Article précédent

Le Premier ministre a joué gros, mardi 14 octobre, lors de son discours de politique générale. Entre la réforme des retraites et le budget 2026, ce dernier devait convaincre une opposition déjà sur le pied de guerre. À deux jours du vote des motions de censure, son gouvernement pourrait devenir le deuxième plus éphémère de la Ve République – après avoir déjà signé le plus court mandat de l’histoire.
Pour son premier mandat d’une journée, il n’en avait pas eu l’occasion, mais cette fois, Sébastien Lecornu aura finalement bien pu prononcer son discours de politique générale, le tout en un peu plus de trente minutes.
Face à une Assemblée nationale plus que jamais fracturée, l’ex-nouveau Premier ministre était attendu au tournant, ce mardi 14 octobre 2025. Entre la question toujours sensible de la réforme des retraites, la préparation du budget 2026 ou encore sa récente démission, Sébastien Lecornu se trouvait dans une position délicate, d’autant que plusieurs partis – le Rassemblement national (RN) comme La France insoumise (LFI) – avaient déjà annoncé, dès lundi, le dépôt d’une motion de censure.
Dès les premières minutes, le ton était donné. Conscient de la gravité de la situation, le Premier ministre a voulu y voir un levier plutôt qu’un obstacle : « Il faut savoir tirer des bienfaits d’une crise », a-t-il lancé, évoquant les multiples défis auxquels fait face le pays – politique, économique, sanitaire, environnemental et international. Et de justifier son retour après sa démission : « J’ai accepté la mission que m’a confiée le président de la République, parce que la France doit avoir un budget, parce qu’il y a des mesures d’urgence à prendre sans attendre. C’est un devoir. Je l’accomplirai sous certaines conditions, qui découlent naturellement de la composition de cette Assemblée. »
Plus qu’une crise, Sébastien Lecornu dit voir une transformation profonde : « Nous changeons de monde », a-t-il affirmé, estimant que dans ce contexte, « soit on change, soit on disparaît ». Sous les huées d’une partie de l’hémicycle, il a défendu la création d’un « gouvernement de mission », qui « n’agira qu’avec l’Assemblée et le Sénat » et incarnant « le renouvellement », avec l’entrée « d’experts parmi les plus compétents de notre pays ». Le tout en forme d’appel à l’unité : « À nous, au-delà des divergences et des écoles de pensée, de faire vivre ce qu’il est encore possible d’accomplir ensemble. »
« Je fais des pas en avant, à chacun aussi d’en faire. » Le temps de Sébastien Lecornu est à la concession et dès les premières minutes, l’ancien ministre des Armées a affiché sa volonté d’apaisement et de dialogue. Premier pas, et non des moindres : le partage du pouvoir avec le Parlement. Une promesse déjà formulée lors de son précédent et très court passage à Matignon, mais cette fois, elle a été réaffirmée avec force : « Partager le pouvoir avec le Parlement, voici incontestablement une rupture. » Et dans ce sens, le Premier ministre a confirmé qu’il renonçait à l’usage du très controversé article 49.3, garantissant que « le Parlement [aurait] le dernier mot » sur le budget.
« C’est la garantie pour l’Assemblée nationale que le débat, notamment budgétaire, ira jusqu’au bout, jusqu’au vote », a-t-il insisté, avant de lancer aux députés : « En renonçant au 49.3, il n’y a plus de prétexte pour une censure. N’est-ce pas ce que vous vouliez ? J’avais promis une rupture, en voici une. » Et martelant : « Le gouvernement proposera, nous débattrons, vous voterez. »
Deuxième pas, celui du budget. « Alors, que contient ce budget initial ? » a interrogé Sébastien Lecornu avant de répondre lui-même. « Une maîtrise des comptes publics qui réduira le déficit. Dans la copie proposée par le gouvernement, il est réduit à 4,7 % du PIB contre 4,6 % suite au retrait de la suppression des deux jours fériés », a souligné le Premier ministre. « Dans tous les cas de figure, à la fin de la discussion budgétaire, ce déficit devra être à moins de 5 % du PIB. Nous ne pouvons pas placer notre pays en dépendance durable de prêteurs étrangers », a-t-il insisté, promettant : « Je ne serai pas le Premier ministre d’un dérapage des comptes publics. Aussi, dès 2025, nous aurons respecté les 5,4 % de déficit prévus par mon prédécesseur. »
Le chef du gouvernement a également annoncé une « contribution exceptionnelle » des très grandes fortunes destinée à financer les investissements d’avenir – infrastructures, transition écologique, défense – ainsi que des « hausses d’impôts ciblées et exceptionnelles » pour certaines grandes entreprises. En parallèle, des baisses sont prévues pour d’autres, dans un souci d’équilibre : « Mieux répartir les efforts entre contribuables et préserver notre modèle de redistribution. » Soucieux de valoriser le mérite des travailleurs, il a aussi plaidé pour la création de parcours permettant « aux salariés en bas de l’échelle de devenir agents de maîtrise ou cadres », invitant le ministre du Travail à ouvrir des négociations par branche dès l’automne.
Troisième et dernier pas, sans doute le plus symbolique : la suspension de la réforme des retraites de 2023 jusqu’à la prochaine élection présidentielle. Une décision capitale, alors que le Parti socialiste menaçait de déposer une motion de censure si cela n’était pas fait. Sébastien Lecornu a détaillé : « Aucun relèvement de l’âge n’interviendra à partir de maintenant jusqu’à janvier 2028, comme l’avait demandé la CFDT. La durée d’assurance restera fixée à 170 trimestres jusqu’à cette date. » Face à un Olivier Faure visiblement satisfait, le Premier ministre a tout de même tenu à tempérer : « Je n’endosserai pas n’importe quoi. » Car le coût de cette suspension est estimé à 400 millions d’euros en 2027 et concernera 3,5 millions de Français, « elle devra donc être compensée par des économies. Elle ne pourra pas se faire au prix d’un déficit accru », a-t-il prévenu. Avant de conclure, sur un ton mesuré : « Cette suspension doit installer la confiance nécessaire pour bâtir de nouvelles solutions. Ce n’est ni renoncer, ni reculer. »
Prochainement, dans le même esprit que le conclave sur les retraites, Sébastien Lecornu a proposé l’organisation d’une « conférence » sur les retraites et le travail, en accord avec les partenaires sociaux, afin d’aborder « l’ensemble de la gestion du système de retraite », d’« améliorer les retraites des femmes » et de lutter contre la pénibilité au travail. Cette conférence, a-t-il précisé, « aura le temps de se prononcer avant l’élection présidentielle » de 2027, « sinon, il appartiendra aux candidats à l’élection présidentielle de faire leurs propositions et aux Français de les trancher ».
Autre dossier majeur : la Nouvelle-Calédonie. La fin des accords de Nouméa a laissé, selon le Premier ministre, « un vide institutionnel qu’il faut combler pour permettre la paix sur le Caillou ». L’accord de Bougival, qui cherche à offrir un cadre durable pour organiser la vie politique, économique et sociale du territoire, signé le 12 juillet, « doit être transcrit dans la Constitution », a-t-il affirmé, rappelant que le projet de loi constitutionnelle avait été présenté le matin même en conseil des ministres. Ce texte, qui prévoit notamment la création d’un « État de la Nouvelle-Calédonie » inscrit dans la Constitution française, devrait être adopté avant la fin de l’année, afin que les Calédoniens puissent être consultés au printemps 2026. « C’est une urgence », a-t-il insisté, avant d’ajouter : « Ce serait une erreur de croire que la Nouvelle-Calédonie est un cas à part. La question des outre-mer se pose aussi avec la même urgence. »
Deux autres projets de loi sont déjà prêts, a-t-il précisé : l’un sur la « vie chère » dans les outre-mer, l’autre sur la Corse, fruit de deux années de discussions. « Là aussi, l’Assemblée nationale et le Sénat débattront et trancheront. »
Plus largement, Lecornu a annoncé un projet de loi attendu pour décembre, visant à « renforcer le pouvoir local : un nouvel acte de décentralisation ». L’objectif, a-t-il expliqué, est de « réformer l’État de manière globale et d’améliorer le fonctionnement de tous nos services publics ». « Quel doit être le niveau de décision local ? Qui est responsable de quoi ? Je proposerai un principe simple : l’identification d’un seul responsable par politique publique. Il s’agira soit d’un ministre, soit d’un préfet, soit d’un élu », a-t-il soulevé. Avant d’ajouter : « Il ne faut pas décentraliser des compétences. Il faut décentraliser des responsabilités, avec des moyens budgétaires et fiscaux, et des libertés, y compris normatives. »
Et de conclure en insistant sur la nécessité d’agir vite : « Il y a urgence ! Urgence pour tenir le calendrier budgétaire. Urgence pour renforcer le dialogue social. Urgence, avant les élections municipales, de mieux répartir les compétences et réformer l’État. Nous pouvons y arriver dans les mois qui viennent, si vous le voulez, chers parlementaires, mettre fin à cette crise. » Face à une opposition interpellée, Sébastien Lecornu a prévenu : « Les seuls qui se réjouiraient d’une crise, d’une panne budgétaire de la France, ne sont pas les amis de la France. »
Sous les applaudissements de l’hémicycle, le Premier ministre a conclu son discours sur une note volontariste : « Osons ! Il suffit de faire un pas. C’est comme cela que l’on avance. » L’avenir de son gouvernement se jouera désormais jeudi 16 octobre, lors de l’examen des motions de censure.
THÉMATIQUES ASSOCIÉES
Infos locales, analyses et enquêtes : restez informé(e) sans limite.
Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.
0 Commentaire
Laisser un commentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *