Tribunal de Créteil : « Vous vouliez passer dans la rubrique nécrologique ? »


dimanche 10 novembre 20246 min
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CHRONIQUE. Mi-octobre, la 11e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Créteil jugeait un jeune prévenu. Quelques mois auparavant, il avait cumulé les infractions, lors d'un rodéo urbain, entre Vitry-sur-Seine et Alfortville. Récit d'audience.

Steven a été arrêté et placé en garde à vue au mois de mars, à la suite d’un « rodéo » en scooter. Il a cumulé plusieurs infractions : refus d’obtempérer, violences, outrage à agent, mais aussi dégradations des motos de ces derniers. Pour ces faits, Steven a été placé sous contrôle judiciaire, après que le juge des libertés et de la détention a refusé son placement en détention provisoire. L’allure soignée, le jeune homme s’avance à la barre.

Le président décrit les faits. Ce jour-là, deux voitures et deux motos de la police nationale et de la police municipale d’Alfortville « prenaient en chasse un individu sur un scooter, qui avait réalisé une roue arrière, du « wheeling », puis refusé un contrôle et pris la fuite ». Deux rapports de la police municipale font état du parcours de Steven et de sa conduite à risques : il grille des feux et percute également une Mercedes. Steven a aussi fait des « gestes obscènes, à savoir un doigt d’honneur, à l’égard des policiers municipaux »

Le procès-verbal décrit ensuite une arrivée dans une impasse, qui amène le prévenu à faire demi-tour. C’est là qu'il « percute successivement deux fonctionnaires motorisés de la police municipale ». Il fait chuter le premier, et déséquilibre le second avant de reprendre la fuite. Il est finalement arrêté par la police nationale. Bilan : le premier policier a été blessé au poignet, et le second a subi un traumatisme à l’épaule, lui causant une ITT de sept jours. Concernant l’outrage, la plainte vient de policiers municipaux qui étaient en voiture.

« J'ai pris peur »

En garde à vue, Steven a reconnu le rodéo motorisé, la mise en danger de la vie d’autrui et le refus d’obtempérer. Il a en revanche contesté les faits d’outrage, de tentative d’homicide (requalifiée ensuite en violences volontaires) et de dégradation volontaire de bien public. Interrogé à ce sujet pendant l’audience, le jeune homme maintient ses déclarations.

 

Le juge entre dans le vif du sujet : 

« Vous avez pris des risques insensés. Vous vouliez passer dans le journal, à la rubrique nécrologique ? Je vais être très clair avec vous, monsieur. Après des refus d’obtempérer, il y a deux types de personnes dont on entend parler parce qu’ils sont morts. Soit l’auteur du refus, soit le policier qui a essayé d’interpeller la personne. » Steven acquiesce.

 

« Sur le moment, vous n’aviez pas compris, apparemment.

- J’ai pris peur, monsieur. Ce n’était pas voulu, je n’ai même pas réfléchi.

- Je vous arrête tout de suite. Ne me dites surtout pas que ce n’était pas voulu. On n’est pas au procès Pélicot. Si vous commencez à partir là-dessus, je crois que Madame la procureure sera très sévère dans ses réquisitions. Un refus d’obtempérer, c’est volontaire, monsieur. Vous avez mis en danger votre vie et la vie d’autrui : c’est bien pour cela que vous risquez cinq ans d’emprisonnement ! »

Après ces échanges, le juge reprend la lecture du procès-verbal. Steven a déclaré que les deux motards de la police municipale s’étaient percutés entre eux. Il a aussi soutenu que ses doigts d’honneur n’étaient pas adressés aux policiers, mais aux automobilistes. Ironique, le juge l’interroge : comment ses doigts d’honneur ont-ils fait la différence entre les automobilistes et les policiers ? Le prévenu maintient qu’ils ne s’adressaient pas à ces derniers.

Le dialogue reprend :

« Et donc vous êtes dans une impasse, vous faites demi-tour, avec pour conséquence la chute d’une moto…

-      Non.

-      Ils seraient tombés tout seuls ?

-      Ils n’ont pas la maîtrise de leur véhicule. »

Le juge rétorque :

                    « Ah ça, les motards de la police municipale ou de la police nationale, ce sont en général des gens qui viennent d’avoir leur permis A, qui ont beaucoup de mal à maîtriser un véhicule particulièrement léger. On les met sur la route comme cela, c'est ça ? Vous savez, il s’agit de motards assez aguerris ! »

 

L’avocate de Steven intervient et tente alors de clarifier les propos de son client. 

« Ce n’est pas ce qu’il dit, monsieur ». S’ensuivent des échanges un peu musclés entre l’avocate de la défense et le président, qui conduisent ce dernier à suspendre l’audience pendant un quart d’heure.

 

Après cet intermède un peu théâtral, l’avocat des parties civiles revient sur les doigts d’honneur, et fait remarquer que Steven a commencé ces gestes au moment où les policiers ont activé leurs avertisseurs. Et à propos des chutes des policiers, le prévenu n'oscille pas : « en aucun cas » il n’a foncé sur eux. L’avocat remet en question la version selon laquelle les agents se seraient percutés entre eux, arguant qu’ils étaient trop éloignés l’un de l’autre pour cela.

 

La procureure prend le relais. Elle demande au prévenu quel intérêt aurait eu la police à « monter une procédure faisant croire qu’il les avait percutés et outragés », alors que le rodéo et le refus d’obtempérer étaient suffisants pour le placer en garde à vue, et le faire passer en comparution immédiate. L’avocate de la défense intervient à son tour, et l’interroge sur le demi-tour réalisé dans l’impasse. Elle évoque aussi le fait que des images de vidéosurveillance d’un centre de bus RATP à proximité n’aient pas été demandées.

De multiples infractions au code de la route

Le policier municipal victime de la chute est présent, et est invité à témoigner : « Quand j’arrive à l’angle de la rue, je vois mon collègue et le scooter au sol. Le monsieur [le prévenu, ndlr] remonte sur son scooter. Je sais à ce moment-là qu’il va venir vers moi, alors je me mets en travers de son chemin. Et il prend un passage – je ne sais pas comment il a fait, entre le trottoir et ma moto, ce qui me fait tomber sur la droite. Pour que ma moto ne soit pas trop abîmée, j’ai le réflexe de garder ma main dessus ; cela a causé ce traumatisme du bras et de l'épaule gauche ». Son collègue, arrivé dans l’impasse avant lui, est quant à lui blessé au poignet.

Steven a ensuite commis « des infractions au code de la route multiples ». Interrogé par l’avocate du prévenu, le policier admet qu’il n’a pas vu la chute de son collègue qui l’a précédé dans l’impasse, et que pour sa part, il n’a pas vu les doigts d’honneur. L’avocat des parties civiles revient à son tour sur les versions changeantes du prévenu. Ainsi, ce dernier a d’abord affirmé que ses doigts d’honneur étaient destinés à des passants, avant de dire qu’ils visaient des automobilistes quand on lui a opposé des images vidéo ne montrant aucun passant. Au nom de la mairie d’Alfortville, il demande des réparations - autour de 3 000 et 5 000 euros pour les préjudices matériels.

Pour la procureure, il n’y a aucun doute sur la nature des faits, « faciles à caractériser ». Elle demande une condamnation pour l’ensemble des chefs d’accusation. Relevant les conséquences dramatiques qu’auraient pu avoir ces faits, la magistrate rappelle que le prévenu est inséré et a des projets professionnels solides. Steven a 20 ans, diplômé d’un bac pro mécanique, et a été embauché en CDI par l’entreprise où il a réalisé son alternance. Elle requiert une peine de dix-huit mois d’emprisonnement, dont huit mois assortis d’un sursis probatoire, mais demande que la peine ferme soit aménagée à domicile, sous surveillance électronique.

L’avocate de Steven rebondit et souhaite revenir sur les faits non reconnus, notamment les violences volontaires reprochées : elle s’étonne que deux rapports de police aient été produits, mais aussi de la similitude entre certains de leurs passages. Elle s’interroge également « sur la valeur probante de ce rapport collectif », qui « ne constitue absolument pas un élément objectif sur lequel le tribunal pourra se fonder ». Cela reviendrait à dire qu’« il est possible de se constituer soi-même des preuves, et notamment quand on est policier ». Enfin, elle remarque que le premier policier arrivé dans l’impasse n’a pas déclaré être tombé lors de son audition. Sa conclusion repose donc sur un dossier « bien vide ». « Le policier, en tant que plaignant, est un justiciable comme un autre ».

Steven est finalement condamné à une peine de 24 mois de prison, intégralement assortis de sursis, pour l’ensemble des faits reprochés.

Etienne Antelme

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