Justice

Tribunal de Versailles : « Je télécharge sur le dark web, comme tout le monde »

CHRONIQUE. La 6e chambre correctionnelle versaillaise jugeait récemment un prof de lycée, pour avoir agressé sexuellement une élève mineure, mais aussi détenu des centaines de contenus pédopornographiques.


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Antoine Blochvendredi 5 septembre6 min
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©IStock

Au printemps 2023, Amélie*, tout juste 17 ans, partait en voyage scolaire aux États-Unis avec son lycée pro lorsque, pendant le vol aller, sa demi-sœur s’est pendue – le jour de son anniversaire. Après un temps d’hésitation, sa mère s’est décidée à lui annoncer la nouvelle. En entendant les hurlements à l’autre bout du fil, elle a demandé à parler au prof d’histoire qui encadrait le groupe, et lui a confié sa fille (« Faites comme si c’était la vôtre »). « Je ne pouvais pas imaginer ce qui s’est passé derrière », semble-t-elle désormais se justifier à la barre du tribunal.

C’est dans ce contexte qu’Amélie et Frédéric D., la cinquantaine, ont échangé leurs numéros. Après leur retour sur le Vieux Continent, ils ont continué à s’envoyer des messages, surtout le soir. Progressivement, la conversation a dérapé : il fut de plus en plus souvent question de porno, de masturbation (« Tu as les mains occupées ? »), ou encore des pratiques sexuelles d’Amélie avec son copain (« Tu te fais déboîter comme une petite coquine… »). Amélie ne s’est pas formalisée outre mesure de ces messages, dignes selon elle d’un « tonton beauf » : « Je m’accroche très vite aux gens et j’ai peur de l’abandon. Il m’a aidée à surmonter pas mal de choses… [Alors] je pense qu’en un sens je n’ai pas voulu voir

« Elle a beaucoup de répondant. Si elle avait voulu que la conversation cesse, elle l’aurait dit. […] Elle n’est pas du genre à se faire marcher sur les pieds », lance le prévenu, qui finit tout de même par avoir un mot pour sa jeune élève : « Je suis conscient du tort que je lui ai causé. Du traumatisme, peut-être, éventuellement. » Il était temps, semble se dire le président en se tournant vers la partie civile, recroquevillée sur sa chaise : « Je ne sais pas s’il lui restera des ongles à la fin de l’audience.» Quoi qu’il en soit, Frédéric D. l’assure : « Je n’ai pas été malin, c’est une certitude, [mais] je n’avais pas d’arrière-pensées

« J’ai peut-être eu un geste malheureux… »

Pourtant, juste avant le voyage scolaire de l’année suivante, à Chypre cette fois, il s’est montré encore plus pressant. Il lui a par exemple écrit qu’il aimerait bien lui faire « paf sur [son] petit cul », et dans un string, parce qu’il « faut que ça claque ». Et de fait, au cours du séjour, alors qu’Amélie regardait un film dans sa chambre d’hôtel, il a entrepris de lui mettre « des claques sur les fesses ». Puis une main sur un sein, même s’il ne l’admet que du bout des lèvres : « J’ai peut-être eu un geste malheureux… ».

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Au retour, Amélie a dénoncé les faits, et sa mère, déposé plainte. S’en est suivie une perquisition au domicile de Frédéric D. Sur son ordinateur et un disque dur externe, les enquêteurs ont découvert pas moins de 2 848 contenus pédopornographiques, aux noms de fichiers évocateurs : essentiellement des enfants de 5 à 10 ans, entre eux ou avec des adultes – parfois même des animaux. « Je télécharge [des jeux] sur deux ou trois plateformes sur le dark web, comme tout le monde », lance simplement le prévenu, « [or] c’est plus simple d’aspirer tout que de faire le tri. […] Il n’y avait aucune volonté de télécharger ce genre de contenu ».

Prévenu de corruption de mineur de plus de 15 ans, d’agression sexuelle par personne ayant autorité sur la victime et de détention de l’image d’un mineur présentant un caractère pornographique, Frédéric D. encourt donc 7 ans et 100 000 €. « Ce que j’attendais de cette audience, entame la procureure, c’étaient des excuses. [Or] au contraire, ce que j’ai entendu, c’est quelqu’un qui finalement reconnaît de manière assez légère avoir mis une claque sur les fesses, sans avoir le sentiment d’agresser sexuellement ».

« Il n’a pris conscience de rien, et ça me glace »

Sur le contenu : « Il explique qu’il aspire tout parce que c’est plus pratique, mais on trouve tout ça bien classé dans son ordinateur.» Elle considère que les explications de Frédéric D. sont « insoutenables et inaudibles. Il n’a pris conscience [de rien], et ça me glace ». Elle requiert trois ans dont 18 mois de sursis probatoire, avec mandat de dépôt pour la partie ferme, et la peine complémentaire d’interdiction pour 10 ans d’exercer une activité impliquant un contact avec des mineurs.

« Je pense honnêtement qu’il souhaite de tout cœur s’excuser, et je pense qu’il le fera d’ici la fin de l’audience », lance l’avocat de Frédéric D. : « On a quand même quelqu’un qui se rend compte au bout d’un moment de la gravité des faits, et qui a un début de honte. (…) Il n’est pas à l’aise, parce qu’il connaît la gravité des faits qu’il a commis.» Il estime que « l ‘agression sexuelle est reconnue par Monsieur, [même si c’est] sous une forme un peu différente », et veut voir le verre à moitié plein : « Il y a eu une maîtrise suffisante pour qu’il n’y ait aucun autre acte qui ait suivi

Il conteste simplement le volet corruption de mineur : « Il ne va pas lui montrer de contenu pornographique, […] il ne parle pas de pratiques sexuelles qu’elle ne connaîtrait pas. » Pour lui, il s’agirait plutôt d’une proposition sexuelle par moyen de communication électronique (C. pén., art. 227-22-1), mais cette infraction n’est pas poursuivable lorsque la victime a plus de 15 ans.

« Elle ne devait pas avoir très envie de me revoir… »

« Si vous avez eu le sentiment que je ne m’excusais pas, c’est une erreur », ajoute le prévenu, répondant à l’appel du pied de son avocat : « Je lui demande de bien vouloir m’excuser du tort, de l’embarras, de la situation dans laquelle je l’ai mise, et de m’excuser de sa présence aujourd’hui ici, parce que je pense qu’elle ne devait pas avoir très envie de me revoir. » Il ajoute : « Vous avez dit, monsieur le président, qu’elle n’était responsable de rien, et vous avez eu entièrement raison. […] J’espère qu’elle acceptera mes excuses, ou au moins, qu’elle les comprendra. »

Depuis le couloir où ils ont pris place pour éviter la famille d’Amélie, Frédéric D. et son avocat guettent la porte de la salle d’audience. Mais c’est par celle, plus discrète, du box, que les policiers entrent, avant de s’installer dans le fond de la salle. Frédéric D. revient à la barre, un petit sac à dos sur l’épaule, et ne voit pas l’escorte avancer vers lui, menottes à la main.

Il écope de quatre ans dont deux de sursis probatoire (obligations de soins et de travail, interdiction de contact avec Amélie), et d’un mandat de dépôt pour la partie ferme, sans compter une interdiction définitive d’exercer une activité impliquant un contact avec des mineurs. Entravé, il ressort par le box, toujours aussi inexpressif.

* Le prénom de la victime, mineure au moment des faits, a été modifié.

Antoine Bloch

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