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Depuis le 1er septembre et jusqu’aux municipales de mars 2026, la période de réserve pré-électorale est en cours. Pendant six mois, les communes doivent trouver l’équilibre en poursuivant leur habituelle communication institutionnelle sans qu’elle soit constitutive d’une « campagne de promotion publicitaire » proscrite par le Code électoral. Ce dernier étant relativement muet en la matière, c’est une jurisprudence fournie qui permet aux élus-candidats d’éviter des sanctions pénales ou électorales, mais la présence des collectivités sur les réseaux sociaux soulève aujourd’hui de nouvelles interrogations.
Une collectivité territoriale ou une commune qui décide de fermer les commentaires sous ses publications Facebook pendant la période de réserve pré-électorale est-elle dans son bon droit ? Une entreprise d’évènementiel peut-elle faire pour la première fois une ristourne à une commune ? Un maire candidat doit-il supprimer son édito habituel dans le journal de la ville ? Dans cet édito, peut-il mentionner des élections qui se déroulent en ce moment à l’étranger ? S’il inaugure un équipement, peut-il diffuser des photos de lui sur place ? Voici le type de questions que se posent les élus locaux et les communicants des collectivités territoriales dans le contexte pré-électoral.
Septembre a marqué le début de la période de réserve, qui s’étendra jusqu’aux élections municipales, du 15 au 22 mars 2026. Pendant cette période, « aucune campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d’une collectivité ne peut être organisée sur le territoire des collectivités intéressées par le scrutin », indique l’article L52-1 du Code électoral.
Cette règle vise principalement les élus sortants candidats à leur réélection et a pour but d’empêcher l’utilisation des moyens de la collectivité à des fins électorales, afin de garantir l’égalité entre tous les candidats. La notion de « collectivités intéressées »s’entend au sens large et concerne aussi bien les communes que les communautés de communes, les communautés d’agglomération, les métropoles ainsi que les organismes rattachés ou parapublics, tels qu’un office public de l’habitat ou une association où siègent des élus.
Le terme de « promotion publicitaire » n’étant pas défini par la loi, c’est la jurisprudence qui en précise les contours. Comme l’explique Maître Alexandra Aderno, avocate spécialisée en droit électoral, « faire une lettre ouverte à tous les administrés avec une énorme photo du maire pour leur dire qu’il est incroyable, qu’il a fait des choses formidables pendant six années, ça serait requalifié de campagne de promotion publicitaire immédiatement ». Au-delà de ce type d’exemple évident, il existe d’autres zones, plus floues et plus subtiles dans lesquelles la frontière entre « communication institutionnelle » et « campagne de promotion publicitaire » est moins claire et que le juge apprécie au cas par car, en s’appuyant sur un faisceau d’indices.
Premier élément du faisceau d’indices apprécié par le juge : l’antériorité de la communication. « Tout ce qui est fait en période de réserve doit déjà avoir été fait au cours du mandat », indique Me Aderno. Innover en lançant, par exemple, une édition spéciale d’un journal municipal peut s’avérer risqué. La régularité de la communication est le deuxième critère observé par le juge. « Tout ce qui était fait antérieurement doit être fait exactement dans les mêmes formes », poursuit Alexandra Aderno. La multiplication de photos d’élus pourrait par exemple faire pencher une décision en défaveur du candidat, en raison de l’ampleur de l’action de communication. Le dernier indice, celui de la neutralité, implique de s’en tenir à un propos très objectif ayant pour seul objectif d’informer les administrés. « Le juge apprécie si les propos tenus ont vocation à aller capter l’électeur plus que l’administré », résume l’avocate. Indépendamment du support, dresser un bilan de la collectivité intéressée est interdit, y compris si l’élu sortant ne se représente pas.
Le bulletin municipal est l’un des principaux moyens de communication des collectivités territoriales, notamment des mairies. Toutefois, l’édito du maire ne peut en aucun cas servir à annoncer sa candidature ni même à évoquer les élections à venir. « L’élu qui rappelle l’existence des municipales et invite à aller s’inscrire sur les listes appelle en quelque sorte au vote, même si ce n’est pas directement pour lui. C’est assez insidieux et ça peut être qualifié par le juge administratif comme étant contraire à la loi », explique Me Aderno.
L’avocate se rappelle un contentieux électoral marqué par plusieurs irrégularités. Entre autres,« l’édito du maire, [qui] faisait référence aux élections présidentielles américaines. Par le biais de ce sujet d’actualité, il rappelait l’importance d’aller s’inscrire sur les listes électorales pour 2020 ». Le juge administratif avait alors annulé le scrutin en estimant notamment que cette mention constituait un appel au vote. Le Conseil d’Etat était finalement revenu sur la position du tribunal.
Dans le journal de la ville, tout ce qui préexistait avant la période de réserve peut-être maintenu : l’édito du maire, les rubriques, les prises de parole d’élus…« On ne fait pas disparaître les élus d’un coup de baguette magique à compter du 1er septembre 2025, parce qu’on a des élections. Il ne faut pas oublier que ces élus le restent jusqu’à la fin de leur mandat », rappelle Rolande Placidi, ancienne directrice de cabinet et aujourd’hui avocate spécialiste en droit électoral. En vertu du principe de continuité du service public, les collectivités doivent continuer à communiquer, du moment que c’est fait « au nom de la ville » et non « au nom de la majorité ou de la municipalité ».
Les tribunes de libre expression des oppositions, qui constituent un droit reconnu aux conseillers municipaux, doivent être conservées. En amont des élections municipales de mars 2014, un maire avait retiré la tribune de libre expression des élus de l’opposition dans le dernier bulletin publié avant le scrutin. « Les élus de l’opposition ont démontré que ça portait atteinte à une liberté fondamentale et le juge a ordonné la publication d’un tiré à part. Au final, le maire, qui avait voulu invisibiliser l’opposition, l’a rendue encore plus visible »,rapporte Me Placidi.
L’organisation d’événements fait également partie des éléments qui ont donné lieu à une abondante jurisprudence. Là aussi, le faisceau d’indices s’applique : les cérémonies, comme les inaugurations ou les fêtes locales, peuvent être organisées dès lors qu’elles se tiennent selon leur périodicité et leurs modalités habituelles, sans être avancées, retardées ni exceptionnellement amplifiées. Dans tous les cas, la prudence est de mise. « Il faut organiser l’inauguration à la date de mise en service de l’équipement et non pas deux ans après. Il faut également faire attention à la façon dont l’événement sera ensuite relayé sur les réseaux sociaux ou dans les magazines institutionnels et privilégier des photographies champ large sur lesquelles l’objet de la photo est l’équipement inauguré et non pas l’élu. » Attentif à chaque détail, le juge fait une appréciation in concreto.
Parfois, hasard du calendrier, un événement exceptionnel comme l’ouverture d’un musée à résonance nationale surgit pendant la période de réserve. Malgré tout,« si la pratique est institutionnalisée dans la collectivité, il serait quand même assez logique qu’un tel équipement soit inauguré, souligne Me Aderno. Il faudra alors peut-être modérer un tout petit peu les festivités par rapport à ce qui a pu être tenu les années passées : si on fait venir Maître Gims, qu’on tire un feu d’artifice et qu’on fait un lâcher de colombes, c’est peut-être un peu beaucoup pour une inauguration en période de réserve. »L’idée va être d’essayer de trouver un équilibre notamment en se basant sur le budget qu’on consacre traditionnellement à une inauguration. En conservant l’exemple du musée à résonance nationale, « évidemment qu’on peut dépasser les budgets qu’on consacre habituellement à l’inauguration d’un stade ou d’une école, mais sans non plus le multiplier par trois » conclut l’avocate.
Autre point de vigilance concernant les événements : les discours prononcés à l’occasion des vœux, d’une inauguration ou de l’ouverture d’une fête doivent rester informatifs et objectifs. Ils peuvent comporter des données chiffrées, mais ne doivent en aucun cas mentionner les élections ni inclure de références à des thèmes de campagne ou à des projets que l’élu en place pourrait mettre en œuvre après la date des élections.« En 1995, le juge disait ‘le contenu doit être strictement informatif, général et dénué de caractère polémique et partisan.’ Et dans une décision de 2022, il dit ‘le contenu doit être strictement factuel et dénué de caractère polémique ou partisan.’ En fait, c’est de la dépêche AFP », résume Me Placidi.
Aujourd’hui, les collectivités doivent également faire attention à leur communication en ligne. C’est à cet endroit que quelques « petites incertitudes » subsistent, jauge Me Placidi, et que de nouvelles questions émergent. Par exemple, pour apprécier l’amplitude d’un post Facebook, « il ne suffit pas d’additionner le nombre d’abonnés de ceux qui ont liké le post litigieux, il faut démontrer que la publication a touché des électeurs. Les réseaux sociaux ont un effet déformant. C’est à nous, certainement, avocats spécialisés dans le contentieux électoral, d’aller chercher, si par exemple les personnes qui ont liké la publication habitent la commune pour laquelle on conteste l’élection et de mettre le doute dans l’esprit du magistrat ».
Comme dans les bulletins municipaux et pour les événements, le faisceau d’indices s’applique et il s’agit de rester particulièrement prudent, notamment sur Facebook, premier réseau social des collectivités territoriales. Pour Pierre Renaud, stratège numérique et responsable de la communication numérique de Saint-Dizier,toutes les collectivités ont tendance à diminuer leur communication pendant la période de réserve.« Au mois d’août, j’ai envoyé un message aux personnes qui gèrent la vingtaine de pages Facebook de la ville pour leur rappeler qu’à partir du 1er septembre, il y avait des choses qu’on n’allait plus faire ou qu’on allait faire autrement. Par exemple, on a décidé de ne pas relayer les publications des élus, alors qu’on le faisait jusque-là. Et lorsqu’on partage les photos d’une inauguration par exemple, on fait en sorte qu’ils ne soient pas sur la première photo mais sur la cinquième ».
Pierre Renaud est également administrateur d’un groupe Facebook ouvert à tous les professionnels de la communication numérique dans la fonction publique. Dernièrement, une nouvelle question a été soulevée : faut-il ou non fermer les commentaires sous les publications Facebook d’une collectivité pendant la période de réserve ? La question n’a a priori pas encore été tranchée par le juge mais le communiquant a son avis, qu’il a exprimé dans un récent post Linkedin. « Finalement, on peut imaginer que si on regarde la loi et la jurisprudence qui existe, fermer les commentaires alors qu’ils étaient ouverts jusque-là, c’est peut-être une forme de censure. Après, tant que ça n’a pas été tranché, on ne peut pas savoir de quel côté va pencher la balance », nuance Pierre Renaud.
Au-delà de la communication au sens strict, un second volet des règles de la période de réserve concerne le financement. L’article L 52-8 du Code électoral interdit les dons des personnes morales au profit de candidats, à l’exception des partis politiques. La notion de « don » n’étant pas précisée par la loi, c’est la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) qui en a donné une interprétation large. « Les dons, c’est à peu près tout », résume Alexandra Aderno : cela peut aller d’une action de communication menée par une commune au bénéfice d’un élu candidat, à un rabais accordé par une entreprise d’événementiel à une collectivité, en passant par la transmission d’un fichier d’abonnés par un délégataire de service public, la distribution de tracts par des agents municipaux sur leur temps de travail ou encore l’utilisation de la photothèque municipale par un maire pour illustrer des documents de campagne. Une opération de communication peut donc constituer à la fois une campagne publicitaire prohibée et un don prohibé.
En cas de non-respect des règles, les candidats s’exposent à des sanctions financières, pénales ou électorales. Le juge de l’élection peut notamment annuler le scrutin si des irrégularités sont constatées et qu’il existe un faible écart de voix. Dans les faits, ces sanctions ne sont toutefois pas toujours synonymes de perte de mandat. « Dans 98 % des cas, l’élu qui a vu son élection annulée est réélu à l’issue du scrutin suivant », souligne Me Aderno. Par ailleurs, si des dépenses omises sont réintégrées au compte de campagne et que celui-ci dépasse alors le plafond autorisé, le candidat élu risque le rejet de son compte par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), ainsi qu’une peine d’inéligibilité. Le rejet du compte entraîne aussi la perte du remboursement forfaitaire par l’État, obligeant le candidat à assumer seul l’ensemble de ses frais de campagne.
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