Tribunal de Créteil : « C’est le David Copperfield des temps modernes ! »


lundi 7 octobre 20246 min
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Récit d’une audience devant la 12e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Créteil. Où les deux prévenus comparaissent pour le vol d’un téléphone portable appartenant à la mairie de Gentilly.

 

Les deux prévenus n’en mènent pas large, alors qu’ils avancent dans le box réservé aux prévenus, vêtus tous deux d’un t-shirt blanc. Algériens, ils parlent un peu français, et préfèrent bénéficier de l’assistance d’un interprète. Ils comparaissent pour le vol d’un téléphone portable, appartenant à la mairie de Gentilly. Les faits ont donc été commis « en réunion », et dans « un lieu destiné à l'accès à un moyen de transport collectif ».

 

Les deux accusés n’ont pas le même passif vis-à-vis de la justice. Saïd (les prénoms ont été modifiés) a commis ces faits « en état de récidive légale » : il y a deux ans, il a ainsi été condamné par le tribunal de Paris, pour « des faits identiques ou assimilés ». Youssef, quant à lui, se retrouve pour la première fois devant un juge. 

 

Le juge qui préside l’audience annonce la couleur : « Les faits sont très simples, et ils ne sont pas contestés ». La lecture du procès-verbal déroule leur détail : alors qu’ils patrouillent, des policiers remarquent deux hommes au comportement suspect, sur le quai de la station de RER « Cité universitaire ». Ces derniers observent « avec insistance l’ensemble des usagers, avec une attention toute particulière sur leurs sacs et poches. » Les policiers mettent alors en place une mission de surveillance. 

 

Un vol en toute discrétion

 

Les deux individus, âgés d’une trentaine d’années, sont en train de réaliser de nombreux allers-retours entre la station RER et le tramway, tout en se séparant régulièrement, semble-t-il pour mieux observer les usagers. Rien dans leur comportement ne correspond vraiment aux habitudes de l'usager lambda : ils s'assoient sur le quai, et laissent passer quelques rames. Puis ils prennent un RER, et descendent une station plus loin, à la station Gentilly. C’est là qu’ils repèrent une femme « vêtue d’une veste kaki ». Alors que celle-ci prend les escaliers menant à la sortie de la station, l’un des protagonistes se positionne devant elle, et se met à « marcher lentement, de manière à ralentir sa progression ». Le deuxième, dans son dos, se colle à elle : il fouille alors dans sa poche et en extirpe son téléphone, qu’il remet immédiatement à son comparse – le moment que les policiers attendaient pour intervenir. Ils procèdent immédiatement à l’interpellation des deux prévenus. La victime, elle, ne s’aperçoit de rien et poursuit sa route, emportée par le flot des passagers quittant la station.

 

Les juges disposent des images vidéo du vol, et les faits, reconnus par les accusés, ne feront l’objet d’aucun débat, apprend-on lors de l’audience. La victime, maire adjointe à la mairie de Gentilly, dit avoir aperçu l’interpellation, sans pour autant savoir qu’elle la concernait. Logiquement, elle se dit incapable de reconnaître qui a volé le téléphone.

 

Le juge se tourne vers les prévenus ; leur demande les raisons de leur acte.  Youssef s’explique : « En fait, j’ai mon scooter chez le garagiste, et il m’appelle tout le temps pour que je le sorte, parce qu’il a plus de place. J’ai pas de sous pour sortir la moto, et j’ai trouvé personne pour m’aider. Le garagiste m’a mis la pression, en me disant qu’il allait jeter ma moto dehors. C’est ce qui m’a poussé à faire ça. »

 

Youssef travaille dans le BTP, et n’a pas de papiers. Il soutient qu’il ne connaissait pas l’autre protagoniste, et que leur action n’était pas préparée.

 

L’avocate de la mairie prend la parole, et argue que d’après les images recueillies par les vidéos, les prévenus semblent coutumiers des faits. Elle souligne l’émoi suscité, au sein de la municipalité, par le vol d’un téléphone acheté pour des élus « qui œuvrent pour l’intérêt général ». Si le téléphone a été restitué et qu’il n’y a pas de préjudice matériel, elle qualifie le larcin de « grave atteinte » envers l’utilisatrice, car « l'intégralité des appels qu’elle a passés et de ceux qu’elle a reçus a pu être piochée par ces individus ». Et d’ajouter : « Un vol, c’est une violence, au sens de la loi pénale ».

 

« Ils observent, ils regardent, ils déterminent leur victime »

 

Comme pour redonner du rythme à une audience un peu flottante, le procureur prend la parole, sur un ton offensif. Il fustige des faits « a minima très désagréables » pour la victime. Il ne croit « absolument pas à la rencontre fortuite de ces deux-là ». Pour lui, leur méthode est éprouvée : « Ils observent, ils regardent, ils déterminent leur victime potentielle, et ensuite ils passent à l’assaut ». Il estime « que ces messieurs ne se rendent pas compte du traumatisme que ça peut être, de se faire voler son téléphone » : « C’est une atteinte à l’intimité », résume t-il.

 

Mais s’il décrit les faits comme un travail d’équipe, et ironise sur la motivation avancée par Youssef, il lui reconnaît le mérite d’assumer son vol. Il n’en va pas de même pour Saïd, qui lors de son audition, n’a pas tout de suite reconnu les faits et a prétendu ne pas savoir comment le téléphone était arrivé dans sa poche - « c’est le David Copperfield des temps modernes ! », se moque l’avocat général, en référence à la star de la magie des années 80. Saïd avait brièvement accusé les policiers d’avoir mis le téléphone dans sa poche. Pour ensuite reconnaître le vol.

 

Le procureur opère la même distinction entre les deux prévenus concernant leur comportement en garde à vue. Alors que Youssef « se comporte bien avec les services de police », pour Saïd, « c’est une autre histoire », précise-t-il. « Il va tenter à plusieurs reprises de s'emparer de l'arme d'un des policiers ». Il ajoute qu’il s’était montré peu coopératif, en refusant de transmettre le code PIN de son téléphone.

 

Le procureur demande une peine de six mois de prison ferme pour Saïd, et pour Youssef, une peine de six mois intégralement assortie de sursis.

 

Des situations précaires

 

L’avocate des prévenus commence par évoquer leur situation sociale - ils tous les deux étrangers en situation irrégulière, souligne-t-elle. Youssef est hébergé, avec sa femme et ses trois enfants, dans un hôtel du 115, et gagne environ 500 à 600 euros par mois, avec son travail de peintre non déclaré. Son casier judiciaire est vierge. Saïd, pour sa part condamné plusieurs fois pour des faits du même type, alterne entre livraisons et missions de préparateur de commandes. Il est en couple et a un enfant de quatre ans.

 

L’avocate remet par ailleurs en question le récit du comportement « virulent » de Saïd avec les policiers. Si le procès-verbal indique qu’il aurait asséné un »coup de tête et deux coups de poing au policier », la situation présentée par les images de vidéosurveillance est loin d’être aussi claire, affirme-t-elle. De plus, le policier, examiné par un médecin, n’a pas eu un seul jour d’ITT, s'étonne-t-elle.

 

En ce qui concerne l’association des deux prévenus, l’avocate soutient que ceux-ci se connaissaient pour s’être croisés dans la rue, mais qu’ils n’ont pas agi avec préméditation : ce projet leur est venu ce jour-là. Elle demande du sursis pour Youssef, et concernant Saïd, un aménagement de sa peine sous forme de semi-liberté, pour préserver sa vie familiale, puisque toute sa famille réside à Saint-Denis. En ce qui concerne la demande d’indemnisation pour préjudice moral de la part de la victime, elle juge le montant de 600 euros demandé « un peu excessif », ladite victime ne s’étant pas rendu compte du vol sur le moment. Elle tempère également les propos du procureur s’agissant de « l’atteinte à l’intimité », ce téléphone de fonction étant assez peu utilisé, argue-t-elle.

 

Les deux prévenus sont reconnus coupables par le tribunal, qui décide de suivre les réquisitions du procureur. Youssef est lui condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis, dont les effets dureront pendant cinq ans.  Saïd est condamné, lui, du fait de ses antécédents judiciaires, à une peine de six mois d’emprisonnement ferme, sans aménagement : il va être maintenu en détention. Les prévenus sont aussi condamnés à verser solidairement à la victime la somme d’un euro, en réparation de son préjudice.

 

Etienne Antelme


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