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Le salon français des technologies et de l’innovation du droit, qui s’est tenu les 25 et 26 novembre 2025 à Paris, portait l’espoir d’une filière juridique en phase avec les outils technologiques. Un enjeu crucial pour les avocats. Julie Couturier, présidente du Conseil national des barreaux (CNB), y a notamment réaffirmé son souhait de voir émerger une intelligence artificielle éthique et française.

L’intelligence artificielle, bientôt un outil incontournable pour tous les avocats ? Cette réalité semble lointaine, tout comme les scénarios alarmistes annonçant la disparition de professions entières. Une chose est sûre cependant : maîtriser ces technologies est devenu un enjeu central, autant pour simplifier les tâches les plus chronophages que pour éviter de rester à quai face aux mutations en cours.
Un virage que le Conseil national des barreaux (CNB) entend bien négocier. Sa présidente, Julie Couturier, était présente le 26 novembre dernier à la neuvième édition des RDV des transformations du Droit, à la Cité des sciences et de l’industrie. Elle y a défendu l’idée d’une IA éthique et souveraine, alors même que le salon mettait en avant la présence de Microsoft, venu animer plusieurs ateliers à destination des directeurs juridiques.
Le géant américain leur a présenté Copilot, son outil d’IA générative. En juin dernier, une importante faille de sécurité détectée dans le code de cet outil avait été révélée, « sans fuites de données pour les clients », avait assuré Microsoft. Interrogé sur ses solutions et sur sa participation à l’événement, le groupe n’a, pour l’heure, pas répondu à nos questions.
Au même moment se tenait la table ronde « Souveraineté culturelle et défense du droit continental », réunissant Geoffroy Cailloux, chef du Service de l’Économie de proximité à la Direction générale des entreprises, Thomas Saint-Aubin, coordinateur du projet européen Legal Data Space, et Julie Couturier.
Modérée par François Girault, président de la commission Prospective et innovation du CNB, la discussion a porté sur les enjeux stratégiques de souveraineté numérique.

L’ancienne bâtonnière du barreau de Paris a rappelé que la souveraineté numérique n’est pas un simple débat technique, mais une condition essentielle « de l’indépendance des avocats, de la protection du secret professionnel, de la pérennité de notre modèle juridique, et, plus largement, de la pérennité de notre État de droit ». L’avocate a soutenu l’idée que « défendre la souveraineté juridique française et européenne, c’est défendre ce que nous sommes » et « ce en quoi nous croyons », en premier lieu l’État de droit et le respect du secret professionnel.
Comment le gouvernement appréhende-t-il cet enjeu ? Pour Geoffroy Cailloux, l’IA constitue un défi immense, porteur d’un potentiel économique considérable. Il a estimé qu’elle pourrait « à terme » permettre de doubler la croissance du pays, à condition de réussir à diffuser ces outils au sein des professions juridiques. Le droit, a-t-il affirmé, est même l’un des « fers de lance » de la transformation économique liée à l’intelligence artificielle. Selon lui, les métiers du secteur sont en avance : leur taux d’appropriation de l’IA atteint environ 40 %, contre 25 % dans les PME françaises.
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Si l’usage progresse, encore faut-il garder la main sur ce qui nourrit ces outils. Pour Thomas Saint-Aubin, la question des données est centrale. Il a rappelé que leur exploitation doit respecter les principes déontologiques, l’occultation des magistrats, et plus largement les règles qui encadrent la justice. « Il faut donner aux juristes les clés pour qu’ils deviennent les gardiens de la souveraineté numérique », a-t-il insisté. Cela suppose donc de créer des espaces de données – éventuellement européens – qui respectent le droit par construction, afin d’instaurer « un cadre de confiance pour échanger des données dans le respect du droit ».
Comment cela se traduit-il concrètement ? « Aujourd’hui, a-t-il expliqué, des avocats sont intégrés aux data spaces pour partager des corpus et des dossiers entre pairs. Car ce qui est largement accessible en « open access » reste très dominé par la production anglo-saxonne, portée par un grand nombre d’universités américaines fortement incitées à publier, un effort bien moindre en France. »
Julie Couturier a rebondi sur ces propos en rappelant que l’enjeu dépasse largement la seule technique : « Je pense qu’on a vraiment besoin de tous pour nourrir la machine avec de la donnée de droit civiliste. On travaille aussi, notamment avec la Cour de cassation, sur des réflexions communes autour de la déontologie partagée entre avocats et magistrats à l’heure de l’intelligence artificielle. Sous l’égide du Conseil consultatif conjoint de la déontologie de la relation avocat–magistrat, nous avons d’ailleurs produit un rapport. »
Elle a tenu à préciser le rôle spécifique du CNB, distinct de celui des ordres : « En tant que régulateur, nous accompagnons nos confrères dans l’appréhension des usages de l’IA. Les ordres, eux, ont un rôle presque plus opérationnel que le nôtre, avec des partenariats très concrets. Le bâtonnier de Paris, notamment, s’est beaucoup investi pour conclure des accords avec différents acteurs afin d’éviter la fracture numérique, qui demeure l’un de nos sujets majeurs. Nous partageons tous le même objectif : empêcher que cette fracture ne s’installe. »
Questionnée par le JSS, Julie Couturier a enfin rappelé le sens politique de cet engagement : « Je milite pour une IA souveraine et éthique, qui porte les valeurs du droit civiliste. C’est tout l’enjeu des alliances entre l’État et l’écosystème privé, dans lesquelles nous nous inscrivons. Parce que cela pose aussi, et avant tout, la question du secret professionnel, qui est absolument central pour nous », précise celle qui préférait « idéalement » des serveurs français plutôt qu’américains.
Pour conclure la discussion, Geoffroy Cailloux a annoncé le lancement prochain d’un « programme France Legal Tech », qui s’appuiera sur une sélection de start-up et d’IA juridiques : « Comme cela se fait déjà dans d’autres secteurs, ces initiatives seront portées sous l’ombrelle de la French Tech, avec de la mise en relation, un soutien à l’internationalisation… Toute la question est de savoir comment propulser ces acteurs sur les marchés mondiaux. Nous aurons d’ailleurs l’occasion d’en reparler en détail lors d’une prochaine assemblée du CNB. »
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