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En 2025, l’argent est toujours un sujet tabou au sein de la société, des familles et du couple. Comment lever ces freins persistants et permettre aux femmes d’accéder à l’égalité et à l’indépendance économique ? Autant de sujets évoqués lors de la conférence “L’argent au féminin : pourquoi les hommes sont-ils plus riches que les femmes”, organisée par l’association Regards de Femmes.

Le public (féminin) a largement répondu présent à l’invitation de Michèle Vianès, présidente de l’association Regards de Femmes, ce mardi 18 novembre. Et pour cause : les inégalités financières entre les femmes et les hommes sont une thématique ancienne, bien connue…et toujours d’actualité. C’est aussi un sujet essentiel comme le rappelait la présidente en introduction, puisque « parler d’argent, c’est parler d’égalité, de liberté, de pouvoir d’agir pour les femmes ». Un empowerment économique indispensable pour que l’égalité soit la norme et que les femmes prennent le contrôle de leurs choix financiers.
Au fil de la soirée, les expert·es se sont relayé·es pour évoquer les puissants stéréotypes sur l’argent qui pèsent sur la famille et le couple, l’impact économique de la maternité, ou encore les différences de patrimoine entre hommes et femmes. Des écarts qui créent une emprise économique sur les femmes, trop longtemps demeurés un angle mort des violences envers les femmes. « Quand l’argent devient un moyen de contrôler les choix, limiter les dépenses et restreindre l’autonomie, il fragilise la liberté d’agir et de décider », a martelé Michèle Vianès.
Pour Nicole Prieur, philosophe, thérapeute et spécialiste des questions d’argent et de la famille, le processus d’inégalité entre hommes et femmes en matière d’argent se met en place très tôt dans la vie et ne fait que s’amplifier au fil des étapes de vie, pour aboutir à un lent mais inévitable appauvrissement des femmes. Chiffres de l’INSEE à l’appui : 80 % des personnes en situation de pauvreté sont des femmes.
Les explications sont nombreuses : si les filles ont (en moyenne) de meilleurs résultats scolaires que les garçons, elles s’orientent plus souvent vers des carrières moins rémunératrices, notamment dans le secteur de l’éducation ou du social. À l’âge adulte, pour les mères, c’est la « pénalité de maternité » qui se met en place dès le premier enfant en raison du travail à temps partiel pris le plus souvent par la mère pour s’occuper du foyer.
L’usage genré de l’argent dans le couple continue de creuser ces écarts : « les hommes achètent des biens durables comme une voiture, tandis que les femmes gèrent l’économie du quotidien, ou “économie de pots de yaourts” ». Une gestion « genrée » qui a des conséquences lourdes en cas de divorce pour les femmes qui n’ont pas constitué d’épargne ou de patrimoine pendant le mariage. « Lors d’un divorce, qui solde un mariage sur deux environ, la femme perd 20 % de son niveau de vie, quand l’homme perd 2 % », rappelle Nicole Prieur.
Actuellement, les femmes divorcées qui bénéficient d’une pension alimentaire sont pénalisées fiscalement, puisque la somme perçue est imposable au nom de celui qui la reçoit. Une proposition de loi déposée le 30 septembre dernier vise à défiscaliser ces pensions pour lutter contre la précarité des familles monoparentales, qui comptent à leur tête une très grande majorité de femmes (82%).
Même au moment d’hériter, les inégalités persistent. Les garçons héritent davantage de biens susceptibles de prendre de la valeur, tandis que les filles héritent de liquidités, beaucoup plus volatiles. Là encore, l’INSEE met en évidence des différences de patrimoine entre les hommes et les femmes, qui ne cessent de s’amplifier : alors que les hommes avaient une épargne plus élevée de 7000 € en 1998, la différence atteignait 24 500 € en 2015.
Kathie Werquin-Wattebled, directrice régionale de la Banque de France en Auvergne-Rhône-Alpes, explique en partie cette iniquité par les carences en éducation financière chez les jeunes Français, qui pénalisent surtout les femmes. Celles-ci ont aussi été sensibilisées à la question financière plus tardivement : il faut attendre 1965 pour que les femmes mariées puissent ouvrir un compte bancaire sans l’aval de leur époux. Et les habitudes ont la vie dure : 25 % seulement des femmes mariées ont un compte bancaire personnel en 2025.
L’autre pénalité financière majeure qui pèse sur les femmes, c’est le fameux « plafond de mère », une perte de revenus d’environ 38 % constatée dès la naissance du premier enfant. Comme l’explique Sara Kebir, vice-bâtonnière du Barreau de Lyon, il est nécessaire de questionner la volonté de travailler à temps partiel pour s’occuper de son enfant : « Est-ce un choix délibéré, une décision poussée par le fait que la perte de revenu de la femme sera moins conséquente que celle de son conjoint, ou un biais culturel et social tellement intégré que les femmes ne questionnent plus ce coup d’arrêt mis à leur carrière ?»
Au-delà de la perte de salaire induite par le temps partiel, les femmes s’éloignent des moments informels de l’entreprise comme les team building. En quittant leur poste plus tôt pour assurer la garde des enfants, elles sont aussi absentes pour les gestions de crise ou les gros dossiers à gérer. Autant de moments cruciaux pour créer du lien avec son équipe, prouver ses compétences et faire évoluer sa carrière, donc son salaire. Selon Sara Kebir, « préparer le retour de congé maternité n’est pas suffisant : il faut aussi préparer le départ », soit la passation des dossiers, la gestion des sujets en cours et la volonté (ou non) d’être tenue informée des sujets majeurs en son absence.
Bérengère Couillard, ancienne Ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les Femmes et les Hommes et présidente du Haut Conseil pour l’Égalité entre les Femmes et les Hommes, a conclu cette soirée d’échanges en rappelant que pour faire de l’égalité financière une réalité, il est indispensable de lutter contre le sexisme dès le plus jeune âge, notamment à travers l’éducation donnée aux enfants. « Les garçons sont poussés au défi, à aller vite, à se dépasser alors qu’on demande aux filles d’être sage, de s’occuper de la fratrie ». Autant de biais qui ancrent les différences de comportements dès l’enfance et constituent un terreau fertile pour les inégalités.
Autre point de vigilance : la nécessité de développer les solutions de garde et l’attrait des métiers de la petite enfance, pour donner aux jeunes mères la possibilité de concilier vie de famille et vie professionnelle. Avant de conclure sur l’importance de l’éducation financière dans nos écoles pour lever définitivement le tabou autour de l’argent et éduquer les filles comme les garçons. Et donner à chacun les clés de son autonomie financière.
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