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Le temps de la défiance vis-à-vis du photovoltaïque sur
les sols agricoles serait-il révolu ? Le 4 janvier 2022, le Sénat a adopté une résolution
tendant au développement de l’agrivoltaïsme en France, incitant le gouvernement
à lever les freins législatifs et réglementaires et à donner un nouvel essor à
la filière (1). Le terme est désormais
entré dans le langage courant chez les acteurs du solaire, bien qu’il ne soit
toujours pas défini par la loi. Si l’on s’en tient à la définition retenue par
la Commission de régulation de l’énergie (CRE) dans ses procédures d’appels
d’offres, l’agrivoltaïsme recouvre les « installations permettant de
coupler de façon innovante une production photovoltaïque secondaire à une
production agricole principale en permettant une synergie de fonctionnement
démontrable ».
Depuis quelques années, se développent en effet en France
plusieurs projets destinés à combiner production agricole et production
d’énergie solaire sur le même espace, de sorte que celles-ci, a priori
concurrentes dans l’utilisation de la surface et de l’énergie lumineuse, se
complètent. Les bienfaits agronomiques et économiques revendiqués sont
multiples. La présence des panneaux sur le terrain améliorerait ainsi les
conditions pour les cultures en les protégeant contre les fortes chaleurs, en
diminuant les besoins en eau l’été et en luttant contre la sécheresse, le gel,
la grêle et certains prédateurs aériens, ainsi qu’en diminuant le risque de
maladies qui prolifèrent en présence d’eau ; la production d’énergie
augmenterait la valeur économique de l’exploitation agricole, créerait une
source de revenus complémentaires, tout en sécurisant l’activité agricole sur
la parcelle à long terme, dès lors que la rentabilité des structures
agrivoltaïques est calculée sur des périodes de 20 à 30 ans. Plusieurs risques
sont toutefois mis en avant, le premier écueil majeur étant naturellement le
risque important de déprise agricole au profit d’installations électriques qui
n’auraient d’agricole que le nom, mettant en péril la souveraineté alimentaire
du pays. Certains acteurs craignent également, sur le plan agronomique, une
diminution de l’ensoleillement pouvant entraîner une baisse des rendements,
ainsi qu’une augmentation du temps de travail de l’agriculteur pour éviter
d’abîmer les panneaux avec les engins agricoles.
La création en juin 2021 de l’association France
Agrivoltaïsme, qui regroupe les différents acteurs de la filière, est une
illustration de sa structuration progressive. Sur le plan législatif toutefois,
la réglementation dédiée tarde à émerger, créant sans nul doute une insécurité
juridique qui nuit au développement des projets agrivoltaïques.
Actuellement, les enjeux juridiques sont triples pour les
porteurs de projets agrivoltaïques, aussi appelés
« énergiculteurs » : il leur faut d’abord obtenir les
autorisations nécessaires, notamment en démontrant la synergie entre la
production agricole et la production solaire, mais également sécuriser le
projet avec un montage contractuel fiable et durable, et enfin assurer la
rentabilité du projet.
Les autorisations
administratives : un projet photovoltaïque pas comme les autres
L’autorisation au titre de la
législation sur l’urbanisme
Un projet agrivoltaïque est avant tout un projet photovoltaïque. Le régime d’autorisation d’urbanisme applicable à l’installation (sans formalité, déclaration préalable ou permis de construire) dépend ainsi, comme pour tout projet photovoltaïque, de trois facteurs : la localisation ou non en espace protégé, la puissance en kilowatt-crête, et la hauteur de l’installation (article R. 421-1 et suivants du Code de l’urbanisme). Toutefois, le classement en zone agricole d’une surface y restreint considérablement les possibilités de constructions nouvelles. Dès lors, la condition sine qua non posée par la jurisprudence pour valider des projets photovoltaïques situés en zone agricole est claire : le projet doit permettre le maintien de l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière significative sur le terrain d’implantation.
Le rapporteur public, Monsieur Dutheillet de Lamothe, résume cette position ainsi sous l’arrêt rendu par le Conseil d’État du 12 juillet 2019 (n° 390716) : « La seule limite nous semble que la vocation du bâtiment doit rester la réalisation d’une activité agricole réelle, avérée. La construction de fermes photovoltaïques n’est pas autorisée en zone A, et il ne s’agit pas de contourner cette interdiction en les déguisant à travers des cultures prétextes ».
La jurisprudence a ainsi considéré
qu’était compromise la destination agricole du terrain pour un parc
photovoltaïque projeté sur un terrain qui avait vocation à faire disparaître
les cultures céréalières et à implanter une jachère mellifère et l’installation
de ruches, dès lors que l’activité ne pouvait être regardée comme correspondant
aux activités ayant vocation à se développer dans la zone considérée, et alors
même que les terres agricoles seraient de qualité médiocre par rapport à
d’autres terres de la commune (CE, 1re chambre, 31 juillet 2019, n° 418739, Sté Photosol) ; mais aussi pour une centrale
photovoltaïque au sol projetée sur un terrain cultivé avec une valeur
agronomique avérée, dès lors que le projet prévoyait l’intégration d’une
activité agricole consistant en l’élevage d’ovins avec le maintien en friche de
la parcelle mais que la société ne démontrait pas pouvoir développer
effectivement cette activité d’élevage (CAA Bordeaux, 4 février 2016,
n° 14BX03376 ; v. également CAA Marseille, 21 avril 2016,
n° 15MA00872), ou encore pour un projet de centrale photovoltaïque sur un
terrain agricole inexploité depuis 50 ans et dont la valeur agronomique était
faible à très faible, dès lors que le projet ni ne prévoyait le développement
d’une activité agricole, pastorale ou forestière, ni ne précisait les
dispositions prises pour permettre, le cas échéant, le développement d’une
telle activité (CAA Marseille, 9e chambre, 11 décembre 2018, n° 17MA04500).
Il semble néanmoins qu’il n’est pas
obligatoire que l’activité agricole précédente soit maintenue dans la même
spécialité (CAA Bordeaux, 4 février 2016, n° 14BX03376 ; CAA
Bordeaux, 15 mars 2018, n° 16BX02223 ; CAA Bordeaux, 9 mai 2019,
n° 17BX01715). À titre d’illustration, le juge administratif a validé un
projet de ferme photovoltaïque de 13 000 panneaux solaires et quatre
cabanons dans le cadre d’une exploitation agricole de géraniums pour la
production d’huiles essentielles, implanté sur un terrain anciennement dédié à
la culture de canne à sucre qui connaissait des problèmes de rentabilité, alors
que la conjonction de la nouvelle culture et de la ferme photovoltaïque allait
assurer la pérennité de l’exploitation (CAA Bordeaux, 4 octobre 2012,
n° 11BX01853).
De même, la jurisprudence accepte un projet de parc photovoltaïque édifié en hauteur sur un terrain d’une valeur agricole moyenne, dont un dixième seulement était exploité par un agriculteur qui avait émis le souhait de mettre fin à cette activité, et dont le reste était consacré à l’élevage ou en friche ; le projet prévoyait de mettre la totalité des terrains d’assiette en pâture pour des troupeaux d’ovins (TA Poitiers, 4e chambre, 29 mars 2017, n° 1402935).
Encore, a été jugé compatible avec la destination agricole du terrain un projet de centrale photovoltaïque se situant sur des prairies d’élevage, dont l’activité agricole sera maintenue avec la poursuite d’un élevage d’alpagas et l’installation d’une activité apicole en créant des prairies mellifères sur une partie des terrains, et dont la propriétaire du terrain était déjà éleveuse de bovins et d’alpagas. Par ailleurs, le projet avait pris en compte les caractéristiques de l’élevage existant en surélevant la hauteur minimale sous les panneaux (CAA Bordeaux, 1re chambre, 15?mars 2018, n° 16BX02223, 16BX02224, 16BX02256).
De la même manière, et pour prendre un dernier exemple, a été validé un projet de parc photovoltaïque en hauteur permettant le réaménagement de 9 hectares de terrains inexploités et le pâturage des ovins sur 24 hectares, sur un terrain dont la valeur agricole est considérée comme moyenne à très limitée et sur lequel existait déjà une activité pastorale. Par ailleurs, le gain de surface en prairie, de l’ordre de 60 %, va permettre de porter la capacité d’accueil à 720 bêtes, et le bilan de la surface agricole utile sera même positif avec une herbe de meilleure qualité qui y sera semée. De plus, l’agriculteur qui exploitait la culture de céréales sur une portion du site prenait sa retraite sans trouver de repreneur pour son activité (CAA Bordeaux, 1re chambre, 9 mai 2019, n°17 BX01715).
Les porteurs de projets agrivoltaïques
doivent donc impérativement sécuriser cet aspect dans leur dossier de demande
de permis ou de déclaration préalable et justifier le véritable maintien d’une
activité agricole sur la surface. Soulignons par ailleurs que le plan local
d’urbanisme peut prévoir des dispositions plus restrictives, qui interdisent
spécifiquement les projets photovoltaïques sur certaines zones. Si tel est le cas,
le projet ne pourra avoir lieu sans une mise en compatibilité du PLU.
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