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AVEC AFP. La juridiction a proposé de diviser par deux le coût du dispositif, notamment en supprimant les biens non professionnels du régime de faveur et en instaurant un barème d’exonération progressif. Les représentants des patrons ne veulent pas y toucher, quand le gouvernement propose de simples « ajustements ».

La Cour des comptes a proposé ce mardi 18 novembre une réforme du pacte Dutreil, qui offre des conditions fiscales très avantageuses pour les transmissions d’entreprises familiales, dont elle juge le coût « élevé » pour des résultats économiques « peu discernables ».
Ce dispositif fiscal instauré en 2003 offre actuellement un abattement de 75 % sur la valeur de l’entreprise transmise, à condition d’une conservation de celle-ci par les héritiers pendant une période déterminée. La juridiction financière propose d’une part de « supprimer les mécanismes relevant de l’optimisation fiscale », d’autre part de revoir à la baisse le taux d’exonération.
Le coût de cette mesure, calculé en évaluant le manque à gagner pour le fisc par rapport à une transmission classique, s’est élevé à « plus de 5,5 milliards d’euros » en 2024, après 3,3 milliards en 2023, années marquées chacune par une « très grosse opération » de transmission, selon le rapport. Il était de 1,2 milliard d’euros en 2020 et 2021.
Pourtant, chaque année, faute d’évaluation précise – le rapport de la Cour des comptes est la première tentative de connaître précisément ces sommes –, le coût du pacte Dutreil est inscrit à 500 millions d’euros seulement dans les projets de loi de finances, somme portée à 800 millions en 2025.
Dans le même temps, la Cour détaille dans son rapport des « effets économiques favorables attendus (qui) ne sont pas observés ».
Dans ses recommandations, elle propose de supprimer les biens non professionnels du régime de faveur, et d’allonger l’engagement de détention de l’entreprise pour bénéficier de ses avantages. Des restrictions qui pourraient être faites « sans contredire l’objectif central du dispositif », indique le rapport.
Elle suggère aussi de rendre le barème d’exonération progressif, arguant que « le non-plafonnement de l’exonération partielle contribue à concentrer fortement la dépense fiscale sur les grands groupes ». La réduction ou suppression de l’avantage fiscal pour les entreprises du secteur réglementé ou non exposées à la concurrence internationale est également proposée. « Tout en réduisant le coût du dispositif pour les finances publiques, en consolideraient la légitimité en supprimant ses dispositions exagérément favorables et en ramenant son coût à un niveau plus acceptable au regard des résultats d’intérêt général qui peuvent lui être imputés », assure le document.
L’application de toutes les mesures préconisées « diviserait par plus de deux » le coût pour les finances publiques, a précisé le Premier président de la Cour des comptes Pierre Moscovici lors d’une conférence de presse.
« Je ne peux que souhaiter que les parlementaires s’emparent (du rapport) dans le cadre du débat budgétaire en cours », a ajouté Pierre Moscovici.
Il a regretté par ailleurs les fuites du rapport depuis plusieurs semaines, et que le ministère des Finances n’y ait pas répondu.
Alors que les réformes successives du pacte Dutreil sont toutes allées dans le sens « d’un assouplissement », selon lui, il a noté que les critères appliqués dans d’autres pays européens, dont l’Allemagne, pourtant soucieuse de la pérennité de ses entreprises familiales, étaient « plus resserrés ».
Il s’en est enfin pris aux récents propos de l’ancien ministre des PME Renaud Dutreil, qui avait donné son nom à ce dispositif. Après des fuites du rapport dans la presse, l’ancien ministre avait qualifié fin octobre la Cour des comptes « d’officine du Parti socialiste » ayant « un intérêt idéologique » à publier ce rapport.
« Une remise en cause infondée, indécente », voire « un signe de fébrilité », a lancé Pierre Moscovici.
Une analyse qui ne plait pas aux syndicats patronaux. Dans un communiqué commun, le Medef et le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (Meti) ont dénoncé « une évaluation qui passe à côté du rôle vital de la transmission d’entreprise pour l’économie ». Ils ont assuré que la Cour des comptes « n’a pas pris en compte l’ensemble des « externalités positives » du Pacte Dutreil sur l’économie », ce qui a abouti à des conclusions « partiales et partielles ».
Selon les organisations, le pacte Dutreil a permis de freiner la désindustrialisation du pays, avec un nombre d’ETI passé de 4 600 en 2008 à 6 800 aujourd’hui. « Ce sont autant d’investissements, de nouveaux projets industriels, d’emplois qualifiés et de recettes fiscales dont a pu bénéficier la collectivité », ont fait valoir les représentants des entreprises. Ces dernières ont également appuyé sur l’ « enjeu critique » que représente la transmission pour le tissu économique français de demain : « Plus d’une ETI sur deux doit changer de main dans les six années à venir, les décisions d’aujourd’hui engagent l’avenir de nos entreprises et de leurs salariés. »
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Le pacte Dutreil n’est d’ailleurs pas considéré comme une niche fiscale par le Medef et le Meti, qui soulignent que, malgré ce dispositif, « la transmission reste plus chère en France qu’ailleurs en Europe ». « Au regard des taux appliqués, la transmission d’une PME, d’une ETI ou d’un grand groupe familial serait impossible en France sans ce dispositif, les erreurs du passé l’ont démontré », ont mis en garde les organisations, redoutant, si une « fragilisation » venait à avoir lieu, un « affaiblissement durable du tissu productif français et de l’activité économique des territoire ».
Le ministère de l’Économie et des Finances a lui jugé, peu après la publication du rapport, « nécessaire de préserver » le dispositif fiscal du pacte Dutreil, avec quelques « ajustements » portant notamment sur l’inclusion de « biens somptuaires » dans les biens de l’entreprise transmise.
Bercy « considère que le dispositif est efficace et qu’il est nécessaire de le préserver, avec certains ajustements notamment sur les biens somptuaires pour lesquels il faudra ajuster le curseur », a fait savoir le ministère lors d’un point de presse téléphonique.
Le ministère a « salué le travail d’analyse de la Cour des comptes, précieux et complémentaire de l’action menée par Bercy ces dernières années », mais souligné « l’importance de préserver l’outil productif » et critiqué les calculs de la Cour.
« On ne peut réfléchir à équivalence ‘avec’ ou ‘sans’ le pacte Dutreil », a estimé le ministère, « puisque sans le pacte, la plupart des transmissions n’auraient pas été faites », neuf pactes Dutreil sur 10 concernant des donations, et non des successions.
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