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Depuis 2021, ces audiences exclusivement dédiées aux violences intrafamiliales (VIF) les « moins graves » se tiennent au tribunal de proximité de la sous-préfecture. Le 20 juin dernier, nous avons pris place sur un banc de la salle pour suivre une dizaine d'heures d'audience. Compte-rendu.
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Les juridictions au diapason de la lutte contre les VIF - La cour d’appel de Versailles se met en ordre de bataille contre les VIF - Violences intrafamiliales : vers des ITT de 30 ans ? - Cartographier les VIF pour mieux les juger - Chronique d'une « audience foraine » consacrée aux violences intrafamiliales à Saint-Denis |
« Quand j'ai vu sa convocation, j'ai cru que c'était une erreur... », lance un avocat dans la salle d'audience du tribunal de proximité (anciennement d'instance) de Saint-Denis, à une centaine de mètres de la basilique dyonisienne. « Ma cliente arrive dans dix minutes, elle était en route pour Bobigny... », excuse un autre : elle n'arrivera jamais.
Techniquement, il s'agit de ce que l'on appelle joliment une audience foraine, puisqu'elle se tient, sur ordonnance, hors des murs du tribunal judiciaire (TJ). Mais, même si les chefs de juridiction insistent sur la notion de « proximité », elle ne vise pas véritablement à venir au plus près de la population, comme celles qui peuvent se tenir, surtout en matière civile (et parfois en pirogue !), le long du fleuve Maroni (Guyane). Certains justiciables résident même plus près de « Bob » que de Saint-Denis : c'est donc davantage une audience complémentaire délocalisée.
Elle est consacrée aux violences intrafamiliales (VIF), contentieux de masse qui représente désormais, côté parquet, 30 à 40 dossiers quotidiens. Cette audience se tient à juge unique, et donc dans la limite de cinq ans encourus, ce qui correspond, par exemple, à des violences volontaires sans ITT aggravées par deux circonstances : à partir de la troisième, direction la formation collégiale, au TJ de « Boboche ». Une « contrainte » qui conduit parfois le ministère public à disqualifier, ou en tout cas, à ne pas qualifier au plus haut.
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Treize heures. La salle s'audience est pleine à craquer. Des familles font bloc sur des coins de bancs ; leurs messes basses sont couvertes par les jeux et les pleurs d'enfants. Certains sont contraints à d'improbables chorégraphies pour ne pas se croiser. Une bonne demi-douzaine de dossiers sont renvoyés (à décembre prochain), à la demande des parties, ou en raison de la « surcharge de l'audience » : il faut dire qu'il y a au rôle un dossier conséquent.
Pour le moment, Mike, un ancien boxeur dans la cinquantaine, est prévenu d'avoir, en présence de mineurs (une circonstance aggravante), frappé son ex-concubine, à coups de poings (dans les pommettes) et de pieds (dans les tibias). Ces dernières années, il a déjà écopé d'un rappel à la loi, d'une amende, et d'un sursis. Lorsque sa fille à elle s'est interposée, il lui a lancé : « Ferme ta gueule, clocharde ». Puis, pendant l'interpellation, qui s'est mal passée (il comparaît aussi pour rébellion), il a continué à traiter son ex de « grosse pute ». À la barre, il souligne : « j'étais énervé, elle m'avait mis dehors, j'avais nulle part où aller, j'étais à la rue total ».
« Les magistrats ne sont pas des conseillers conjugaux »
Le dossier est épineux : les conjoints s'étaient remis ensemble alors que lui était sous le coup d'une interdiction de contact et de paraître au domicile. La présidente hausse le ton : « Y a pas de “madame a fait ceci ou cela”... C'était votre contrôle judiciaire, pas le sien ». Le procureur déplore « ce fonctionnement de couple qui moi me pose un vrai problème ». Il tance le prévenu, puis se tourne vers la partie civile : « Je pense que vous devez vous aussi évoluer, d'une part parce que les magistrats ne sont pas des conseillers conjugaux, et d'autre part, parce qu'on ne peut pas protéger les gens contre leur volonté ».
Il requiert une nouvelle interdiction de contact de trois ans, « pour convaincre définitivement les parties qu'elles ne peuvent plus se voir », et un sursis simple. L'avocate de Mike trouve que « ces réquisitions sont parfaitement équilibrées », puisque « nous sommes en face d'un couple qui est pathologique ». La peine est de six mois de sursis, trois ans d'interdiction de contact et de paraître. Dans la foulée, pour avoir appelé 356 fois son ex Samantha, Yacine prend 80 jours-amende à 10 €. « Mais non, on ne va pas vous faire venir au tribunal tous les jours pendant 80 jours pour donner 10 €... », répond la présidente au vingtenaire d'autant plus perdu que son avocate n'a pas fait le déplacement.
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Parfois, chacun est à la fois prévenu et partie civile : des « violences réciproques », donc. Comme Damien et Abigaëlle, qui n'étaient plus vraiment ensemble, mais vivaient toujours sous le même toit. Abigaëlle est rentrée à deux heures du matin, après un verre avec des copines, puis est allée prendre sa douche en laissant son portable traîner. Dedans, Damien a trouvé une photo qui ne lui a pas plu. Il est entré dans la salle de bain et lui a mis un coup avec l'appareil.
En tentant de récupérer ce dernier, Abigaëlle, enceinte de deux mois, a mis « une claque, un coup de poing, et un coup de pied dans les testicules » de Damien. Ce dernier dispose de photos des traces de coups, mais « on ne regarde pas dans le téléphone des gens, nous », décline le proc'. Avant de requérir une peine « qui les renvoie dos à dos ». Indignation de l'avocat d'Abigaëlle : « On veut [les] mettre sur un pied d'égalité, […] mais on a frappé une femme enceinte avec une arme par destination ! ». Deux mois de sursis simple pour chacun, 1 € de dommages-intérêts pour elle (soit ce qu'elle avait demandé).
« Je suis atterré, cette audience n'a servi à rien »
Le dossier suivant porte sur plusieurs séries de faits. Thomas, quadra pompier et amateur de krav maga, explique sur un ton typiquement militaire qu'au cours de l'une d'elles, Yolanda, qu'il décrit comme alcoolique, et avec laquelle il est en instance de divorce, lui a cassé une tasse sur la tête. Yolanda, pour sa part, raconte que le projectile n'a pas touché son ex, et que, s'il s'est ouvert le cuir chevelu, c'est parce qu'il a trébuché et atterri la tête la première dans un mur. Elle soutient en revanche que lui l'a étranglée : « pour la première fois, je me suis vue mourir ». Lui rétorque qu'un soir, elle l'a menacé avec un couteau : « J'étais en train de faire la cuisine », se défend-elle.
Entendu en procédure, leur fils adolescent a raconté que « pratiquement chaque soir ils s'engueulent ». Le procureur se concentre sur deux gestes : l'étranglement et le coup de tasse. Il requiert une interdiction de contact pour les deux : « Ils sont dans l'incapacité la plus totale de communiquer ». Puis réclame six mois de sursis simple pour Thomas, « parce que dans l'usage de la force, il a été au-delà de qu'il aurait pu produire pour se mettre en sécurité ». Et six mois de sursis probatoire pour Yolanda, « parce qu'il est nécessaire de l'accompagner avec une obligation de soins ». Mise en délibéré, à la semaine prochaine.
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Le gros dossier du jour rappelle que violences intrafamiliales ne riment pas forcément avec violences conjugales. Pierre et Ambre sont au cœur, non pas d'un, mais de cinq dossiers distincts, portant sur autant de séries de faits. Le premier épisode remonte au jour de leur rupture ; les suivants, à ceux où Pierre a entendu exercer son droit de visite et d'hébergement (DVH). À chaque fois, c'est parti en vrille. Tous deux sont alternativement prévenu(e) et partie civile, de même que le père d'Ambre : quant à son frère, il a fait dans l'intervalle l'objet d'une ordonnance pénale (OP), tandis que sa mère est partie civile dans l'un des dossiers.
Parmi les faits significatifs, on peut évoquer ce container à poubelle, que Pierre a jeté sur Ambre. Il s'estime victime, et a tendance à se retrancher derrière l'argument selon lequel « tout le monde s'est dit, c'est un homme, on n'a qu'à l'abattre, parce que soi-disant c'est toujours la femme qui est victime ». Le proc' estime que « c'est l'échec total du sens même de l'audience. […] À aucun moment il ne s'emparera de la moindre once d'empathie. […] Je suis atterré, cette audience n'a servi à rien ». Il requiert contre Pierre (et lui seul) dans les trois dossiers : quatre, puis deux, et enfin quatre mois, tous avec sursis. L'avocat de Pierre souligne qu'il « est tout seul, face à une famille et des voisins qui ont le temps de concerter ». Mise en délibéré. L'audience est levée : il est 22 heures 30 passées.
Antoine Bloch
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