Procédures préventives : l’équilibre fragile entre intérêt social, intérêt du groupe et intérêt des actionnaires

Vendredi 10 octobre avaient lieu les 12e Assises de la prévention des difficultés des entreprises, au sein de l’Université Jean-Moulin Lyon 3. Au programme : trois tables rondes animées par des avocats, des professeurs et des administrateurs judiciaires pour évoquer les procédures préventives sous tous leurs aspects.


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Tania Messaoudimardi 21 octobre5 min
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C’est devant un parterre d’étudiants en droit, d’avocats, d’acteurs de la finance et de dirigeants qu’ont eu lieu ces Assises, organisées sous la direction scientifique de Nicolas Borga, professeur à l’université et directeur de l’IDEA (Institut de Droit et d’Économie des Affaires). Une table ronde vient conclure les Assises. Son thème : Comment trouver l’équilibre entre intérêt social, intérêt du groupe et intérêt des actionnaires dans le cadre d’une procédure préventive ? Après de premiers échanges consacrés aux procédures préventives dans le cadre d’un groupe national ou international, et une table ronde sur l’efficacité de ces procédures face aux modalités de financement du groupe, les arguments se rejoignent sur l’importance des efforts partagés pour la réussite de ces procédures.

Procédure préventive : l’importance de la pédagogie

Une question incontournable, selon Thibaut Duchesne, modérateur de la table ronde, professeur à l’université et directeur du master Droit des affaires approfondi à Lyon 3 : « Quand une procédure préventive est mise en place, l’objectif consiste à désamorcer les difficultés présentes ou à venir, en ménageant autant que possible les intérêts en présence. » Or, lorsque ces procédures visent une ou plusieurs sociétés membres d’un groupe, les intérêts des créanciers et des fournisseurs viennent s’ajouter aux intérêts de la société mère, de la filiale, ou encore des actionnaires de chacune de ces sociétés.

Avant de donner les clés de l’équilibre, Thibaut Duchesne précise la difficulté de conjuguer intérêt social, intérêt des actionnaires et intérêt du groupe au sein des procédures collectives, ces intérêts étant à la fois « difficiles à cerner et bien souvent opposés ». Un constat remis en perspective par les évolutions récentes du droit des sociétés, puisque la loi PACTE du 22 mai 2019 est venue réaligner les intérêts de tous ces acteurs. En effet, le nouvel alinéa 2 à l’article 1833 du Code civil indique que « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux du rendement de son activité ». Un article qui lie, selon le professeur, l’intérêt de l’entreprise et l’intérêt social à long terme car « sur la durée, le groupe, la société, les actionnaires minoritaires ou non : tous ont intérêt à la prospérité de l’entreprise ».

La notion d’effort partagé au cœur des procédures préventives

Mais dans les faits, l’alignement de ces intérêts est loin d’être évident. Selon Ludivine Sapin, administratrice judiciaire, « quand on parle de difficultés financières, les intérêts peuvent diverger y compris au sein d’une même communauté d’intérêts naturels composées des actionnaires, des obligataires, et des sociétés ». Selon elle, la clé réside avant tout dans la notion d’effort partagé : l’effort des obligataires, des créanciers, des actionnaires, mais aussi l’effort de l’entreprise qui doit proposer un plan de restructuration crédible et cohérent, notamment à ses créanciers tiers et actionnaires, pour affirmer la capacité du groupe à mener une restructuration de terrain.

Lyon III accueillait, le 10 octobre, avocats, professeurs et administrateurs judiciaires, autour du thème des procédures préventives. ©TM

La situation se complexifie avec la notion de groupe : quel est l’intérêt des sociétés individuelles du groupe à partager les efforts avec leur société sœur en difficulté, en France ou à l’étranger ? Comment le management peut construire un plan de restructuration préservant l’activité de certaines filiales et désolidarisant le sort d’autres filiales ? Là encore, si l’intérêt social doit être préservé, il arrive que les intérêts des actionnaires ne soient pas homogènes.

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Au stade de la procédure amiable, la préservation de la valeur pour tous doit permettre d’unir les volontés et faire converger les intérêts : l’intérêt des obligataires à se faire rembourser, celui des sociétés à fonctionner, et celui des actionnaires à préserver leurs valeurs. « Dans les procédures amiables, c’est surtout de l’humain », ponctue Thibaut Duchesne, soulignant l’importance de la pédagogie et de l’écoute à cette étape du dispositif : « On réalise très peu de droit. »

La suggestion, quand la procédure préventive ne suffit pas

Quand ces mécanismes amiables s’avèrent insuffisants, d’autres leviers sont activés, comme le précise Maître Charles Croze. La suggestion, faite par les mandataires, les conciliateurs, les conseils, consiste à proposer des évolutions du périmètre de la procédure, quand il y a un certain nombre de difficultés a priori insurmontables. Il peut s’agir d’une société exclue du périmètre des procédures de conciliation amenée à fournir un effort, ou de suggestions sur les outils juridiques des droits des sociétés. Subordination ou non, compte courant bloqué, obligation : l’objectif est évidemment de ménager l’intérêt du plus grand nombre en limitant les conséquences de la procédure.

En dernier recours, Maître Charles Croze évoque la possibilité de « faire miroiter que sans accord négocié, d’autres procédures seront engagées, potentiellement moins avantageuses que les suggestions faites jusqu’ici ». Si les deux premiers leviers suffisent souvent à régler les problématiques des entreprises, dans certaines situations, il est nécessaire d’avoir recours à des dispositifs plus contraignants, tels que les délais forcés ou les reports d’exigibilité. Une solution qui intervient notamment quand un actionnaire refuse de suivre l’effort commun permettant à la procédure d’aboutir favorablement, alors que les autres actionnaires y consentent. « Dans ces cas-là, il est possible de contraindre l’associé dit “récalcitrant” et parvenir, malgré son opposition, à la restructuration globale. »

En guise de conclusion, Charlotte Fort insiste sur la complexité de protéger l’intérêt social, celui des actionnaires et du groupe, avec des acteurs qui peuvent prendre différentes formes. PME, groupe industriel, groupe financier type LBO (Leveraged Buy Out) pour les entreprises, actionnaires classiques, actionnaires dirigeants, créanciers, actionnaires finaux, garants… L’idée qui prévaut est qu’il n’existe pas de solution globale mais un traitement « au cas par cas », qui fait la part belle à la conciliation et à la pédagogie.

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