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NovAsco, Blédina, Tessière,… Après une décennie de résistance, l’industrie française vacille pour la deuxième année consécutive. La crise budgétaire en France démoralise des patrons déjà pris en étau entre les Etats-Unis et la Chine, ont fait savoir les intervenants de la REF Thema Industrie, organisée mercredi 19 novembre, par le Medef.

La nouvelle est malheureusement tombée à point nommé. Lundi 17 novembre, alors que s’ouvrait la quatorzième édition de la Semaine de l’industrie, le couperet est tombé sur l’aciérie mosellane NovAsco : la liquidation judiciaire de trois de ses quatre sites va conduire au licenciement de 549 salariés.
Une page de 93 ans se tourne pour un fleuron de la sidérurgie française, exemple de la petite hécatombe qui secoue actuellement le paysage industriel hexagonal. Ainsi, la France devrait enregistrer en 2025 et pour la deuxième année consécutive davantage de fermetures d’usines que d’ouvertures, selon le bilan de L’Usine nouvelle. Disparition du fabricant de chaussures Clergerie, dans la Drôme. Fin annoncée de l’usine Blédina de Villefranche-sur-Saône d’ici l’été 2027. Fin des sirops Teisseire, à Crolles en Isère.
Un déclin inexorable pour ce secteur qui représente encore 13% du PIB et 3,3 millions d’emplois ? C’est la question sur laquelle se sont penchés les invités des débats de la REF Thema Industrie, organisée par le Medef, mercredi 19 novembre.
« Nous devons redevenir un pays d’ingénieurs et de producteurs ! », prêche Louis Gallois, ancien président de la SNCF, d’EADS et de PSA, actuel président de la Fabrique de l’industrie. Dans l’auditorium où se sont pressés les chefs d’entreprise, il rappelle que la désindustrialisation a pu être « enrayée » à partir de la deuxième moitié des années 2010. Ont suivi « sept à huit années avec un emploi industriel stable », précise l’ancien haut fonctionnaire. « Mais on n’a pas réenclenché cette réindustrialisation », tempère-t-il, rappelant que la balance commerciale des produits manufacturés est « déficitaire » et que « 65% des produits manufacturés consommés en France sont importés ». La tendance s’est inversée au milieu de l’année 2024, avec davantage de fermetures d’usines que d’ouvertures.
Avec le textile, l’agroalimentaire ou encore l’automobile, les secteurs de la sidérurgie et de la chimie ne sont pas non plus épargnés. Des PME mettent la clé sous la porte, notamment dans la région lyonnaise, alerte Henri Morel, président du groupe SFPI et de la commission Industrie de l’Union des Industries et Métiers de la Métallurgie (UIMM).
Cette vague de fermetures coïncide avec l’instabilité politique consécutive aux élections législatives anticipées, après la dissolution décidée par l’Élysée, interprète Patrick Martin. Pour le président du Medef, l’inquiétude patronale porte tout particulièrement sur les débats parlementaires autour du projet de loi de financement de la Sécurité sociale et du projet de loi de finances pour 2026, que l’Assemblée nationale a d’ailleurs quasi-unanimement rejeté dans la nuit du vendredi 21 novembre.

Ces débats « sont très préoccupants », affirme Patrick Martin, pointant pêle-mêle des discussions sur la fiscalité du capital visant les actionnaires et les investisseurs. Ou encore un amendement posant un gel des allègements de charges « qui risque de mettre en danger l’industrie française ». De même, le président du Medef appelle à un maintien du pacte Dutreil, critiquant la lecture qui a pu être fait du rapport de la Cour des comptes à ce sujet.
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« Le contexte politique rend les entreprises frileuses, les incite à réduire la voilure en matière d’investissements industriels et démoralise les entrepreneurs », estime pour sa part, Louis Gallois.
Toutefois, les causes de la déprime française ne sont pas qu’intérieures. La politique commerciale de Donald Trump, la guerre russo-ukrainienne, le poids écrasant de la Chine alimentent la crise de confiance qui plombe l’industrie française.
Pour Anne Lauvergeon, ancienne présidente d’Areva, la désindustrialisation de l’économie française est aussi à mettre sur le compte de décisions européennes. D’abord, l’adoption de la politique de concurrence, basée sur le modèle britannique, à contre-emploi d’un reste du monde « renforçant des conglomérats plus vastes ». Ensuite, la politique énergétique allemande, « imposée » au reste du continent, rendant l’électricité plus chère en France, « alors que 95% de l’électricité produite dans l’Hexagone est décarbonée », affirme l’actuelle présidente de la société de conseil ALP. Enfin l’absence de politique industrielle sur les énergies renouvelables, notamment face au dumping chinois.
Sans oublier, selon la PDG d’ALP, la transposition « directive » de décisions européennes, une normalisation « à tout crin », ralentissant la construction d’usines en France et une simplification « qui se fait attendre ».
Quelles solutions seraient les plus à-mêmes de redonner de l’allant à un secteur sujet à la morosité ? Pour nombre d’intervenants, comme pour le président du Medef, il faut une amélioration des compétences dans le secteur industriel. Cela passe en premier lieu par l’aboutissement de la réforme du lycée professionnel, avec un appel lancé à une féminisation des filières techniques et scientifiques, notamment en mathématiques, pour avoir plus massivement des ingénieures ou des techniciennes. Et ce, dans l’objectif de former et développer l’industrie du futur, autour du numérique et de la transition écologique.
Dans un rapport rendu public en octobre dernier, le Sénat a rappelé que la sous-représentation des femmes dans les parcours et les carrières scientifiques constituait « un enjeu d’égalité (…) mais aussi de compétitivité économique ».
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Autre solution, portée par le ministre de l’Industrie Sébastien Martin auprès des chefs d’entreprise présents dans l’auditoire : mettre en œuvre une politique de « préférence européenne ». Cela étant, pour Olivier Lluansi, professeur au CNAM, la désindustrialisation reste une « spécificité française et anglaise » et il faudrait « balayer devant notre porte » avant de porter ce type de message auprès des partenaires européens à Bruxelles. L’universitaire estime pour sa part qu’une protection comparable à celle opérée outre-Atlantique par Donald Trump auraient des effets déplorables, en raison de « l’imbrication de l’économie française et européenne dans le commerce international ». Si « protectionnisme » il y a, il faudrait tout du moins opérer « un ciblage d’activités industrielles à protéger », estime-t-il.
Par ailleurs, Olivier Lluansi attire l’attention, tout comme Louis Gallois, sur la question de l’orientation de l’épargne des Français, dont le taux est estimé à 20%, vers l’investissement productif. Cette égagne est actuellement dirigée vers l’immobilier ou l’assurance-vie, regrette l’ancien PDG de la SNCF.
Pour Louis Gallois, la politique de l’offre doit également être maintenue car elle a fonctionné pour stopper la désindustrialisation, estime-t-il. Ce qui signifie des exonérations de cotisations sociales, un maintien du crédit impôt recherche et d’aides publiques aux entreprises. Passées au crible l’été dernier, ces aides ont atteint 211 milliards d’euros en 2023 sans contrôle réel de la part de l’administration, avait souligné le rapport du Sénat sur la question. La commission d’enquête parlementaire avait appelé à un « choc de transparence et de rationalisation ».
Ces aides publiques mériteraient d’être davantage ciblées, notamment auprès des PME selon Nadine Levratto, directrice de recherche au CNRS. Pour cette dernière, l’essentiel des aides publiques bénéficie aux grands groupes, « parce qu’ils ont un savoir-faire pour les capter ». Pour lui répondre, le ministre de l’Industrie Sébastien Martin assure que Bercy mènera – avec les régions – une politique d’accompagnement auprès des PME.
Tout dépendra cependant de la teneur finale du budget. Ce qui promet encore des moments d’angoisse pour les patrons devant la complexité du débat parlementaire.
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