Beaujour
Avocat au barreau de Paris, www.harlaylaw.com
Will Newman
Avocat au barreau de New-York, www.willnewmanavocat.com
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